Projet de loi antiterroriste : vers une pérennisation de l’état d’urgence

Projet de loi antiterroriste : vers une pérennisation de l’état d’urgence

Assignation à résidence, perquisitions administratives, fermetures de lieux de culte… L’avant-projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme » reprend bon nombre de dispositions du régime de l’état d’urgence.
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Le régime d’exception de l’état d’urgence va-t-il se retrouver, presque dans sa totalité dans notre droit commun ? C’est la question que pose le journal le Monde à la lumière d’un avant-projet de loi consultable sur le site internet du quotidien. Intitulé projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », le texte confère de nouvelles prérogatives aux préfets. Le pouvoir judiciaire est lui de plus en plus mis à l’écart.

Cinq prorogations de l’état d’urgence

Depuis vingt mois, l’état d’urgence a été prolongé cinq fois en attendant la sixième qui sera soumise au vote du Parlement en juillet prochain. Depuis novembre 2015, les lois de prorogations successives ont considérablement accru les pouvoirs de police. L’avant-projet de loi du nouvel exécutif reprend presque mot pour mot certains dispositifs de ce régime d’exception.

En témoigne un nouveau chapitre intitulé « surveillance et autres obligations individuelles ». Destiné à être intégré au code de sécurité intérieure, il y aborde, notamment, la question de l’assignation à résidence. Actuellement, l’état d’urgence permet au ministre de l’Intérieur, après avoir prévenu « sans délai » le procureur de la République, d’assigner à résidence, « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Désormais, le régime de droit commun obligerait le ministère à informer le procureur de la République avant l’entrée en vigueur de l’assignation à résidence. La mesure est prononcée pour une durée de 3 mois renouvelable.

La prolongation de l’assignation à résidence : une mesure inconstitutionnelle ?

Une telle disposition pourrait se heurter à une censure du Conseil Constitutionnel. En effet, l’assignation à résidence est considérée par le Conseil comme une mesure de restriction de liberté et donc relevant a posteriori du contrôle du juge administratif, (contrairement à une mesure privative de liberté, nécessitant une autorisation préalable du juge judiciaire). Or, en février dernier, les Sages ont retoqué l’un des dispositifs de la loi de prorogation de l’état d’urgence du 19 décembre 2016 selon laquelle le ministère de l’intérieur pouvait « demander au juge des référés du Conseil d’État l’autorisation de prolonger une assignation à résidence ». Le juge administratif se retrouvait donc juge et partie : compétent pour autoriser ou non la prolongation de l’assignation à résidence et compétent pour juger de la légalité de la décision en cas de recours de la personne assignée.

Si la première loi de prorogation de l’état d’urgence de décembre 2015 permettait au ministère de l’Intérieur de placer toute personne suspecte sous bracelet électronique, la mesure n’avait jamais été mise en pratique. L’avant-projet de loi reprend ce dispositif. La constitutionnalité d’une telle mesure se pose donc également.

Fermeture des lieux de culte facilitée

Les fermetures de lieux de culte ne nécessiteront pas, non plus, une qualification juridique de la part du juge judiciaire des propos, idées où théorie qui y seront tenus. Les préfets décideront de leur fermeture dès lors qu’ils « provoquent à la discrimination, à la haine, à la violence, à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, ou font l’apologie de tels agissements ou de tels actes »

L’avant-projet de loi reprend également les dispositions de l’état d’urgence relatives aux perquisitions administratives. Sur autorisation du parquet antiterroriste de Paris, les préfets peuvent ordonner, « aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme, une perquisition en tout lieu ».

Fouille de véhicules, contrôle d’identité, ou création de zone de sécurité autour de lieu ou évènement soumis à la menace terroriste relèveront de la décision des préfets, contre une réquisition des procureurs de la République actuellement.

Les magistrats fustigent la mise en place d’un « «État policier »  

Lors de l’examen des cinq lois antiterroristes et les deux lois sur le Renseignement du quinquennat de François Hollande, les mesures potentiellement restrictives des libertés individuelles ont régulièrement fait réagir syndicats de magistrats et associations. Même « stupéfaction » ce jeudi. « Parce qu’on sait que l’état d’urgence (….) était plus souvent détourné qu’utile. Concrètement, la rétention administrative, les perquisitions administratives, la possibilité de mettre des bracelets électroniques sous la seule autorité d’un préfet nous a paru être un recul de l’état de droit de manière assez sidérante » estime Malik Salemkour, président de la ligue des droits de l’Homme. Virginie Duval, présidente de l’Union Syndicale des Magistrats fustige la mise en place d’un « «État policier ». « À partir du moment où on restreint les libertés individuelles, il faut un contrôle de l’autorité judiciaire » indique-t-elle. (voir le sujet de Quentin Calmet)

Le projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres le 21 juin soit le même jour que le sixième projet de loi de prorogation de l’état d’urgence. Pour l’heure, ni l’Élysée, ni Matignon, ni les ministères de l’Intérieur et de la Justice n’ont souhaité commenter cet avant-projet de loi.

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