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Projet d’autoroute en Haute Savoie : « Voter ce texte, ce n’est pas respecter notre institution »
Par Lucille Gadler
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Si les questions autour de l’urbanisme peuvent parfois apparaître archaïques, c’est qu’elles sont le reflet de la complexité administrative du régime des autorisations en France. Mais plus encore, il arrive que ces questions d’urbanisme mettent en exergue les relations parfois tendues entre les différents échelons de pouvoir, qu’il soit local, législatif ou exécutif. C’est, en l’espèce, ce que la proposition de loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas Chablais, adoptée le 31 janvier, nous rappelle.
Un « serpent de mer »
Depuis la fin des années 1980, en Haute Savoie, le projet d’une liaison autoroutière entre les villes d’Annemasse et de Thonon-les-Bains s’invite fréquemment au sein du débat public local. « C’est un vrai serpent de mer » constate le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon. Mis à l’étude, le projet autoroutier est finalement décrété d’utilité publique en 2019 sous le gouvernement d’Edouard Philippe. Mais en février 2020, moins de 3 mois après sa déclaration d’utilité publique, un PLUi, un document d’urbanisme qui construit un projet d’aménagement d’un groupement de communes, est adopté sans égard au projet autoroutier. Certaines des mesures de ce document obligatoire s’avèrent même incompatibles avec le projet de liaison autoroutière.
Relevant la non-conformité du PLUi au projet autoroutier, la mission régionale d’autorité environnementale d’Auvergne-Rhône-Alpes demande à l’intercommunalité de réviser sa copie. Mais la procédure de révision est longue, et pour les défenseurs du projet autoroutier, cette perte de temps n’est pas tolérable.
C’est ainsi qu’en octobre 2022, deux sénateurs de Haute Savoie du groupe les Républicains, Cyril Pellevat et Sylviane Noël, ont déposé une proposition de loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais, notamment en contournant les diverses procédures qu’impliquerait une telle révision du PLUi. Pour les deux sénateurs, cette proposition de loi se justifie dès lors qu’« engager la régularisation via une procédure de révision du PLUi retarderait […] la conclusion du contrat de concession, ainsi que la réalisation du projet, sans aucun bénéfice pour le territoire ». « Nous aurions pu faire évoluer le PLUi de façon classique, admet le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune, mais les délais seraient extrêmement longs pour ce projet qui a déjà suivi toutes les procédures. »
La rapporteure, la LR Martine Berthet, a affirmé son soutien à la démarche d’un texte qui selon elle, «vise à résoudre une difficulté procédurale résultant de la complexité du droit de l’urbanisme » tout en soulignant que le recours à ce type de mesure dérogatoire doit rester très limité.
Des règles d’urbanismes complexes mais essentielles
Oui, en matière d’urbanisme, les législations peuvent se monter « complexes, fastidieuses, longues et coûteuses », admet le sénateur écologiste Daniel Salmon. Mais elles le sont dans un but précis : « Ces règles sont la garantie d’un aménagement du territoire respectueux du principe de développement durable, d’une gestion économe. Elles permettent de répondre aux besoins locaux, en tenant compte des spécificités d’un territoire. Ces règles garantissent aussi, par le biais de l’enquête publique, de fournir une information éclairée sur le projet d’aménagement aux citoyens d’un territoire et ce n’est pas négligeable. »
« Une négation des élus locaux » portant une « atteinte grave à la crédibilité » du Sénat
« Je ne pensais pas, en tant que sénateur élu en Bretagne, avoir un jour à me prononcer sur un texte d’urbanisme de haute Savoie », introduit ironiquement le sénateur Daniel Salmon, « c’est une négation des élus locaux ». Son collègue, le sénateur socialiste de la Loire Jean-Claude Tissot, le rejoint : « Recourir à la procédure législative pour régler une situation strictement locale est invraisemblable. Le Sénat ne dispose d’aucun pouvoir d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre. Comment demander au Sénat, chambre des territoires, de passer outre les prérogatives des collectivités territoriales sur un document d’urbanisme ? Et comment cette manœuvre sera perçue par les élus locaux ? C’est une grave atteinte à la crédibilité de notre institution. »
La gauche sénatoriale s’accorde sur un point : « Voter ce texte créera un dangereux précédent dans la régularisation des projets territoriaux. Cela confirmera la négation des prérogatives des communes », s’indigne le sénateur de la Loire, « voter ce texte, ce n’est pas respecter notre institution ».
Le texte a tout de même été adopté à 234 voix contre 12. Le sénateur Daniel Salmon a, par le biais d’un amendement rejeté, proposé de renommer la proposition de loi en « PPL visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas Chablais en contournant le droit de l’urbanisme ». « Au moins, ça aura le mérite de dire ce que ce texte souhaite faire », ironise-t-il.