A-t-on une piste pour débloquer les discussions sur la réforme constitutionnelle ? L’exécutif a mis sur la table depuis l’été dernier une réforme des institutions et de la Constitution. Pour pouvoir être adoptée, elle nécessite un vote des 3/5 du Parlement, et donc les voix de la majorité sénatoriales LR-UDI. Autre solution : une adoption par référendum. Mais elle n’est jamais sans risque.
La voie parlementaire est préférable. Problème : Gérard Larcher a fixé plusieurs lignes rouges. Le président LR du Sénat ne veut pas du non-cumul dans le temps limité à trois mandats identiques successifs. Il entend aussi conserver une bonne représentation des territoires dans le cadre de la réduction du nombre de parlementaires. Soit conserver au moins un sénateur par département et limiter le nombre de départements qui se retrouverait avec un seul représentant. On en compte actuellement sept.
Un « temps de viduité » : une piste de compromis ?
Sur le non-cumul dans le temps, « le deuxième personnage de l’Etat semble disposé à un compromis », selon Le Journal du dimanche. L’idée serait d’appliquer « un temps de viduité ». Le terme renvoie à une disposition du droit, disparue seulement en 2004. Elle concernait les femmes veuves ou divorcées qui devaient attendre 300 jours avant de pouvoir se remarier. On peut le comprendre comme une sorte de délai de carence qui s’appliquerait après trois mandants consécutifs. Il faudrait dans ce cas attendre un temps, à déterminer, avec de pouvoir se représenter à la même fonction.
Selon plusieurs sénateurs interrogés, cette idée n’a cependant pas été évoquée jusqu’à présent dans le groupe de travail du Sénat sur la réforme institutionnelle, qui rassemble tous les groupes politiques, autour de Gérard Larcher. Il en a tiré les 40 propositions de la Haute assemblée sur la réforme. Un sénateur UDI qui suit ces questions n’accueille pas très bien l’idée au premier abord. Il y voit un risque, si jamais un élu place un proche à sa botte, le temps de récupérer le poste : « Ce sont des systèmes de type soviétique. Vous pouvez avoir une autre fonction pendant un mandat puis on redevient Président ou maire le suivant… »
Limitation appliquée à compter du prochain renouvellement des mandats
A relire le discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès de l’Association des maires de France, en novembre dernier, on comprend en réalité que le non-cumul dans le temps laisserait déjà la possibilité à ce genre d’aller-retour entre deux types de mandats, maire et député par exemple. Après trois mandats de maires successifs, un élu pourrait se présenter (ou pas) à une autre élection. Et pourquoi pas revenir devant les électeurs pour les municipales par la suite. Les propos du chef de l’Etat étaient au moins précis sur les différents mandats concernés :
« L’engagement que j’ai pris durant ma campagne est clair et il a d’ailleurs été déjà traduit dans un texte de loi porté par le garde des Sceaux de l’époque, cher François Bayrou (…) : "Une limitation du cumul à trois mandats consécutifs pour les maires, les présidents d’intercommunalité, de département et de région" ».
Autre précision utile apportée par le chef de l’Etat : « Cette limitation s’appliquera à compter du prochain renouvellement des mandats, c’est-à-dire sans tenir compte des mandats précédemment effectués ». Et les communes de moins de 3.500 habitants ne seront pas concernées pour répondre à la crise des vocations dans les petites communes. « Ça veut dire que 90 % des communes de France seront exonérées de cette disposition » rassurait Emmanuel Macron.
De quoi détendre les élus et laisser le temps de voir venir. Pour les sénateurs, la nouvelle règle commencerait à s’appliquer à partir du renouvellement par moitié du Sénat en 2020. Soit, au bout de trois mandats, une application en 2038. Même date pour les maires. Et pour les députés, l’application se ferait en 2037.
« On discute pour pas grand-chose… »
Reste que le non-cumul dans le temps « ne va pas concerner grand monde » constate un observateur au Sénat, « on discute pour pas grand-chose… » En effet, si la règle s’appliquait aujourd’hui, seuls sept sénateurs seraient concernés, répète le président du Sénat. Mais Gérard Larcher en a fait jusqu’ici une question de principe.
Il a pour lui l’article 3 de la Constitution, qui dit que « la souveraineté nationale appartient au peuple » et que le suffrage est « universel ». Pour les constitutionnalistes, cela veut dire que les citoyens ont la liberté de choisir leurs représentants. Gérard Larcher s’appuie aussi sur l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, qui dit que la loi « doit être la même pour tous », que « tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à la formation de la loi ». Ils « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Nouvelle rencontre Macron/Rugy/Larcher
Si la majorité sénatoriale refuse le non-cumul dans le temps, le groupe PS y est revanche favorable : « La position des sénateurs PS, c’est d’approuver clairement cette mesure de limitation à trois mandats successifs. C’est une mesure simple et claire », affirme le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, qui suit ces questions pour son groupe. « Je suis partisan de l’appliquer sans aucun état d’âme ». Le sénateur du Loiret ajoute que « si la loi n’est pas rétroactive, Gérard Larcher peut dormir sur ses oreilles. Pour moi, c’est une mesure sage ».
Pour l’heure, les discussions continuent. Selon nos informations, Emmanuel Macron va à nouveau voir dans la semaine sur le sujet François de Rugy, président LREM de l’Assemblée nationale, et Gérard Larcher. Ce n’est ni la première rencontre, ni certainement la dernière. Mais le temps presse, si l’exécutif espère faire adopter sa réforme d’ici l’été.