« Le triptyque tester, protéger, isoler a-t-il pu être mis en place de manière efficace à Mayotte ? ». Formulée au passé, la question d’Alain Milon, président de la commission d’enquête, a de quoi étonner : sur l’île, la crise n’est pas terminée ; l’état d’urgence a été prolongé jusqu’au 30 octobre inclus. Le décalage entre le ressenti en métropole et le vécu à Mayotte a rythmé toute l’audition.
« Un travail rendu pénible et complexe »
Première intervenante, Dominique Voynet, actuelle directrice générale de l'ARS de Mayotte, n’a pas ménagé le gouvernement. L’ancienne sénatrice et ministre de l’Aménagement du territoire a d’abord exposé les éléments qui, selon elle, doivent être pris en compte pour saisir la singularité du cas de Mayotte. La faible proportion de personnes âgées, l’importance de la religion musulmane dans la vie quotidienne, la saturation chronique des institutions médicales et la jeunesse du département – Mayotte est un département français depuis 2011 – permettent, d’après elle, de mettre en perspective la « dynamique de l’épidémie ».
Dominique Voynet a choisi de « dire tout ce qu’elle pense », sans omettre les difficultés rencontrées par les responsables de l’île, « parce que c’est le principe d’une commission d’enquête ». Si elle reconnaît que les relations avec le préfet ont été plutôt fluides, elle a dénoncé des « décisions brutales et inapplicables ayant contribué à rendre le travail plus pénible et plus complexe » sur le terrain, ainsi qu’un certain « amateurisme ». Parmi ces décisions prises au niveau national, l’ancienne ministre cite notamment la suspension immédiate et sans préavis de tous les vols à partir du 20 mars, la mise en place hésitante d’un pont aérien « sous-dimensionné et complexe », ou encore la suppression des vols directs entre Paris et Mayotte. Dominique Voynet a également critiqué le « rythme de production des instructions et la lourdeur de l’interministérielle ». De nombreuses directives auraient été redondantes, et « inadaptées à la réalité du territoire ». La multiplication des réunions, « souvent inutiles », organisées en visioconférence, aurait eu pour conséquence de ralentir les dispositifs d’urgence mis en place pour lutter contre l’épidémie.
Covid-19 à Mayotte ; "Nous avons eu des dizaines d'instructions contradictoires" déplore Dominique Voynet
« Le vertige de l’inconnu »
Catherine Barbezieux Betinas, directrice générale du CHR de Mayotte, a quant à elle insisté sur le décalage entre la propagation de l’épidémie en métropole et ses premières manifestations à Mayotte. Alors que les premiers cas de contamination en métropole remontent au mois de janvier, Mayotte a enregistré son premier patient Covid sept semaines plus tard, soit le 13 mars. Durant cet intervalle, Catherine Barbezieux Betinas dit avoir « constaté le désarroi de la communauté médicale. (…) La première difficulté a été l’inconnu. Quand va arriver l’épidémie… va-t-elle arriver (à Mayotte) ou pas ? ».
« 20 000 masques disparus la première semaine »
Covid-19 à Mayotte: " On a eu 20 000 masques qui ont disparu la 1ère semaine" précise Catherine Barbezieux Betinas
La directrice du CHR de Mayotte, seul hôpital de l’île de 270 000 habitants, a aussi fait part des difficultés à « sécuriser le matériel médical ». Le vol massif de masques de protection a entraîné une vigilance accrue : « Quand on a commencé la crise, on avait 225 000 masques disponibles sur l’établissement, assure Catherine Barbezieux Betinas. On s’est rendu compte qu’il fallait mettre en place des mesures de sécurité, car 20 000 masques ont disparu la première semaine. »
Des mesures ont ainsi été mises en place. Une fouille systématique des sacs a été instaurée, et les services de sécurité ont été renforcés.
« Il faut accroître la place de la démocratie en matière de santé »
Covid-19 à Mayotte: "La communication institutionnelle a eu des effets très limités sur la population"
Joëlle Rastami, membre de l’association France Asso Santé Mayotte, a souhaité revenir sur les ratés dans la communication des autorités. Cette dernière n’aurait produit que des « effets très limités sur les comportements de la population ». En cause notamment, les « modes et moyens de communication multiples » des Mahorais, mais aussi le manque d’adaptation des autorités face aux spécificités locales. En conséquence, l’association France Asso Santé Mayotte propose, pour l’avenir, de « revaloriser la place de la démocratie en matière de santé ».
Des préconisations destinées à mieux gérer une éventuelle nouvelle épidémie, alors que la situation sanitaire est toujours tendue sur l’île. Mayotte compte à ce jour 2 824 cas de coronavirus confirmés. 7 patients sont hospitalisés au CHR, dont 2 en réanimation.