« Le décret est sur le point d’être publié » a précisé la porte-parole du gouvernement à l’issue du Conseil des Ministres le 13 mai. Ce décret d’application doit permettre de concrétiser « dans les semaines à venir, en mai ou en juin », une annonce faite il y a deux mois par Emmanuel Macron. Pour récompenser leur engagement dans la lutte contre le covid-19, les personnels médicaux et non médicaux vont recevoir une prime.
Tous ceux qui exercent dans les 40 départements les plus affectés par la pandémie toucheront 1 500 euros. Sur le reste du territoire, la même somme sera versée à ceux qui travaillent dans un établissement ou un service accueillant des malades du covid-19. Pour tous les autres, la prime sera de 500 euros. Coût total de l’opération pour le gouvernement : 1,3 milliard d’euros.
Inquiétude pour les assistants de régulation
« C’est une bonne chose », juge Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence. « Cela montre que le gouvernement reconnaît l’engagement et l’adaptation des professionnels des urgences dans cette crise. Mais il faut faire très attention à n’oublier personne » prévient-elle. Tant que le décret d’application n’a pas été publié, des interrogations persistent sur la liste des personnels concernés par cette prime.
Les assistants de régulation médicale, qui réceptionnent les appels aux urgences, ne sont pas considérés comme des personnels de santé, « ce qui est une aberration vu les efforts qu’ils ont fournis pendant cette crise » s’inquiète François Braun. Le Président de Samu-Urgences de France n’est donc pas certain qu’ils puissent toucher la prime, et se dit prêt à monter au créneau si ce n’est pas le cas.
« Ce ne sont pas des primes qu’on veut »
Pour les plus petits salaires, une prime de 1 500 euros n’est pas négligeable. « On ne va pas cracher dans la soupe, je ne peux pas me permettre de dire non » explique Corinne Jacques, aide-soignante aux urgences de nuit de l’hôpital parisien Saint-Louis. Après 30 ans de service elle gagne 2 000 euros par mois. « Mais ce n’est pas des primes qu’on veut, c’est la revalorisation de nos salaires » précise d’emblée cette membre du collectif Inter-Urgences.
Difficultés de recrutement
Pour faire tourner son service, Sophie Crozier, membre du collectif Inter-hôpitaux, manque de personnels, mais elle n’arrive pas à recruter. Neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, elle se dit « consternée » par ces primes « qui ne constituent pas une revalorisation salariale ». Une mesure indispensable à ses yeux pour faire face aux difficultés de recrutements d’infirmiers ou d’aides-soignants. Des métiers qui n’attirent plus suffisamment de jeunes. Mais sans eux, impossible d’ouvrir assez de lits pour accueillir tous les patients qui en auraient besoin. Résultat, ceux qui restent sont sursollicités. « Les personnels sont épuisés, sincèrement, ils pensent à quitter l’hôpital » s’inquiète la neurologue.
Voilà un an que les différents collectifs et syndicats réclament ensemble une revalorisation de la grille salariale dans les hôpitaux. « Le gouvernement a bien été capable de sortir des milliards pour sauver l’économie » remarque amèrement Christophe Prudhomme, médecin urgentiste à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Le porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France appelle le Parlement à voter immédiatement « une loi qui augmenterait de 300 euros le salaire de tous les soignants » dès la fin du mois de mai.
Cerise sur le gâteau
Plus que la prime, ce sont les « mesures gadgets » qui agacent l’urgentiste. Mercredi, le gouvernement s’est dit favorable au don de jours de congé aux soignants par des salariés du privé, et transformables en chèques vacances. « On ne sait même pas si on va pouvoir prendre des vacances cet été. Le député qui a fait cette proposition, je l’invite à venir la présenter dans mon service. Il verra comment il sera reçu ». Quant à la médaille censée récompenser toutes les personnes qui se sont dévouées pendant la crise du covid-19, Christophe Prudhomme la juge « insultante et méprisante. C’est la cerise sur le gâteau » dénonce le médecin.
En tant qu’aide-soignante, Corinne Jacques dit ne pas comprendre le sens de cette médaille dont elle ne veut pas. « De toute façon le job on l’aurait fait, parce que c’est notre travail. On n’a pas besoin de médaille. Est-ce que les caissières, les livreurs, les employés de Rungis, ils vont recevoir une médaille ? » s’interroge-t-elle.
L’arbre qui cache la forêt
D’autres jugent au contraire importante cette reconnaissance de la mobilisation des soignants. « Lorsqu’il y a un décès de pompier dans un feu, il y a toujours une déclaration, mais quand il y a un décès de médecin urgentiste, il n’y a jamais aucune communication » explique Agnès Ricard-Hibon. « Mais cette médaille doit s’accompagner rapidement d’un pacte de refondation des urgences ».
Pour François Braun, cette médaille « peut être un plus. Il va falloir lutter contre le stress post-traumatique. Si ça peut aider certains, pourquoi pas » estime le Président de Samu-urgences de France. « Mais comme pour la prime, c’est l’arbre qui cache la forêt ». La forêt, c’est l’amélioration des conditions de travail. « Une réforme est indispensable, on ne peut pas revenir dans la même situation qu’hier. Mais d’abord, sortons de cette crise. Tout vient à point à qui sait attendre » nuance le médecin.
L’interminable attente
Après un an de mobilisation dans les hôpitaux, l’attente se fait longue, et la colère monte, « y compris chez des gens très modérés » précise Sophie Crozier. Pour la neurologue, il faut que le Président de la République « s’exprime très rapidement pour clarifier ses propos ». Le 25 mars dernier, Emmanuel Macron a promis « un plan massif d’investissement et de revalorisation pour l’hôpital » une fois la crise du coronavirus passée. Depuis, le collectif Inter-hôpitaux a sollicité à deux reprises, mais sans succès, une rencontre avec le chef de l’État. « On a tiré le signal d’alarme il y a déjà un an. Notre devoir nous a poussés à soigner les gens, mais il faut que Monsieur Macron ouvre un dialogue » prévient Corinne Jacques, l’aide-soignante du collectif Inter-Urgences. « Avant l’été, il faut qu’il fasse quelque chose ».