« Tout ce qui nous regroupe c’est la solidarité, peu importe l’origine de la misère sociale », explique d’entrée de jeu Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs solidarité. L’organisation s’est jointe au communiqué de la fondation Abbé Pierre publié le mardi 12 avril. L’association rappelle être « non partisane » mais souligne que « les valeurs sur lesquelles elle base son action sont aujourd’hui en danger », expliquant que si Marine Le Pen venait à remporter l’élection présidentielle, l’accueil des personnes en souffrance serait mis en péril par le projet de « préférence nationale, qui maintiendrait ainsi hors de la solidarité du pays des personnes en très grande difficulté », a-t-elle indiqué. Le projet de « préférence nationale » étant un concept porté depuis longtemps par l’extrême droite et qui prévoit de prioriser l’accès à certains droits et infrastructures « aux Français », par rapport aux étrangers vivant sur le sol hexagonal, même si ces derniers travaillent et cotisent en France. « Ce projet est dangereux, il prévoit une distinction dans l’accès aux logements sociaux, à la santé et au travail », détaille Bruno Morel. « Et puis, Madame Le Pen nous parle de 620 000 logements sociaux remis sur le marché parce qu’ils seraient occupés par des « étrangers ». On va donc les mettre à la rue ? Et sciemment faire augmenter la précarité ? », s’inquiète le directeur général de l’association. « Nous suivons 6000 personnes quotidiennement, peu importe leur origine. Ce n’est pas dans notre habitude de prendre position mais lorsque ça touche nos valeurs, c’est essentiel », martèle-t-il.
« Le danger de la banalisation des idées d’extrême droite »
L’association SOS Racisme partage les inquiétudes de la fondation Abbé Pierre et Emmaüs solidarité. Dans un communiqué publié après les résultats du premier tour, l’association souligne le péril de « la banalisation des idées d’extrême-droite » et d’un retour en force « du racisme envers les noirs, les Arabes et les musulmans », critiquant également un quinquennat dont « l’arrogance, la brutalisation sociale jusque dans les corps, la mise à l’écart des corps intermédiaires et des triangulations d’apprentis-sorciers avec l’extrême droite ont également contribué à l’installer », ce que détaille le président de SOS Racisme, Dominique Sopo :
« De notre côté, il n’y a eu aucun débat sur le fait de faire barrage à l’extrême droite, quel que soit le candidat qualifié en face. Mais il est certain qu’Emmanuel Macron a des responsabilités. C’est faux de dire que l’extrême droite monte dans toute l’Europe, le président sortant a fait des clins d’œil à celle-ci en acceptant des interviews avec Valeurs actuelles ou lors de ces appels avec Monsieur Zemmour, avec de surcroît une dédiabolisation de ce qu’est le Rassemblement National sous prétexte de ne pas faire la morale ».
Des conséquences qui poussent l’association à demander aux militants de faire barrage à Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, soulignant le danger, selon elle, d’une candidate qui mettrait en place la préférence nationale : « Oui, nous avons utilisé le terme d’apartheid, car c’est ce que prévoit de faire Madame Le Pen si elle arrive au pouvoir avec sa proposition de préférence nationale, c’est une candidate qui veut entraîner une différenciation juridique entre les personnes, ce qui est inconstitutionnel. Mais nous en sommes à un tel point de dédiabolisation qu’on ne l’interpelle même pas sur ce sujet », s’indigne le président de l’association. Celui-ci se dit inquiet face à ce lissage de ce que représente vraiment Marine Le Pen, mais il appelle aussi le candidat Emmanuel Macron à envoyer des signaux plus clairs aux associations, par rapport à son adversaire d’extrême-droite : « On voit ce que le manque de considération pour les corps intermédiaires a donné : le débat public s’est dégradé et l’on en connaît les conséquences, avec au début de son quinquennat le mouvement des Gilets Jaunes et maintenant Marine Le Pen sur le point de prendre l’Élysée. A titre d’exemple, nous attendons toujours que le président sortant nous appelle après l’agression de nos militants au Meeting d’Éric Zemmour à Villepinte en décembre, je lui ai pourtant demandé de réagir publiquement à l’époque. »
« Les rares fois où nous avons eu affaire au Rassemblement National, c’est dans les tribunaux »
L’autre association française majeure qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la Licra, s’est aussi positionnée dans un communiqué publié le 11 avril, en appelant à voter Emmanuel Macron : « Il n’y a pas eu un long débat, les réactions de certains candidats paraissaient insuffisantes, pour nous il nous est donc paru évident de déposer un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne », explique Dominique Debono de la Licra, considérant que ce positionnement va avec la vocation républicaine d’être dans le dialogue et la coopération avec les partis républicains, un aspect qui serait mis en péril par l’accession du Rassemblement National au pouvoir : « Il est évident que nous sommes en opposition complète avec ce parti qui prône la priorité nationale, une idée profondément inconstitutionnelle ». « Notre dialogue avec Marine Le Pen est inexistant, les rares fois où nous avons eu affaire au Rassemblement National c’est dans les tribunaux en nous constituant comme partie civile pour des affaires d’antisémitisme, de négationnisme ou encore de racisme », ajoute Dominique Debono.
« Le Pacte du pouvoir de vivre » qui rassemble 65 organisations unies, au niveau national et local, pour porter des réponses aux enjeux environnementaux, sociaux, économiques et démocratiques a également appelé à voter, dans un communiqué publié le mercredi 13 avril, contre l’extrême-droite afin de faire face « au danger démocratique et aux conséquences irréversibles que représenterait l’accession de l’extrême-droite au pouvoir ».
« Avec Madame le Pen, le racisme et la misogynie seront décomplexés, pas une voix féministe ne doit aller vers elle »
Les associations féministes ont aussi pris la parole pour faire barrage à la candidate du Rassemblement National, à l’instar du mouvement Nous Toutes, au travers d’un communiqué publié le mercredi 13 avril pour appeler à ce qu’aucune voix féministe n’aille vers l’extrême droite. Fondée en 2018, cette dernière est la plus grosse association féministe française qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « On a attendu quelques jours mais on a très vite senti qu’on avait un rôle à jouer, nous sommes apartisans mais pas apolitiques », explique Lena, militante au sein du mouvement. Celui s’est réuni mardi pour réfléchir à la façon de communiquer sa position entre les deux tours : « Au début, on voulait dénoncer les difficultés que peuvent représenter les deux candidats mais finalement l’inquiétude a dominé et la question ne s’est plus posée, avec Madame Le Pen, le racisme et la misogynie seront décomplexés. C’est compliqué de lutter sous Macron mais ce sera pire avec le Rassemblement National », détaille Léna avant d’ajouter : « Incidemment nous avons des choses à reprocher au quinquennat d’Emmanuel Macron. Il a utilisé la lutte contre les violences sexistes et sexuelles pour son image, il n’a mis en place que des mesures de répression, or, il n’y a toujours aucune place d’hébergement pour les femmes victimes de violence, sans compter ses choix de ministre. » Toutefois, Nous toutes craint bien plus la politique de Marine Le Pen :
« Elle remet le droit des femmes à disposer de leur corps en jeux. Que ce soit, par exemple, sur le droit à l’avortement dont elle veut repasser le délai légal à 12 semaines ou encore sur le port du voile qu’elle souhaite interdire dans la rue. Aucune voix féministe ne doit aller vers elle », insiste la militante.
De leur côté, les syndicats ont également appelé à faire barrage au Rassemblement National le 24 avril, à l’instar de la CFDT dans un communiqué publié le 10 avril ou de la Mutualité française dans une déclaration sur leur site, diffusé le mercredi 13 avril, appelant à voter Emmanuel Macron. De nombreuses associations et syndicats appellent en outre à manifester contre l’extrême-droite. Samedi 16 avril plusieurs rassemblements sont prévus en France, soutenus par la Ligue des droits de l’homme (LDH), la CGT ou le Syndicat de la magistrature (SM). D’autres organisations ont également signé l’appel comme le Syndicat des avocats de France, la Confédération paysanne, les organisations étudiantes Fage, FSE, MNL et Unef, le syndicat Solidaires, les ONG Oxfam, Greenpeace et Amis de la Terre, les associations Attac, Droit au logement et FCPE, ou encore les mouvements antiracistes Mrap et SOS Racisme. A Paris, le cortège partira de la place de la Nation à 14 heures, en direction de la place de la République.