Prostitution : cinq ans après la loi de 2016, la délégation aux droits des femmes appelle à une meilleure application du texte

Prostitution : cinq ans après la loi de 2016, la délégation aux droits des femmes appelle à une meilleure application du texte

Dans une lettre ouverte envoyée notamment à Éric Dupond-Moretti et Elisabeth Moreno, la délégation sénatoriale aux droits des femmes regrette un premier bilan en demi-teinte concernant la loi dite de « pénalisation du client ».
Public Sénat

Par Jules Fresard

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

C’était une des mesures clefs de la proposition de loi du 13 avril 2016, « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Avec la mise en place de « parcours de sortie de la prostitution », ce texte entendait développer à l’échelle départementale des structures d’accueils et des dispositifs d’accompagnement pour les personnes en situation de prostitution, désireuses de se reconvertir.

Mais cinq ans après, le bilan est amer. Depuis 2016, seulement 2 % des personnes prostituées en France auraient eu recours à ce dispositif. Et un quart des départements serait encore dépourvu de commission de lutte contre la prostitution, créée elles aussi par la loi de 2016. Face à ces données, et suite à une table ronde organisée sur la question le 8 avril dernier, la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a adressé vendredi 16 avril une lettre ouverte à quatre ministres et secrétaires d’Etat, dont Éric Dupond-Moretti et Elisabeth Moreno. Les signataires de la missive alarment sur la mise en application jugée encore trop faible du texte, et appellent à un sursaut afin que les dispositions de la loi soient pleinement mises en place. « On est face à un manque de volonté politique », résume Annick Billon, sénatrice de la Vendée et présidente de la délégation sénatoriale.

Le manque de moyens

« Nous pensons que cette loi est un point d’appui, un élément positif pour faire évoluer les mentalités. Mais pour faire changer les choses, il faut donner plus de moyens financiers et humains » juge Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne et vice-présidente de la délégation aux droits des femmes, signataire de la lettre.

Dans une tribune publiée dans Le Monde le 13 avril, une cinquantaine de responsables associatifs, mais aussi de personnalités politiques, soulignaient eux aussi que « face à l’ampleur de la tâche, les moyens alloués sont dérisoires ». Ils estiment que 2,4 milliards d’euros seraient nécessaires sur 10 ans, pour que les 40 000 personnes en situation de prostitution estimées dans l’hexagone puissent bénéficier d’un véritable accompagnement, tout en leur offrant de réelles alternatives.

La loi de 2016 a bien introduit une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle (AFIS), proposée aux personnes prostituées en parcours de reconversion. Mais son montant est jugé trop faible, voire dérisoire. Il est fixé à 330 euros par mois. « Il est impératif d’offrir à ces personnes des logements et des aides attractives », estime Annick Billon.

Face à ce manque de moyens, Laurence Cohen évoque une première piste de financement. Elle souhaite que l’ensemble des sommes saisies par la justice dans les affaires de proxénétisme, comme des immeubles ou des appartements, soit réinvesti dans la lutte contre le phénomène. Sur les 10 millions d’euros saisis en 2019 dans ce type d’affaires, seulement 2,35 millions ont été injectés dans les politiques prévues par la loi du 13 avril 2016. « Il faudrait utiliser la totalité de ces 10 millions d’euros » juge la sénatrice.

Des nouvelles pratiques rendant plus difficiles la répression

Et en dehors des questions financières, les évolutions qu’a connues la pratique au cours des dernières années ne facilitent pas l’application du texte. Selon la lettre ouverte envoyée par la délégation sénatoriale, « en l’espace de cinq ans, la prostitution a changé de visage et connu des évolutions de fond majeures ». Son déplacement vers des lieux clos comme des hôtels ou des appartements privés a été accéléré, rendant plus difficile l’accès aux réseaux. « Au moment du vote de la loi de 2016, la prostitution sur la voie publique représentait plus de la moitié de la pratique prostitutionnelle en France, contre seulement 9 % aujourd’hui », souligne la lettre ouverte.

Les réseaux sociaux sont eux aussi pointés du doigt. Dorénavant, les prises de contact entre clients et personnes prostituées se font majoritairement par voie virtuelle. Une pratique, qui, selon Laurence Cohen, peut devenir « une source d’emprise redoutable ». D’où la nécessité de « passer à la vitesse supérieure, avec des interventions très fortes en matière de prévention » continue-t-elle.

Des débats toujours vifs autour de la « pénalisation du client »

Mais cinq ans après son adoption, le texte ne fait toujours pas l’unanimité. En témoigne la nuée de parapluies rouges, le symbole de la lutte pour les droits des personnes en situation de prostitution, qui s’est emparée de la place des Invalides le 13 avril dernier. A l’initiative du Syndicat du travail sexuel (STRASS), ce rassemblement avait pour objectif de dénoncer la loi du 13 avril 2016, et notamment la pénalisation du client qu’elle a introduite. Vue par une partie des concernés et militants comme une mauvaise mesure mettant en danger les personnes prostituées, plusieurs associations et ONG demandent son abrogation.

Médecins du monde a d’ailleurs lancé le 7 avril dernier un « préservatif impossible à ouvrir », présenté comme une métaphore de la loi de 2016. « Une protection qui ne protège pas : exactement comme la loi de 2016 sur la prostitution » a fait savoir l’ONG sur Twitter. La pénalisation du client est en effet présentée par certains acteurs comme mettant en danger les personnes prostituées, notamment au niveau des maladies sexuellement transmissibles. Les clients estimant désormais que ce sont eux qui prennent les risques, ils seraient en situation de force pour négocier, notamment sur la question du refus du port du préservatif.

Dans les faits, cette « pénalisation » est encore peu appliquée, et quand elle l’est, relève de grandes disparités sur le territoire. Sans remettre en question le bien-fondé de la mesure, la lettre ouverte envoyée par la délégation aux droits des femmes souligne que depuis 2016, seulement 1 300 « clients » ont été verbalisés chaque année, avec 50 % des procédures en région parisienne. « Cette infraction est donc au final peu constatée tandis que les verbalisations sont concentrées sur un petit nombre de territoires » estime le courrier.

Laurence Cohen juge malgré tout que cette disposition va dans le bon sens. « Il faut poursuivre le proxénétisme, une activité très lucrative, et également les clients, car s’il n’y a pas de clients, il n’y a pas de prostitution » juge-t-elle. Pour Annick Billon, « cette loi va dans le bon sens, car elle a permis de ne plus criminaliser les personnes prostituées, en supprimant le délit de racolage ».

L’inquiétant phénomène de la prostitution des mineurs

La lettre envoyée vendredi 16 avril n’entend donc pas remettre en question la logique de la loi, mais appelle à aller plus loin dans son application. Une volonté justifiée par les chiffres concernant la prostitution des mineurs. Selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, entre 2016 et 2020, le nombre de personnes mineures en situation de prostitution a augmenté de 300 %. Un phénomène accéléré, selon la sénatrice Laurence Cohen, par le rôle joué là aussi par les réseaux sociaux. « Pour les mineurs, il faut savoir que ces réseaux facilitent la prise de contact des prédateurs. Les acteurs de terrain ont tous mis en lumière ce phénomène ».

D’où la nécessité d’introduire dans la loi « une prévention spécifique de la prostitution des mineurs […] notamment en milieu scolaire, doublée d’une campagne nationale de communication et de sensibilisation », estime la lettre ouverte.

Travailler à l’éducation, assurer des campagnes publiques, des spots, donner plus de moyens aux associations, revaloriser l’aide financière apportée aux personnes en situation de reconversion, sont autant de mesures que Laurence Cohen estime nécessaire, avant de conclure, « pendant la crise, le gouvernement a sorti des milliards pour relancer l’économie, ce qui est très bien. Il faut maintenant des milliards pour combattre le système prostitutionnel ».

Dans la même thématique

Prostitution : cinq ans après la loi de 2016, la délégation aux droits des femmes appelle à une meilleure application du texte
2min

Politique

Recherche d’un Premier ministre : « Le président continue à écouter et à tendre la main », assure Maud Bregeon 

La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».

Le

Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée, pendant le vote de la motion de censure contre Michel Barnier.
3min

Politique

Sondage : après la motion de censure, Marine Le Pen toujours en tête des intentions de vote pour l’élection présidentielle

Une semaine après la censure du gouvernement Barnier par la gauche et le Rassemblement national, un sondage Ifop pour Le Figaro Magazine et Sud Radio révèle que Marine Le Pen améliorerait son score au premier tour de l’élection présidentielle. En fonction des candidats face à elle à gauche et chez les macronistes, elle recueille entre 36 et 38 % des intentions de vote.

Le

Prostitution : cinq ans après la loi de 2016, la délégation aux droits des femmes appelle à une meilleure application du texte
3min

Politique

La consultation des partis à l’Élysée marque « le retour de l’UMPS », estime Thomas Ménagé (RN)

Emmanuel Macron a réuni mardi les responsables de plusieurs partis politiques à l’Élysée pour les consulter avant la nomination d’un nouveau Premier ministre pour remplacer Michel Barnier. Pour le député RN Thomas Ménagé, invité de la matinale de Public Sénat ce mercredi, cet échange marque « le retour de l’UMPS » sous la forme d’un « parti unique qui va du PS jusqu’à Laurent Wauquiez ».

Le