L’étau se resserre sur Christophe Castaner. Depuis l’annonce, lundi 8 juin, de son plan de lutte contre le racisme et les violences policières, le locataire de la place Beauvau est comme pris en tenaille. D’un côté, le ministre de l’Intérieur est sous la pression de l’opinion publique après la vague d’indignation mondiale quant à la mort de George Floyd mais aussi l’affaire Adama Traoré relancée dans l’hexagone. De l’autre, il doit désormais éteindre l’incendie du côté des syndicats de police, excédés par certaines de ses annonces. Ce lundi, le ministre avait prôné la « tolérance zéro » contre le racisme. Les syndicats avaient instantanément dénoncé une « stigmatisation » émanant du ministre de l’Intérieur. Christophe Castaner avait été sommé par le chef de l'État de plancher rapidement sur une batterie de mesures destinées à améliorer la déontologie des forces de l’ordre.
« Il nous a jetés en pâture »
« Il nous a lâchés, nous a jetés en pâture lundi. A lui de regravir l'Everest de la confiance », a tonné Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, le syndicat majoritaire au sein des forces de l’ordre. Le leader syndical a également appelé ses collègues « à ne plus interpeller, à ne plus intervenir ». « Les forces de l’ordre sont lâchées » abonde François Grosdidier, sénateur LR de Moselle qui tacle « l’incompétence » du ministre de l’Intérieur à son poste. « Les forces de l’ordre n’ont d’ailleurs jamais été comprises ni soutenues, ou alors de façon chaotique » explique ce fin connaisseur des questions de sécurité intérieure au Sénat. Outre la sémantique du discours du 8 juin qui marque une nette rupture avec le soutien sans faille affiché jusqu’alors par Christophe Castaner envers sa base, ce sont surtout deux annonces du ministre qui ont provoqué l'ire de la police nationale.
Clé d’« étranglement »
La première est technique. Le locataire de la place Beauvau a annoncé la fin de « l’étranglement », une méthode d’interpellation qui permet d’appréhender un individu véhément ou corpulent, par une prise au cou. Le ministre de l’Intérieur n’a pas précisé par quelle autre technique allait remplacer celle-ci et a seulement annoncé vouloir généraliser l’utilisation du pistolet à impulsion électrique (PIE), malgré de nombreuses incertitudes sur la dangerosité de ce matériel. « C’est maladroit parce que les gestes techniques d’intervention ont été élaborés par des dizaines d’années de retour d’expérience » explique François Grosdidier. « Ils ne sont pas immuables certes et ils ont toujours évolué et peuvent encore évoluer, mais il peut y avoir un accident sur 100 000 ou sur 1 million. Comme il y en aura avec le pistolet à impulsion électrique. » Pour le sénateur LR de Moselle, cette annonce relevait d'une mauvaise « communication de crise » que d’une réelle volonté de changement.
« Soupçons avérés » de racisme
Mais le ministre de l’Intérieur a surtout provoqué l’ire des syndicats de police en annonçant sanctionner des fonctionnaires « en cas de soupçons avérés de racisme. » Une formulation malencontreuse, aux contours juridiques flous, qui selon les syndicats, établit une « présomption de culpabilité » pour des agents. Ainsi, certains fonctionnaires de police redoutent de pouvoir être suspendus sur la base d’un simple soupçon.
« Castaner a reconnu sa grossière erreur en la matière »
Ces annonces ont fait l’effet d’une bombe au sein des forces de l’ordre. Plusieurs organisations syndicales représentant les gardiens de la paix, la majorité des effectifs de police, ont été reçues à Beauvau hier pour tenter d’apaiser la situation. Mais face à des syndicats particulièrement remontés, le ministre de l’Intérieur aurait été contraint de rétropédaler. « On lui a très clairement dit que les propos qu'il avait tenus lundi étaient mal adaptés, en particulier sur les soupçons avérés sur lesquels effectivement il y a une incompréhension » a indiqué Philippe Capon, secrétaire général de l'UNSA Police auprès de BFMTV. Selon d’autres participants, comme Yves Lefebvre d’Unité-SGP Police FO, Christophe Castaner aurait même émis des regrets et concédé « une erreur » concernant ses propos sur la possibilité d’interdire la technique de la clé d’étranglement. La suspension en cas de « soupçon avéré est définitivement balayée », s’est-il réjoui à l’issue de la réunion avec le ministre. « Castaner a reconnu sa grossière erreur en la matière » a ajouté le leader syndical. Le cabinet du ministre de l’Intérieur a toutefois fait savoir que les syndicats ne réclamaient pas sa démission. Christophe Castaner rencontre aujourd’hui les syndicats d’officiers et de commissaires de police.
« Macron doit soutenir, respecter sa police »
Si le ministre joue l’apaisement, des policiers se sont rassemblés devant des commissariats partout en France jeudi soir. Certains ont même déposé à terre leurs menottes en signe de protestation. Et la colère ne semble pas redescendre. À l'appel de plusieurs syndicats de police, Alliance, Synergie ou SICP, des agents ont manifesté vendredi matin à Paris en descendant en voiture l'avenue des Champs-Elysées vers le ministère de l’Intérieur, à deux pas de l’Élysée. Les syndicats de police présents espèrent désormais être reçus par Emmanuel Macron, à deux jours d'une allocution très attendue. « On est venu dire au président Macron qu'il doit soutenir, respecter et considérer sa police » a fait savoir Fabien Vanhemelryck, secrétaire général du syndicat Alliance. « La police n’est pas raciste, elle est républicaine » a-t-il ajouté, précisant qu’elle « sauvait des vies quelle que soit la couleur de peau de l’individu. »
« Je comprends leur colère, mais ça arrive un peu trop souvent »
« Je comprends tout à fait leur colère parce que d’une part, ils connaissent des problèmes de fond, qu’on a d’ailleurs retracés dans le rapport sur l’état des forces de sécurité intérieure au Sénat en 2018. Le rapport était assorti d’un grand nombre de propositions et dont beaucoup étaient à portée du budget de l’État. Quasiment aucune n’a été réalisée » peste aujourd’hui François Grosdidier. « Je comprends le malaise des forces de l’ordre mais je déplore quand même qu’ils manifestent un peu trop souvent » nuance le sénateur de Paris (rattaché LR) Philippe Dominati qui s’agace de voir les policiers dans la rue « une fois par an ». « Avant c’était l’exception des forces de l’ordre qui menaçaient de déposer les menottes ou de ne pas exercer leurs fonctions. Maintenant, c’est récurrent » analyse ce parlementaire, spécialiste des questions de sécurité intérieure à la Chambre haute.
« C’est la goutte d’eau »
Ces fortes tensions entre l’exécutif et la police nationale surviennent dans un contexte particulier où les effectifs sont surmenés et à cran. Les effectifs ont été mis à rude épreuve lors de la crise des gilets jaunes, et ont été éprouvés par les accusations récurrentes de violences policières. A cela s’ajoute la mobilisation autour de la réforme des retraites ou encore les deux mois de contrôle du confinement où les agents se sont retrouvés en première ligne, souvent sans protection. Les annonces du gouvernement sont la « goutte d’eau » reconnaît Philippe Dominati. « Ils ont tellement de raisons d’être en colère, et cette colère se manifeste à chaque incident, chaque déception, chaque crise. Et à chaque fois le gouvernement gagne du temps. »
Aussi faut-il rappeler un problème persistant de manque de moyens : véhicules, vétusté du parc immobilier ou encore sous-équipement chronique sur le terrain. Pour François Grosididier, c’est d’ailleurs ce dernier point qui est central.
« Caméras piétons »
Pour rétablir la confiance entre le gouvernement, la police et les citoyens, le sénateur, membre de la commission des Lois, plaide depuis des années pour une généralisation des Caméras piétons. Ces petites caméras embarquées, jugées peu coûteuses, peuvent être activées par l’agent de police lors d’une interpellation par exemple ou dans une manifestation. Le dispositif est pour le moment balbutiant. Selon le ministère de l’Intérieur, quelque 10 000 caméras auraient été distribuées aux forces de l’ordre. Mais depuis la crise des gilets jaunes, le dispositif est réservé prioritairement aux agents détenteurs d’un lanceur de balles de défense (LBD). Aussi, ces caméras sont souvent décriées pour leur qualité d’image médiocre, difficilement exploitable. Malgré ces limites, elles permettraient toutefois, selon François Grosdidier, de « couper court à tout débat » d’accusation de racisme ou d’usage disproportionné de la force. « C’est la caméra qui instruit ou pas des mauvais procès » remarque-t-il. « À partir du moment où tout est filmé, il n’y a plus de discussion et on voit bien dans quelles conditions et dans quel cadre, la force a été utilisée par les policiers, de manière légitime ou non. »