Après les privatisations d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux, le Sénat a retiré, dans la nuit de mercredi à jeudi, l’une des autres dispositions phares du projet de loi Pacte (croissance et transformation des entreprises) : le renforcement du rôle social et environnemental des entreprises.
S’inspirant du rapport remis en mars 2018 par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat (« l’entreprise, objet d’intérêt collectif »), l’article 61 du texte prévoyait de dépoussiérer l’un des chapitres du Code civil sur l’entreprise. Dans sa version actuelle, l’article 1833 dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés ». Le projet de loi Pacte prévoyait de le compléter, à la lumière de nouveaux enjeux du XXIe siècle : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
Selon le gouvernement, l’article ne fait que consacrer une jurisprudence sur l’intérêt social, et oblige les employeurs à examiner les effets de leurs décisions sur le plan social et environnemental. Il n’est question que d’une obligation de moyens, et non de résultats.
Risque de contentieux
Une très grande partie du groupe LR a considéré que cette modification risquait de créer une instabilité juridique pour les entreprises, en contradiction avec l’objectif du projet de loi, à savoir simplifier leur quotidien et assouplir certaines contraintes. « Il est de nature à favoriser des actions en responsabilité en raison d'une prise en considération, que certains acteurs pourraient estimer insuffisante, des enjeux sociaux et environnementaux. Comment le juge interprétera-t-il alors cette notion imprécise ? » s’est inquiétée la sénatrice (LR) Patricia Morhet-Richaud.
« Cela n'impose aucune contrainte supplémentaire mais sécurise les entreprises », assure le rapporteur du texte
Comme nous l’avions expliqué, ce point du projet de loi avait déjà suscité des craintes lors de l’examen en commission spéciale au mois de janvier (relire notre article). Michel Canevet, le rapporteur (UDI) de ce chapitre, a rappelé à ses collègues que la commission avait retravaillé la rédaction, pour la sécuriser juridiquement. Regardez :
Intérêt social de l'entreprise : la commission spéciale sur la loi Pacte défend sa position
Pour le sénateur centriste, « on ne peut faire l’économie d’une évolution de la définition de l’entreprise ». Il a d’ailleurs pris l’exemple de la sécurité alimentaire, épinglée d’ailleurs la veille dans le dernier rapport annuel de la Cour des comptes (relire notre article). « Nous sommes tous choqués des scandales alimentaires qui se multiplient. La responsabilité sociale des entreprises figure dans le Code de commerce, mais il convient de l'étendre à toutes les formes de société. »
« Irréaliste pour une TPE ou une PME », dénonce un sénateur UDI
Pas suffisant pour convaincre ses collègues. Marc Laménie (LR), s’est inquiété d’une « nouvelle embûche pour le monde économique ». Sophie Primas, présidente (LR) de la commission des Affaires économiques (LR), a estimé, sur la responsabilité sociale et environnementale, que c’était aux « entreprises d'en faire un outil de différenciation » et que « l'inscrire dans le Code civil anéantirait cet élan ».
La secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, qui a reçu sur cet article le soutien inhabituel du sénateur communiste Fabien Gay, n’aura pas réussi à faire infléchir la droite sénatoriale. « C'est un article équilibré, qui ne présente pas de risque d’ouvrir la boîte de Pandore», selon elle. « La rédaction a été pesée au trébuchet avec le Conseil d'État », a-t-elle tenté de rassurer.
Enjeux sociaux et environnementaux : « C'est un article équilibré » (Pannier-Runacher)
« La ministre dit que tout a été pesé au trébuchet. En fait, ce qui nous gêne, c’est que toute cette notion est risquée, elle est extrêmement large […] Comme toute obligation de moyens, il convient de se ménager la preuve que cette dernière a bien été remplie […] Tout ça est irréaliste pour une TPE ou une PME », a répliqué le sénateur (UDI) Olivier Cadic, entrepreneur de profession, et qui se définit comme libéral.
Enjeux sociaux et environnementaux : « cette notion est risquée, extrêmement large » (Olivier Cadic)