Emmanuel Macron a fait le plein de ralliements à gauche. A droite, c’est plus compliqué. A part Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur LR de l’Yonne, qui a annoncé son ralliement au candidat d’« En marche ! », ça ne se bouscule pas. Ce ne sont pas les anciens ministres Dominique Perben, Philippe Douste-Blazy ou Anne-Marie Idrac qui suffiront. Il y a bien des centristes de l’UDI, notamment sénateurs, qui font le pas (voir notre article), mais côté LR, c’est une autre histoire.
« Les programmes de Macron et de Fillon sont cousins germains sur le plan économique »
Des députés ou sénateurs ont pourtant discrètement été contactés pour une rencontre ou simplement sondés. « J’ai reçu un appel » glisse un sénateur « en triple off », qui ne préfère pas que ça se sache. On leur souligne « les idées communes » partagées, raconte un autre. « J’ai été contacté » affirme un autre sénateur, tendance juppéiste et critique contre le candidat LR. « Les programmes de Macron et de Fillon sont cousins germains sur le plan économique. J’ai des amis chez Macron, on discute. Mais aujourd’hui je ne suis pas dans des histoires de ralliement » ajoute le même. Du côté des députés, le juppéiste Franck Riester a aussi été contacté. Il a décliné. « Je ne suis pas le seul, c’est sûr » croit un député qui a reçu un appel.
Benoist Apparu, député et proche soutien d’Alain Juppé pendant la primaire, n’a « pas vraiment » été approché pour sa part. « J’ai juste reçu un texto un peu humoristique d’une personne d’« En marche ! » que je connais par une connaissance. J’ai répondu que ce n’était pas mon truc » raconte le député LR à publicsenat.fr.
« Mais quel sera le contexte le 23 avril au soir ? Il peut y avoir tellement de bouleversements »
Dans ces conditions, la rencontre samedi entre Emmanuel Macron et Christian Estrosi, président LR de la région PACA, a dépassé le simple cadre de la « visite républicaine » de « courtoisie », comme l’a présentée Christian Estrosi. Ce dernier a été élu face au FN aux régionales, grâce au retrait du candidat PS Christophe Castaner, aujourd’hui rallié à Macron. Emmanuel Macron, qui pourrait se retrouver face à Marine Le Pen au second tour selon les sondages, a opportunément rappelé « le combat livré par Christian Estrosi aux dernières régionales » face au FN. Christian Estrosi n’a pas caché son « estime, voire (son) amitié » pour Emmanuel Macron…
Cette rencontre n’est pas totalement une surprise. Début mars, le Canard Enchaîné avait révélé que le leader d’« En marche ! » avait échangé par téléphone avec Nathalie Kosciusko-Morizet, Xavier Bertrand, lui aussi élu aux régionales grâce au front républicain, et… Christian Estrosi.
Assiste-on aux prémices du ralliement de Christian Estrosi ? Un élu du sud qui le connaît bien ne le « conçoit pas ». « Mais quel sera le contexte le 23 avril au soir ? Il peut y avoir tellement de bouleversements, que c’est difficile de répondre » ajoute ce parlementaire qui avance dans le brouillard, comme beaucoup d’autres. Pour cet élu, « la seule solution pour que ça ne parte pas dans tous les sens, c’est une victoire de François Fillon ».
« Les gaullistes devront, le moment venu, faire entendre leur voix »
Si une poignée d’élus UDI ont franchi le Rubicon, les Républicains attendent pour se prononcer le résultat de la présidentielle mais aussi celui des législatives. Ceux qui pourraient être tentés peuvent difficilement bouger du fait des investitures pour le scrutin de juin. En cas de ralliement, ils la perdraient. Et une procédure d’exclusion est en cours contre Jean-Baptiste Lemoyne. De quoi faire réfléchir.
Le sénateur Jean-Pierre Grand, qui avait demandé le retrait de François Fillon, se place dans l’après présidentielle. « Mon problème sera d’éviter les dérives idéologiques. En cas de second tour Macron/Le Pen, les gaullistes devront, le moment venu, faire entendre leur voix. Et elle pèsera » promet le sénateur de l’Hérault. Plus clair, il ajoute : « Il est hors de question pour nous que la ligne des LR soient celle de Sens commun (émanation de la Manif pour tous chez les LR, ndlr). Si c’est ça, ils feront sans nous. Là, tout devient possible. Il n’est pas question que le parti LR soit géré par Sens commun » prévient Jean-Pierre Grand. Des responsables de Sens commun ont pris de la place dans la campagne depuis les difficultés de François Fillon.
« Si Macron est élu, tous les gens iront à la soupe »
S’il est encore officiellement difficile d’imaginer l’après présidentielle et d’évoquer une possible défaite de François Fillon, un sénateur LR donne son analyse sous couvert d’anonymat :
« Si Macron est élu, il aura une majorité, contrairement à ce qu’on dit. Tous les gens iront à la soupe. Une bonne partie des députés PS, des centristes – certains y sont déjà. Chez les LR, il en trouvera toujours 30 ou 40. Ça fera une majorité. Quand il y a un sucre, certains se laissent tenter. Ils se diront que la seule solution pour être à nouveau député, c’est d’être avec Macron. Mais ils ne vont pas y aller maintenant, ou juste quelques-uns qui espèrent un strapontin ministériel ».
Pour les élus de la Haute assemblée, le calcul est différent, explique le même : « Quant aux sénateurs, qu’est-ce qu’ils ont à fiche d’aller tout de suite chez Macron ? Rien. Les sénatoriales ne dépendent pas de la présidentielle mais des dernières municipales. Je ne vois pas l’intérêt pour un sénateur d’y aller avant ». Les dernières municipales ayant été remportées par la droite, la majorité sénatoriale sera en effet mécaniquement renforcée lors des sénatoriales de septembre prochain, du fait du mode d’élection indirect des sénateurs.
« En cas de défaite de Fillon, on va aller vers une féodalisation des LR »
« Personne ne sortira du bois avant les sénatoriales » confirme un autre sénateur LR. Mais « en cas d’échec de Fillon, je crois que Les Républicains auront du mal à garder une unité au Sénat » ajoute ce sénateur, qui n’exclut pas même « la création d’un groupe parlementaire de contestation à la ligne officielle. Mais ce mécontentement n’a aucune chance de s’exprimer avant la présidentielle ». Ce sénateur LR ne « sent pas pour le moment de glissement vers Macron ». Mais « s’il est capable de faire des réformes sociale-démocrates en s’appuyant aussi sur le centre-droit, il va surprendre et là, il peut y avoir des mouvements ».
En cas de défaite de François Fillon, ce sénateur craint « un grand morcellement » de son parti : « On va aller vers une féodalisation des LR. Les Républicains du Nord avec Bertrand, ceux d’Ile-de-France avec Pécresse, de l’Ouest avec Retailleau, d’Auvergne-Rhône-Alpes avec Wauquiez et de PACA avec Estrosi. Et une tentative de synthèse avec Baroin, mais sans réel pouvoir, sauf l’AMF ».
Apparu : « Les coalitions, ça dépend des circonstances. Mais ça intervient après l’élection »
Mais avant de jouer un remake heroic fantasy du style du Seigneur des anneaux, il faudra voir quelle tournure prend le paysage politique, en cas de victoire de Macron. Sur ce point, Benoist Apparu pointe les « confusions » entre les termes « d’ouverture, de coalition et de recomposition ». « Récupérer cinq personnes de droite dans un gouvernement de gauche, c’est l’ouverture. Ce n’est pas du tout la même chose que la recomposition idéologique, telle que la présente Emmanuel Macron. Là où je ne partage pas complètement son analyse, c’est que l’idéologie de la droite et du centre existe de manière universelle, on la retrouve dans le monde » souligne Benoist Apparu. Quant à la recomposition, « c’est le modèle allemand, où l’on a un deal entre deux partis car il n’y a pas de majorité ».
« En ce qui me concerne, l’ouverture n’est pas inintéressante mais ne change rien, donc je n’y participe pas. La recomposition n’est pas souhaitable. Et les coalitions, ça dépend des circonstances. Mais ça intervient après l’élection » ajoute Benoist Apparu, qui ne semble donc pas fermer la porte à cette dernière hypothèse. Mais pour l’heure, il convient d’attendre. Une chose est sûre, « le jour où il y aura un second tour Macron/Le Pen, on se positionnera. Mais pas avant ».