Martin Hirsch défend au Sénat son modèle de services d’expertise « internalisés », plutôt que l’appel à des « gros cabinets anglo-saxons »

Martin Hirsch défend au Sénat son modèle de services d’expertise « internalisés », plutôt que l’appel à des « gros cabinets anglo-saxons »

Le directeur général de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris a livré, devant la commission d’enquête du Sénat, un plaidoyer en faveur de son modèle d’un service d’expertises interne, plutôt qu’une dépendance à des cabinets de consultants internationaux.
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Au moment des réformes du système de santé, certains chercheurs n’hésitaient pas à employer le mot de « consultocratie » pour parler de la présence de plus en plus fréquente de consultants dans les hôpitaux. Les sénateurs de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil ont recueilli ce 26 janvier le témoignage fort de Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (APHP) sur ce sujet. En poste depuis novembre 2013, le haut cadre de santé a expliqué que « l’une de ses premières décisions » avait été de « mettre fin à des prestations et à ne pas utiliser des marchés qui avaient été ouverts avec des grands cabinets de consultants pour des prestations stratégiques pour l’APHP », notamment les missions de conseil stratégique auprès de la direction générale. Selon Martin Hirsch, ces entreprises avaient des « marchés assez récurrents » auprès de l’établissement public, et ce, pour des montants « significatifs ».

Depuis, les choses ont évolué, avec le recrutement pour l’AP-HP de ses propres experts, et la création d’un service dédié, la « direction de la stratégie et de la transformation ». « Il m’a semblé qu’il valait mieux internaliser plutôt que de se reposer sur ces cabinets externes », a fait valoir Martin Hirsch. Il fournira à la commission d’enquête une estimation sur l’impact budgétaire d’une telle mesure. Il a cependant fait mention des travaux de la Cour des comptes, qui ont observé un « net ralentissement depuis fin 2013 » du recours aux prestations de conseil, avec des « montants plus modestes ».

Pour les années 2019, 2020 et 2021, il évoque des dépenses de conseil de l’ordre de « 2,5 millions d’euros par an », à mettre en rapport avec le budget général de l’institution de 8,3 milliards d’euros. Parmi les missions ayant fait l’objet d’un appui en conseil extérieur : une opération pour le codage des actes hospitaliers, une étude sur l’organisation logistique de l’AP-HP ou encore un conseil sur la gestion du parc de logements.

« Plutôt que d’attendre le poisson, vous avez décidé d’apprendre à pêcher »

Le directeur général a cependant indiqué que cette internalisation en expertise n’empêchait pas des recours ponctuels, « limités » et « techniques », notamment pour des questions liées à l’informatique. L’intégration de consultants dans les rangs de l’AP-HP a eu soutien dans la commission d’enquête, comme de la part de Nathalie Goulet, sénatrice centriste. « Cette audition a quelque chose d’extrêmement éthique. Plutôt que d’attendre le poisson, vous avez décidé d’apprendre à pêcher. »

La rapporteure de la commission d’enquête, Éliane Assassi, a également été curieuse d’entendre le point de vue du directeur général, sur l’utilité ou non pour l’administration en général de recourir à des consultants. « Quelle est la plus-value d’un cabinet de conseil généraliste comme McKinsey dans la mise en œuvre d’une politique de santé publique ? »

Martin Hirsch n’a pas livré son ressenti direct sur la prestation du cabinet américain, appelé par le gouvernement pour le conseiller sur la logistique de la campagne de vaccination notamment. « Je n’ai pas eu à travailler avec eux », a-t-il répondu. En revanche, il a constaté que les choses sur le plan de la campagne de la vaccination s’étaient « faites dans de bonnes conditions ». L’appel était-il pour autant « nécessaire », a reformulé la sénatrice communiste. « Face à un enjeu majeur, et dans lequel éventuellement il faut pouvoir mobiliser de l’expertise très rapidement, je comprends qu’elle puisse ne pas être disponible en interne », analyse le numéro 1 de l’AP-HP.

Précisant que le recours à des grands cabinets « anglo-saxons » n’était « pas perçu comme quelque chose de positif » dans le personnel médical, Martin Hirsch estime que la réputation de grands cabinets, appelés par des « clients prestigieux », peut constituer une autre piste d’explication. « L’aspect psychologique n’est probablement pas à minimiser », selon lui.

Au début de l’audition, le directeur confie d’ailleurs que les hôpitaux sont « beaucoup sollicités » par les cabinets. Il confie même avoir été lui-même approché. Un consultant d’un « petit cabinet », affirmant être « très bien en cour », lui aurait fait savoir qu’il aurait « des tas d’ennuis » s’il « ne faisait plus appel à lui » (lire notre article). Ces sollicitations en grand nombre, telles que le relate Martin Hirsch, étonnent le président de la commission d’enquête, Arnaud Bazin (LR). « C’est plutôt le mouvement inverse, auquel on devrait s’attendre. C’est un peu perturbant. » « C’est la réalité », confirme Martin Hirsch. Selon lui, il serait cependant « compliqué d’interdire » le démarchage. « L’interdiction peut susciter des moyens détournés ».

« Il y a un risque qu’un engagement pro bono puisse être une manière de se rendre indispensable »

Le dirigeant de l’AP-HP évoque par ailleurs le cas de membres de cabinets qui, à titre individuel, ont proposé leur aide au moment de la première vague en 2020. « Certains salariés des sociétés de conseil, au chômage technique pendant la crise Covid, sont intervenus à titre bénévole », témoigne-t-il. Certains ont apporté leur concours pour mettre en place la plateforme informatique de suivi des patients atteints de covid, laquelle a concerné jusqu’à 500 000 malades. Martin Hirsch a salué des « expertises et compétences » qui ont été « tout à fait utiles ».

En dehors des circonstances exceptionnelles d’une crise pandémique, le directeur général de l’AP-HP a admis que les prestations pro bono (« pour le bien public », donc bénévoles) n’avaient « pas de sens ». Et de partager aux sénateurs sa méfiance sur ce type d’intervention : « Il y a un risque qu’un engagement pro bono puisse être une manière de se rendre indispensable après une prestation. »

Il a par ailleurs démenti que l’AP-HP ait pu faire appel au Boston Consulting Group (BCG), lequel était auditionné par la commission la semaine dernière. Martin Hirsch a affirmé que l’AP-HP n’était en lien qu’avec l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) dans le développement d’un outil prédictif des hospitalisations, basé sur les appels du SAMU.

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