Maintien de l’ordre : Gérald Darmanin veut encadrer les manifestants et les journalistes

Maintien de l’ordre : Gérald Darmanin veut encadrer les manifestants et les journalistes

Usage des LBD encadré, remplacement des grenades de désencerclement, mobilité des forces de l’ordre et place particulière réservée aux journalistes et aux associations… 18 mois après son lancement, le ministère de l’Intérieur publie son nouveau schéma national du maintien de l’ordre déjà fortement critiqué.
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Il aura fallu attendre plus d’un an pour voir la mise en place nouveau schéma national du maintien de l’ordre. Jeudi soir, un texte de 29 pages, signé de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, est publié sur le site du ministère. Une nouvelle doctrine qui vise à s’adapter à la gestion des manifestations.

L’émergence du mouvement des gilets jaunes, fin 2018, a apporté un flot de polémiques sur la gestion des manifestations en particulier parisiennes. Depuis novembre 2018 : « Vingt-cinq éborgnés », « cinq mains arrachées », « un pied déchiqueté », « neuf pertes de dents », « deux pertes d’odorat » recensait l’avocat Jean-Pierre Mignard dans une tribune du Monde en janvier dernier.

En début d’année, le vice-président du Sénat, David Assouline interrogeait Laurent Nunez, à l’époque secrétaire d’État auprès du ministère de l’Intérieur, en ces termes : « Allez-vous continuer à être les seuls en Europe à mettre des LBD (lanceurs de balles de défense) et des grenades GLI-F4 qui contiennent du TNT entre les mains de ceux qui ont en face d’eux des manifestants très largement pacifiques et non pas des soldats ennemis et non pas des terroristes ? »

Le nouveau schéma national de maintien de l’ordre prévoit désormais le remplacement des grenades à main (GMD) par des grenades à éclats non létaux (GENL). Le texte rappelle également l’abandon de la grenade GLI-F4 depuis janvier au profit de la grenade GML « qui ne contient pas d’explosifs ».

Une nouvelle doctrine nécessaire « en raison de nouvelles formes de manifestations »

En ce qui concerne l’usage des LBD, la nouvelle doctrine prévoit un meilleur encadrement. Les tireurs devront désormais être assistés d’un « superviseur chargé d’évaluer la situation d’ensemble et les mouvements des manifestants. François Grosdidier, ancien sénateur LR et co-auteur d’un rapport parlementaire sur le malaise des forces de sécurité intérieure, rappelle « que les LBD ne sont pas des outils pour le maintien de l’ordre mais pour lutter contre les violences urbaines. Son usage était déjà encadré mais les agents qui l’utilisaient n’étaient pas forcément bien formés ». « Dans une manifestation, vous avez les mouvements de foules, les gaz lacrymogènes, ce n’est pas le cadre idéal pour son utilisation » note-t-il. Pour l’ancien sénateur, cette nouvelle doctrine était nécessaire « mais pas en raison de bavures, en raison de nouvelles formes de manifestations qui ne sont plus encadrées et où s’introduisent des éléments qui veulent casser, voir agresser » estime-t-il.

« La nécessité de travailler sur un nouveau schéma du maintien de l’ordre vient du fait que les dernières manifestations se sont très mal passées avec un recours excessif de l’usage de la force » estime au contraire Anne-Sophie Simpere, responsable plaidoyer Libertés à Amnesty International France.

Pas de mesure « d’apaisement » regrette Jean-Pierre Mignard

Pour répondre à « l’infiltration plus systématique des casseurs au sein des cortèges », « une plus grande mobilité des forces est un « impératif » écrit Gérald Darmanin. Il reprend de fait les préconisations du préfet de police de Paris, Didier Lallement. « Si on veut garder tous les endroits susceptibles d’être symboliques, l’ensemble des unités de force mobiles de France ne suffiront pas. D’où la mobilité » avait-il justifié devant les sénateurs en avril 2019.

« Il n’y a rien de nouveau dans cette nouvelle doctrine » considère Jean-Pierre Mignard qui regrette l’absence de mesures « d’apaisement », comme la mise en place d’une commission ad hoc visant à indemniser le plus rapidement possible les personnes blessées par les forces de l’ordre, et qui ne font l’objet d’aucune procédure. « Ce serait un effort de réparation comme on a pu le voir après les manifestations contre la loi Devaquet. L’État présumerait alors de sa responsabilité. Je me suis entretenu de ce sujet avec Emmanuel Macron pendant 90 minutes et il m’a donné son accord de principe. J’attends qu’il se traduise dans les faits » rapporte l’avocat, membre du comité politique d’En Marche durant la campagne présidentielle.

Parmi les nouveaux éléments de la doctrine, on retient tout de même « la modernisation des sommations » afin « d’exprimer plus clairement ce qui est attendu de la part des manifestants ». « C’est une communication qui est unilatérale et qui ne va pas aller vers une stratégie de désescalade » note Anne Sophie Simpere qui se dit « déçue » de voir cette nouvelle approche du maintien de l’ordre centrée sur la répression « même si le droit de manifester est réaffirmé ».

« Gérald Darmanin bafoue la liberté de la presse »

Quid de la liberté d’informer ? En effet, le nouveau schéma national du maintien de l’ordre insiste sur « la reconnaissance de la place particulière des journalistes au sein des manifestations ». Afin de garantir « une prise en compte optimale des journalistes et de protéger ainsi le droit d’informer », le texte autorise les journalistes « à porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation ». Une phrase ambiguë pour Amnesty International. « Il s’agit d’un encadrement très fort des journalistes. Que veut dire identification ? J’espère qu’il ne s’agit pas d’avoir une carte de presse car elle n’est pas nécessaire à l’exercice du métier de journaliste » rappelle Anne Sophie Simpere.

« Toutes les mentions, dans ce schéma, consiste à dire qu’il faut contrôler les journalistes. Le ministre de l’Intérieur bafoue la liberté de la presse » s’insurge Dominique Pradalié, journaliste et secrétaire générale du SNJ (Syndicat national des journalistes).

« Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, les journalistes et les membres d’association doivent, comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser ». Une phrase qui pose là aussi problème à Amnesty International. « Nous avons une mission d’observation du respect des droits humains. L’obligation de se disperser va à l’encontre de notre mission reconnue par le droit international. Il serait bien que le ministère de l’Intérieur la reconnaisse aussi ».

« Ça rappelle un peu le système mis en place pendant la guerre du Golfe »

Enfin, seuls les journalistes « accrédités » pourront bénéficier d’un « canal d’échange dédié mis en place, tout au long de la manifestation ». « On assiste au rêve de Gérald Darmanin qui veut embarquer les journalistes là où il veut. Ça rappelle un peu le système mis en place pendant la guerre du Golfe. Le ministre n’a pas consulté les représentants de la profession pour la rédaction de ce texte. Je rappelle que depuis fin 2018, plus de 200 journalistes ont eu de graves problèmes avec les forces de l’ordre. C’est un texte qui entend éduquer les journalistes au travail des forces de l’ordre et non d’éduquer les forces de l’ordre au travail des journalistes » relève Dominique Pradalié.

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