Patrick Kanner : « Les critiques de Stanislas Guerini ? C’est abruti et irrespectueux »

Patrick Kanner : « Les critiques de Stanislas Guerini ? C’est abruti et irrespectueux »

Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat, revient sur le rejet par les sénateurs du plan de déconfinement présenté hier par Édouard Philippe. Quels sont les motifs de ce large rejet ? Pourquoi un tel clash avec le gouvernement sur la responsabilité pénale des maires ? Pour lui, la date du 11 mai ne doit pas devenir une chimère et il faut que les conditions sanitaires avec notamment des masques gratuits et obligatoires, soient réunies. Il répond aux questions d’Oriane Mancini.
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Par Oriane Mancini

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Le rejet du plan de déconfinement :

« Nous sommes dans une logique de construction vigilante. Hier, ce que nous avons voulu marquer c’est que cette déclaration s’inscrivait dans un continuum qui a commencé avec le début de la pandémie fin janvier. Ce n’est pas un vote de défiance parce que nous savons que cette situation exceptionnelle nécessite des mesures exceptionnelles. Ce que l’on a voulu dire au Premier ministre, c’est que votre gestion de la crise depuis 3 mois pose des problèmes et que le déconfinement envisagé en pose d’autres.

Le 11 mai a été fixé peut-être pas de manière précipitée mais disons de manière très médiatique et l’on se demande si le gouvernement était prêt.

On a l’impression que le gouvernement court après le temps et après l’annonce du président de la République. »

La date du 11 mai :

« Nous sommes pour le déconfinement mais il y a de l’anxiété chez les Français. Il y a la question des écoles, celle de l’accès aux masques… Un exemple très concret : mon épouse était tout à l’heure dans une grande surface et il n’y a plus de masques ! On est en train de créer une pénurie sur la pénurie. Est-ce qu’il ne fallait pas éviter que le commerce se mêle de cette fourniture de masques ? Est-ce qu’il ne fallait pas tout simplement fournir des masques à tous les Français ?

On me dit que ça coûterait une fortune mais actuellement on dépense des fortunes pour protéger les Français et c’est tant mieux, alors fournir des masques à quelques dizaines de millions de nos concitoyens c’est possible.

Pour moi, l’accès aux masques doit être gratuit pour tous et tout le monde dès que l’on rentre dans l’espace public.

Les mesures présentées ne vont pas dans ce sens. »

Le port du masque :

« Je pense que dès que l’on rentre dans l’espace public, ces masques deviennent la meilleure mesure de protection collective.

Si c’est un plus, ce n’est pas quelque chose qui doit être aléatoire, ce doit être obligatoire. On ne peut rendre le masque obligatoire dans les écoles ou les transports et ne pas le faire dans l’espace public.

Les Français sont prêts à faire cet effort. »

Les critiques de la majorité LREM :

« C’est abruti et irrespectueux. On ne traite pas ses collègues d’irresponsables comme l’a fait Stanislas Guerini. Nous sommes des parlementaires comme lui.

Le fait qu’il y ait eu si peu de votants en faveur du plan de déconfinement devrait plutôt l’alerter sur la capacité pédagogique du gouvernement.

Monsieur Guerini est la voix de son maître et je peux le comprendre.

En revanche, il peut ne pas être insultant avec ceux qui ne pensent pas comme lui.

Il est dans une logique d’aboyeur mais ce n’est pas ça qui va nous impressionner. Nous l’avons d’ailleurs démontré en retoquant un amendement scandaleux de Mme Belloubet.

La pression ne marchera sur le Sénat. Je crois au rapport de force en politique mais je ne crois pas à la menace et à l’invective. »

La responsabilité pénale des élus locaux :

« L’idée était d’exonérer les maires de leur responsabilité pénale en cas de contamination s’ils ont pris toutes les mesures nécessaires.

Nous nous sommes ralliés à la position du sénateur Philippe Bas parce que nous voulons dire que le gouvernement a créé un état d’exception y compris sur le plan législatif et il veut s’appuyer sur les élus locaux. Ces élus et particulièrement les maires, sont aujourd’hui surexposés dans le cadre des mesures prévues dans le plan de déconfinement. Ils sont surexposés notamment sur le plan judiciaire.

Nous voulons les surprotéger non pas pour les dédouaner de leur responsabilité mais pour éviter qu’il ne fasse l’objet de poursuites alors qu’ils auraient géré normalement cette crise. Ce n’est pas une amnistie que nous demandons mais une protection spécifique limitée dans le temps au profit des maires.

Mme Belloubet s’est fendue d’un amendement rejetant cette proposition et laissant entendre que la bonne voix viendra de l’Assemblée nationale.

Elle s’est entêtée avec des propos qui frisaient la suffisance à l’égard des sénateurs. Le résultat n’a pas manqué puisque son amendement a reçu 327 voix contre et aucun en sa faveur.

Je pense que c’est une alerte qui devrait être prise en compte par la ministre, le gouvernement et Monsieur Guerini.

Nous verrons si les députés de la majorité qui soutiennent cette protection des maires sauront accueillir favorablement cette proposition intelligente et équilibrée du Sénat.

Je précise que notre proposition concerne les maires mais aussi tous les employeurs publics ou tous les responsables publics comme les directeurs d’école. » 

Le rôle des élus locaux :

« Je crois qu’il faut une étroite collaboration entre l’exécutif, les parlementaires et les élus locaux. Je crois en cette République mobilisée à tous les étages contre le virus.

Cela doit se passer dans la confiance et malheureusement depuis le rejet de l’amendement de Mme Belloubet on voit apparaître une petite musique sur les réseaux sociaux qui rappelle la campagne "Balance ton maire". Manifestement, après quelques messages d’amour aux maires, la suspicion est toujours la même.

C’est finalement la conclusion d’une démarche très centralisatrice. »

La réouverture des écoles :

« Le 11 mai est manifestement une date totem pour la majorité LREM. Il ne faudrait pas que ce soit une date chimère. Je suis pour leur réouverture et la bonne date est compliquée évidemment mais si l’on rouvre, on rouvre !

Ouvrir des écoles publiques sur la base du volontariat, c’est créer de l’anxiété chez les parents.

On ne peut rouvrir les écoles sur un coup de dés, à pile ou face, dans l’incertitude.

Peut-être qu’il eut fallu les ouvrir 10 ou 15 jours plus tard mais de manière certaine et maîtrisée.

Moi-même, j’ai un doute. Si j’étais parent d’enfants scolarisables, je me poserais des questions.

Il y a des incertitudes mais je le redis, sur le fond, bien sûr qu’il faut vite que les gamins retrouvent le chemin de l’école.

Un déconfinement raté sera l’assurance d’un reconfinement d’ici quelques semaines. »

Le traçage numérique :

« Le groupe socialiste au Sénat n’est pas unanime sur ce sujet.

Moi je serai de ceux qui portent un amendement visant à permettre ce traçage seulement avec le consentement des intéressés. D’autres veulent le rendre obligatoire.

C’est un sujet compliqué et ce sera un débat extrêmement intéressant. Sur tous les bancs.

La position majoritaire au sein de mon groupe devrait être que les mesures doivent être prises avec ou sans consentement. C’est une position qui ferait primer l’aspect sanitaire et je la respecte. Il y a la position un peu plus juridique qui redoute que ce soit le premier doigt mis dans une machine infernale qui menacerait nos libertés individuelles. »

Le travail du Parlement :

« Je ne parlerais pas de mépris mais il faut arrêter de parler de faveurs. Quand le gouvernement répond à nos demandes d’auditions, on ne fait que respecter la constitution et le contrôle de l’exécutif.

Le gouvernement devrait être un peu plus humble.

Il n’agit aujourd’hui dans des conditions très exceptionnelles que parce que nous avons appliqué l’article 38 qui lui permet de légiférer à notre place.

Près de 55 ordonnances ont été prises depuis le 23 mars.

Chacun doit jouer le jeu et nous demandons du temps pour travailler le fond des dossiers.

Là, il y eut un conseil des ministres samedi et un texte au Sénat le lundi. Ce n’est pas correct.

Du mauvais travail parlementaire revient à ne pas bien protéger les Français.

Cet équilibre-là, il ne faut pas y toucher. Ce n’est pas la première fois et il faut arrêter de tirer sur la corde. »

Les rapports avec l’exécutif :

« Hier, le Président a fait un déplacement et s’est exprimé pendant les débats au Sénat. C’est inélégant par rapport au Sénat et par rapport au Premier ministre. »

La future commission d’enquête :

« Il faut le faire au plus vite. Je souhaite que nous puissions être prêts quand le projet de loi de finances de sécurité sociale arrivera au Sénat. Il y a des mesures importantes sur l’hôpital notamment.

Si on veut bien travailler sur ce PLFSS puis le PLF en décembre, il faut que les préconisations de cette commission d’enquête soient connues et reconnues.

Cela signifie un début de travail dès juin et je crois que c’est aussi l’intention du Président du Sénat, Gérard Larcher. »

 

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