En annonçant ne pas vouloir se représenter en 2026, Anne Hidalgo intronise le sénateur PS Rémi Féraud. Ce proche est à la tête du groupe socialiste de la mairie de Paris. Mais il devra faire face aux ambitions de deux autres sénateurs : le communiste Ian Brossat et peut-être l’écolo Yannick Jadot. Chacun appelle pour l’heure à l’union, voire à une « primaire » de la gauche.
Présidentielle : à Meaux, beaucoup ne veulent pas choisir « entre la peste et le choléra »
Par Public Sénat
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Matinée calme, ce mercredi matin, à Meaux. Grand ciel bleu mais il fait encore froid pour une fin de mois d’avril. Au café tabac de la mairie, quelques hommes prennent un express au comptoir. Rihanna chante dans le poste, la borne de la Française des jeux attend ses joueurs et les Chupa Chups des enfants. Au bar, c’est Leffe ou Stella.
José, 47 ans, assis derrière la fenêtre, regarde dehors vers le parvis de la Mairie. La commune de Jean-François Copé s’est singularisée pour le premier tour de la présidentielle. Elle a placé Jean-Luc Mélenchon en tête, avec 25,8%, suivi d’Emmanuel Macron (23%), Marine Le Pen (21%). Dans cette commune de Seine-et-Marne, située à 47 km de Paris, François Fillon ne fait que 15,4% des voix et Benoît Hamon 6,21%. « Le score de Mélenchon m’a quand même surpris » dit José. Lui ne s’est pas déplacé pour le premier tour. « Je ne vote pas par conviction depuis le référendum européen de 2005. Les urnes n’ont jamais changé quoi que ce soit pour le peuple » pense José, qui travaille dans l’informatique. Le second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ne le fera pas changer d’avis. « Que ce soit l’un ou l’autre de toute façon… Il faudra rebattre du pavé ».
Julien, 32 ans, termine les dernières gouttes de son café au comptoir, avant d’aller chercher sa fille. Lui non plus n’a pas voté au premier tour. « Le découragement. J’étais déçu du dernier Président. Je n’avais ni le temps ni la patience. Mais pour le deuxième tour, je vais quand même y aller ». La première fois que cet exploitant d’une société de transport a voté, c’était lors du second tour de 2002. « On s’était mobilisé pour contrer Jean-Marie Le Pen. Là, je vais retourner voter contre Marine Le Pen » explique Julien.
« Ça motive pour aller voter Le Pen, il faut que ça change »
Sur la place Henri Moissan, juste à côté, un vieux haut-parleur cylindrique accroché en l’air crache de la musique. Ambiance musicale dans les rues du centre-ville. La playlist est bonne. De la soul avec piano, du jazz cool, suivi d’un morceau de hip hop funky. Jacques Esnault, 72 printemps, arrive à petits pas. Pas vraiment un B-boy. Quoique. « Je m’en fous complètement. Je ne vais pas voter » commence-t-il d’emblée. La dernière fois, « c’était en 1995, pour Monsieur Copé ». Mais cette fois, la présence de Le Pen au second tour le « motive pour aller voter pour elle. Faut que ça change ! » Pour Jacques, « elle n’est pas vraiment d’extrême droite. Plutôt de droite un peu musclée… » Il continue : « Et Macron se croit tout permis, comme si tout était gagné d’avance ». Il pense que « tout ça est truqué. Ce n’est pas normal qu’il arrive au bout d’un an ».
Au bout de la rue, se dresse la cathédrale. Bel édifice gothique. Elle n’a qu’une tour. « Vous avez envie de développer du commerce ? Achetez à Meaux ! » encourage le haut-parleur entre deux morceaux. Dans les rues Saint-Rémy et du général Leclerc, qui se suivent, plusieurs vitrines sont vides. « Bail à céder ». Meaux subit le même sort que de nombreuses villes de province : les magasins et petits commerces de centre-ville, concurrencés par les grandes surfaces, ont du mal à tenir. Côté musique, on enchaîne… sur de l’électro. On se croirait presque sur FIP. « Adore », titre de l’artiste français I-Cube, met en apesanteur la rue. Ambiance irréelle qui a fait le bonheur des podiums des défilés de mode ou des bars lounge au tournant des années 2000.
« Macron, j’y comprends rien. Et cette arrogance... Il se prend pour le roi du monde ! »
Thérèse descend la rue, bouquet de roses rouges à la main. « Ça fait du bien à l’âme » dit la retraitée, ancienne chef d’entreprise dans l’édition. Son accent n’est pas vraiment du coin. « Je viens de Provence, née à Aubagne ». Le 7 mai, elle ira voter « absolument » Précision : « Je vote Marine Le Pen. Macron, j’y comprends rien. J’ai essayé pourtant. Et cette arrogance... Il se prend pour le roi du monde ! Mon Dieu, que-ce qu’il nous prépare ce jeune ? Moi j’ai 65 ans. Il me fait peur » jure-t-elle. « Si je ne vote pas Marine, ça veut dire que je lui donne une voix » calcule Thérèse. Pour elle, la candidate du FN « n’est pas pire que les autres ». Au premier tour, elle a voté Fillon. « Mais quand j’ai glissé l’enveloppe, j’ai regretté ». A cause des affaires ? « On s’en tamponne. Si j’avais été à sa place, j’aurais fait la même chose ! » Thérèse conclut, avant de partir à son déjeuner : « On est quand même mal barré… C’est la mierda ». Les haut-parleurs sont passés au classique : le Bolero de Ravel avec son roulement de tambour, comme une avancée inexorable – presque de la techno avant l’heure finalement – son crescendo et son final grandiose.
Dans la rue piétonne, celle du général Leclerc, on croise trois hommes. Eux aussi sont attirés par l’extrême droite. « Je ne vote pas Macron et je ne veux pas m’abstenir » explique le plus grand, 52 ans. « Moi c’est Gérard, pas Jean-Marie, hein » plaisante-t-il. Le plus jeune, Arnaud 26 ans, attend « de voir le débat » mais il est « plus Le Pen ». Le troisième, David, hésite encore.
« Ça m’emmerde. Ça me ronge même. Mais entre la peste et le choléra, je ne sais pas »
De nombreux Meldois semblent prêts également à s’abstenir. La faute à une finale qui ne les fait pas rêver. Claudine, retraitée de 67 ans, « pense voter blanc », comme au premier tour. « Mon candidat, c’était Valls. Mais pourquoi avec les primaires ont-ils scié les deux partis ? » se demande celle qui habite Meaux depuis 27 ans. Valls ne soutient-il pas Macron ? « Oui, c’est pour ça que je réfléchis encore. Mais je ne le comprends pas. Je ne vois pas où il veut en venir. Il n’est pas clair ».
Florence a elle « voté Hamon, sans conviction ». Maintenant, elle est « paumée. Je n’ai pas de parti. Aucun candidat ne me représente. Et l’extrême droite me fait peur » explique Florence, qui est dans le marketing. Le second tour la travaille : « Ça m’emmerde. Ça me ronge même. Mais entre la peste et le choléra, je ne sais pas. Macron n’a pas de solution. Et il revend mon pays, avec la privatisation de l’aéroport de Nice ». Elle a le sentiment de ne pas avoir été aidée, quand il fallait : « Je me suis retrouvée sans emploi à une époque. J’ai demandé de l’aide à la Caf. On m’a envoyé chier d’une puissance ! Je suis repartie en pleurant. On donne à tout le monde mais pas à des gens dans ma situation. J’ai l’impression qu’être étranger en France, ça va. Mais Français en France, ça ne va pas trop. Mais ce n’est pas pour autant que je vais voter Le Pen ».
Même position pour Martine, retraitée d’une caisse de retraite. « Ni Le Pen, ni Macron. Je ne pense pas voter ». Son mari, Patrick, ancien électro-mécanicien, acquiesce : « C’est la peste et le choléra… » Martine « vote toujours pour la droite » – au premier tour, elle a choisi Fillon – et se dit « écolo, pour la protection de la nature. Ce ne sont pas les idées de Macron. Et Le Pen est trop extrémiste. Mais elle ne me fait pas plus peur ».
Gilles, lui, sera pris par un déplacement le jour du second tour. « On va laisser faire les urnes » dit-il. Une femme, visiblement pressée, n’ira pas dans l’isoloir car elle n’a « pas le temps ». Marilyne, 46 ans, salariée du secteur médical, n’ira pas voter non plus. « Je n’ai pas d’avis » dit-elle. « Si je votais, ce serait pour faire barrage à Le Pen. Mais personne ne m’intéresse au point d’y aller ». Sa fille, Emeline, 17 ans, n’a pas encore le droit de vote. Mais Macron l’« inquiète ». « J’ai vu trop de vidéos bizarres sur Facebook, où il ne fait que se contredire ».
Lionel, conducteur de travaux de 52 ans, surveille son équipe qui travaille à côté de la rue piétonne. Au premier tour, il a choisi Jean-Luc Mélenchon. Au second, « je vote blanc. Aucun des deux ne me convient » dit-il alors que Mélenchon n’a pas encore exprimé de consigne. « J’en ai marre du vote utile. C’est ce qu’on fait depuis des années. On voit ce que ça donne… » lance Lionel.
Voilà une autre électrice du candidat de la France insoumise. Magalie, fonctionnaire de 45 ans et déçue de Hollande, était « partie pour (s’)abstenir » au second tour. Mais elle pourrait changer d’avis : « A chaud, c’était ni l’un, ni l’autre. Mais je suis mariée à quelqu’un d’origine africaine. J’ai des enfants métisses. Marine Le Pen, c’est contre mes convictions ».
Pauline, 29 ans, arrive avec sa poussette. « Que ce soit Le Pen ou Macron, il est temps de changer. Si c’est Le Pen, ce sera la première femme présidente. Si c’est Macron, ce sera le plus jeune » souligne cette fonctionnaire née à Meaux. Mais sa préférence va au FN. « C’est une chance. Il faut voter pour elle ». « Sa politique anti-terroriste, la lutte contre les flux migratoires et le retour des frontières, ce ne serait pas mauvais » dit Pauline, qui a voté Dupont-Aignan au premier tour. Elle pense que « Copé a peut-être du mouron à se faire avec Mélenchon qui est arrivé en tête ici ». « Beaucoup de commerces ont fermé dans le centre » regrette-elle, « Copé s’est concentré sur le renouveau de la cité Beauval. C’était très chaud avant mais ça s’est calmé ».
Allons voir cette cité. Il faut sortir du vieux centre historique. A l’extrémité est de la ville, le canal de l’Ourcq marque la frontière physique qui ceinture le quartier Beauval. C’est au milieu de ses nombreuses tours, où 80% des habitants touchent les minimas sociaux, qu’a été tourné le film de Jean-François Richet « Ma 6-T va crack-er », sorti en 1997. Aujourd’hui, la politique de rénovation urbaine a permis de raser plusieurs barres d’immeuble, remplacées par des logements plus petits et d’accession à la propriété, afin de réduire le taux de logements sociaux qui avait atteint ici les 80%.
Peu de passage, en ce début d’après midi, entre les tours. Il fait encore beau, le soleil chauffe le sol. Un orage en formation s’approche. Les premiers coups de tonnerre se font entendre. Une femme, la quarantaine, grosses lunettes et imper beige, approche. « Je ne vais pas voter. Je n’ai pas la nationalité » explique-t-elle. Elle est Sénégalaise. « Je préfère l’autre qui est en tête » dit-elle. Si Le Pen l’emporte, « ma valise est prête ! » lance-t-elle dans un éclat de rire.
« Je vais voter Macron, car je n’ai pas le choix »
Margot, 27 ans, remonte l’allée avec Mona, 30 ans, qui porte un petit voile. « Je vais voter Macron, car je n’ai pas le choix » dit la première, qui travaille dans une blanchisserie. Au premier tour, elle a apporté sa voix à Mélenchon « car il fermait la bouche de Le Pen. Et on comprend ce qu’il pense ». « Et il défendait les immigrés » ajoute Mona. « La plupart des gens ont voté Mélenchon ici » explique Margot, qui trouve en revanche que « Copé est un bon maire. Il a mis des caméras pour sécuriser ».
« On voit beaucoup de vidéos sur les réseaux sociaux qui montrent que Le Pen a des principes qui vont à l’encontre de la couleur de peau des gens » affirme Margot, de père congolais et de mère française de la Guadeloupe. « Elle est raciste » tranche Mona. « On a du mal à trouver du travail parce qu’on est noir. On est né ici, mais on n’est pas considéré comme Français » dénonce Margot. Alors elle ira voter Macron, mais « c’est un choix par défaut ».
Benoît, « né en 1938 », est « très embarrassé » pour le second tour. Cet ancien ancien professeur de mathématique et français refuse néanmoins de « voter Le Pen ». « Je suis quelqu’un d’ouvert. J’ai vécu plusieurs années en Algérie, au Liban. J’ai deux enfants adoptés du Rwanda. Pour moi, le racisme est quelque chose d’idiot » dit Benoît, avant de repartir sur son vélo.
L’orage est sur nos têtes. Une averse de grêle s’abat sur Beauval. On se réfugie au centre social Louis Aragon. Marie-Dominique, 41 ans, s’abrite devant l’entrée. Elle grille une roulée. Cette cuisinière habite la grande tour « Anjou », promise bientôt à la démolition. « Tout le monde est d’accord, vu les dealers qui sont là dès 11 heures dans le hall » explique-t-elle.
Marie-Dominique a elle aussi voté Mélenchon, qui a la cote dans ce quartier populaire. Le second tour ne la motive pas du tout en revanche. « Que ce soit l’un ou l’autre qui passe, la France est dans la merde. Macron est pire que Sarkozy. Enlevez le N, ça fait Macro ! Et Le Pen, ce n’est même pas la peine. J’ai cinq enfants à moitié africains. Mon ex-mari est Malien » raconte Marie-Dominique. « Au deuxième tour, ce sera l’abstention ». La grêle s’est arrêtée, l’orage s’éloigne. Un autre menace déjà.