Mise en examen d’Éric Dupond Moretti : le groupe socialiste du Sénat demande sa démission
Après un interrogatoire de près de 6 heures par les magistrats de Cour de Justice de la République, Éric Dupond-Moretti est mis en examen pour prise illégale d’intérêts. Une première pour un ministre de la Justice en exercice. La majorité sénatoriale du Sénat ne pousse pas vraiment à une démission du ministre, à l’inverse du groupe socialiste.
Seule juridiction habilitée à poursuivre et à juger des membres du gouvernement pour des infractions dans le cadre de leurs fonctions, la Cour de Justice de la République vient de mettre en examen Éric Dupond-Moretti pour « prise illégale d’intérêts », suite aux plaintes de trois syndicats de magistrats (Union syndicale des magistrats, Syndicat de la magistrature, Unité magistrats SNM FO) et de l’association Anticor.
« Il a été convoqué pour être mis en examen et, sans surprise, il a été mis en examen. Il ne lui a pas été expliqué les raisons pour lesquelles la commission d’instruction a considéré que les indices graves et concordants étaient réunis et justifiaient sa mise en examen », a dénoncé l’avocat du ministre, Christophe Ingrain, à l’issue d’un interrogatoire de près de 6 heures.
Éric Dupond-Moretti est soupçonné d’avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat, ce qu’il réfute. Depuis sa nomination en juillet 2020 place Vendôme, les syndicats de magistrats dénoncent l’enquête administrative ordonnée par le ministre dès septembre contre trois magistrats du parquet national financier (PNF), qui avaient participé à une enquête préliminaire visant à identifier « la taupe » qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. Des facturations téléphoniques détaillées de plusieurs pénalistes, dont celles du futur ministre, avaient été examinées.
Dans le second dossier, il lui est reproché d’avoir ouvert une autre enquête administrative à l’encontre du magistrat Edouard Levrault. Avant de devenir ministre, Éric Dupond-Moretti avait été l’avocat d’un policier mis en examen par ce magistrat et avait critiqué les méthodes du juge.
Jean Castex renouvelle « toute sa confiance » au ministre
Se pose maintenant la question de la démission du ministre ? Une hypothèse immédiatement balayée par l’exécutif. Dans un communiqué, le Premier ministre, Jean Castex indique lui renouveler « toute sa confiance » « et lui demande de poursuivre l’action de réforme et de confortement des moyens accordés au service public de la Justice ».
Le Premier ministre rappelle également la publication d’un décret, avant la remise des rapports de ces enquêtes administratives, « pour en confier la responsabilité au Premier ministre », et ainsi « prévenir tout risque de conflit d’intérêts ».
En Conseil des ministres, cette semaine, Emmanuel Macron avait lui aussi pris fortement la défense de son ministre. « La justice est une autorité, pas un pouvoir. Je ne laisserai pas la justice devenir un pouvoir » a-t-il déclaré selon des propos rapportés par BFMTV.
« La présomption d’innocence s’applique à tout le monde »
Au Sénat, la majorité de la droite et du centre ne pousse pas vraiment à une démission du ministre. Son président, Gérard Larcher, avait déjà indiqué qu’il ne souhaitait pas « la démission du garde des Sceaux si la justice devait prononcer sa mise en examen, qui « ne lève pas la présomption d’innocence ».
Invité de l’émission Parlement Hebdo, sur les chaînes parlementaires ce matin, François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois, est sur la même ligne. « La présomption d’innocence s’applique à tout le monde […] Le garde des Sceaux traverse une période compliquée […] La rumeur, le soupçon, le dénigrement, c’est un poison, il faut garder un peu de distances […] Il y a une chose qui compte, c’est la règle de la preuve. Elle vous préserve du soupçon et de la réaction immédiate. C’est vrai pour le garde des Sceaux et pour tout un chacun ».
Le groupe socialiste ne l’entend pas de cette oreille et demande ardemment la démission d’Éric Dupond Moretti en application de la fameuse jurisprudence Balladur, selon laquelle un ministre mis en cause dans une affaire judiciaire démissionne.
« Il n’a plus sa place en tant que ministre de la Justice »
« La vraie question, ce n’est pas Éric Dupond-Moretti, c’est quelle image on donne de la République. J’ai été ministre pendant trois ans et il ne me serait jamais venu à l’idée de rester en poste si j’avais été mis en examen. On a toujours appliqué cette jurisprudence. Quand on est ministre, on doit être exemplaire. On a besoin de repères dans cette période. Éric Dupond-Moretti est peut-être le chouchou d’Emmanuel Macron. Il a été envoyé au casse-pipe aux régionales dans les Hauts-de-France. C’est un ténor du barreau mais il n’a plus sa place en tant que ministre de la Justice », commente le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner.
« C’est intenable. Il va consacrer beaucoup de temps à organiser sa défense. Et comment va-t-il travailler avec les syndicats de magistrats ou avec le procureur général de la Cour de Cassation (François Molins que la défense d’Éric Dupond-Moretti veut citer comme témoin à décharge). Il est en incapacité d’exercer sa fonction », estime la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie.
En janvier dernier, lors d’une audition au Sénat sur la réforme de la justice des mineurs, et alors qu’Éric Dupond-Moretti n’était simplement visé que par une information judiciaire, la sénatrice lui avait demandé à quelle étape de la procédure judiciaire pensait-il que sa position au gouvernement deviendrait « problématique ».
« Mon crime, Madame la sénatrice, est d’avoir exercé mes fonctions exactement comme l’auraient fait tous mes prédécesseurs dans des circonstances analogues. J’ai suivi les recommandations de mon administration […] Vous ne pouvez pas dire que c’est faux, vous n’en savez rien. Je n’ai rien à craindre, je suis totalement serein ». C’est par ces mots que le ministre de la Justice avait répondu à « l’aimable question » de Marie-Pierre de la Gontrie.
Hasard du calendrier, le ministre est auditionné par la commission des lois du Sénat mercredi prochain dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Sera-t-il toujours aussi serein ?
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.