Le 15 mars, Pierre-Jean Birken, secrétaire assesseur, est resté de 7h45 à 21 heures dans son bureau de vote de Saint-Fons. Toute une journée, sans aucune protection contre le coronavirus. « Le soir, pour le dépouillement, on a manipulé les bulletins et les enveloppes sans gants, sans rien, mis à part quelques lingettes et une solution hydroalcoolique » regrette ce candidat de la liste « Saint-Fons en mouvement » dans le Rhône. Il présente aujourd’hui tous les symptômes de la maladie, comme 6 autres colistiers de cette liste citoyenne, dont cinq sont désormais hospitalisés. « Moi je vais m’en remettre, mais j’ai des amis à la santé un peu plus fragile qui ont été hospitalisés. Je suis en colère contre notre Président qui n’a pas eu le courage ou la présence d’esprit d’annuler l’élection. »
Contaminations malgré les gestes barrières
Assesseur dans le 2ème arrondissement parisien, Edward Mayor lui aussi a semble-t-il été contaminé. Toux, fièvre, perte d’odorat et de goût, les symptômes sont apparus au lendemain de l’élection. Mais impossible de dire à quand remonte la contamination. Dans son bureau de vote, toutes les précautions ont été prises, assure-t-il. « On a respecté toutes les mesures barrières : scotch au sol, gel hydroalcoolique, beaucoup de gens amenaient leurs stylos personnels », précise le numéro 2 sur la liste "Paris Centre" d'Anne Lebreton (Cédric Villani). Mais après le dépouillement, les équipes se relâchent. « Une fois à la mairie, plus personne ne respectait les gestes barrière ça c'est clair… Deux semaines après, je me dis qu'il ne fallait pas tenir cette élection, que c'était inconscient… mais c'est facile de dire ça maintenant » concède le trentenaire.
Soirée électorale à risque
Présidente d’un bureau de vote du 15ème arrondissement, Isabelle Lesens confirme qu’après avoir « scrupuleusement respecté toutes les mesures de précaution » durant la journée, tout le monde s’est montré beaucoup moins vigilant le soir venu. « À la mairie, c'était le bouquet » explique la conseillère d’arrondissement. Après le dépouillement, un buffet était organisé. « Des collègues cassaient la croûte sans respecter les règles. On avait tous hâte de finir cette longue journée et j'avais le sentiment que plus personne ne pensait au covid. C’est à partir du lendemain, le 16 mars, que je me suis rendu compte que la crise était grave, bien plus que la veille ». Dans son arrondissement, un président de bureau de vote a été testé positif.
« C’est toujours plus facile de critiquer après »
Eric de Valorger, adjoint au Maire de Compiègne, pense lui aussi être contaminé par le virus, dont il présente tous les symptômes. Le 15 mars, il était président du bureau de vote numéro 5. Toutes les précautions y ont été respectées, assure-t-il. Réélu dès le premier tour sur la liste de Philippe Marini, il n’en veut pas au gouvernement d’avoir maintenu le premier tour. « C’est toujours plus facile de critiquer après, je pense que c’est une situation qui évolue de jour en jour, c’est très compliqué pour nos décideurs » estime Eric de Valorger. Si c’était à refaire, il n’hésiterait pas. « À partir du moment où la décision était prise de maintenir ce rendez-vous démocratique important, et qu’on est des élus, c’était notre devoir » affirme celui qui est aussi premier vice-président du département de l’Oise.
« On y est allés parce qu’on n’avait pas le choix »
Le sentiment du devoir, c’est aussi ce qui a poussé, à contre-coeur, les équipes de la liste « Bron2020 : protéger, respirer ! » à tenir les bureaux de vote dans cette ville de la métropole lyonnaise. Au moins cinq d’entre eux sont aujourd’hui infectés par le coronavirus, dont un vient d’être hospitalisé. Jérémie Bréaud, leur tête de liste, se souvient : « Moi j’ai compris dès le samedi soir que le second tour n’aurait pas lieu dans la foulée, donc le dimanche on y est allés parce qu’on n’avait pas le choix, comme c’était maintenu il fallait qu’on fasse notre devoir civique et qu’on tienne les bureaux de vote » regrette-t-il. Inquiet pour ses équipes, le candidat, soutenu par Les Républicains, estime que le moment n’est pas encore venu de chercher des responsables. « L’heure est au rassemblement, à l’unité nationale. Il est trop tôt pour dire que c’est la faute d’un tel, mais le gouvernement et le Président ont pris des mesures trop tardivement. Il aurait fallu prendre une décision forte et annuler le scrutin. Je pense qu’ils savaient que le risque était élevé. Tout le monde aurait compris s’ils avaient annulé ».
À Saint-Fons, une plainte envisagée contre le gouvernement
Chafia Zehmoul, elle, veut que les responsables soient jugés. Tête de liste à Saint-Fons, 5 de ses colistiers sont aujourd’hui hospitalisés. « Je suis très en colère, parce que je ne sais pas s’ils vont s’en sortir. À un moment je me suis sentie responsable, même si ce sont eux qui ont voulu venir, même si tout le monde me rassure en me disant que ce n’est pas ma faute, psychologiquement on se sent responsable » explique la candidate, qui envisage de porter plainte contre le gouvernement. Son avocat, Me Hervé Banbanaste, étudie les possibilités de saisir la Cour de justice de la République pour blessures involontaires. Une plainte qui porterait non seulement sur le maintien du premier tour des élections municipales, mais aussi sur toute la période de campagne électorale. « Les gens ont lu avec attention l’interview de l’ancienne Ministre de la Santé dans le quotidien Le Monde, où elle indique que le jour de sa démission, c’est-à-dire le 16 février, elle avait conscience que l’élection municipale poserait problème. Or entre le 16 février et le 15 mars, il se passe un mois pendant lequel on va laisser se dérouler la campagne, avec des serrages de main, des accolades, des distributions de tracts, des visites en porte à porte à domicile ».