C’est aujourd’hui que le Sénat devrait voter dans les mêmes termes la proposition de loi « anticasseurs » déjà adoptée par l’Assemblée nationale le 5 février dernier. Hier, Emmanuel Macron a fait savoir par la voix de Benjamin Griveaux qu’il va saisir lui-même le Conseil constitutionnel. Les Sages devront dire si oui ou non la future loi anticasseurs constitue une entrave aux libertés fondamentales.
Cette décision du Président ne fait pas l’unanimité au Sénat, jusque dans les rangs de la majorité LR emmenée par le Bruno Retailleau, qui demandait hier à Emmanuel Macron de « laisser le Parlement travailler sereinement. » « C’est d’abord choquant sur le plan institutionnel car le Président de la République s’ingère dans le processus législatif » souligne ce matin le sénateur LR François Grosdidier qui estime qu’Emmanuel Macron attend la décision du Conseil constitutionnel « pour donner un cap ».
Même son de cloche pour le sénateur LR, François-Noel Buffet, qui estime que « le Président sort une nouvelle fois de son rôle et s’étonne de cette saisine avant même le vote définitif de la loi : « Que les parlementaires demandent une saisine sur ce texte, c’est une idée mais je crains que le Président sorte une nouvelle fois de son rôle. C’est sans doute pour essayer d’anticiper une saisine des gens qui le soutiennent. »
Saisine du conseil constitutionnel : le Président de la République s’ingère dans le processus législatif » souligne le sénateur LR François Grosdidier
« Il a raison car il y a des doutes de constitutionnalité sur ce texte »
Ce sont trois articles du texte qui ont créé des tensions dans les débats du Parlement. C’est précisément ces trois articles qui sont concernés par la saisine d’Emmanuel Macron : l'article 1 qui autorise les forces de l'ordre à procéder à des fouilles aux abords des manifestations, l'article 2 qui prévoit notamment des interdictions administratives de manifester et l'article 4 qui crée un délit de dissimulation de visage. Les députés ont été plus loin que les sénateurs en matière d’interdiction administrative de manifester. Prévue au cas par cas, et sur périmètre donné, dans le texte initial du Sénat, la version de l’Assemblée permet à un préfet de procéder à cette interdiction sur une durée d’un mois et sur tout le territoire national.
« Je crois qu’il a raison car il y a des doutes de constitutionnalité sur ce texte » affirme ce matin Jérôme Durain, sénateur socialiste et membre de la commission des lois. Il dénonce néanmoins le cheminement législatif de ce texte : « Les LR en font un argument tactique contre le gouvernement, En Marche est très divisé (…) On n’y comprend plus rien. »
Interrogé par le Figaro, le Président de la commission des lois, Philippe Bas affirme que cette saisine est « une excellente décision » « Je m'étais déjà interrogé sur ce texte, car l'Assemblée est allée assez loin, en particulier dans ses ajouts à l'article 2 », poursuit-il. La sénatrice centriste Françoise Gattel voit également d’un bon œil cette saisine car il y a « une fragilité sur les interdictions administratives de manifester. »
Pour la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio, « le Président veut s’assurer que cette loi n’est ni liberticide, ni une loi qui empêche de manifester. » Elle dit espérer « que le Conseil constitutionnel confortera l’idée que nous pouvons manifester en toute liberté. »
Françoise Gattel, sénatrice centristes et Jérôme Durain, sénateur PS, comprennent la saisine du Conseil constitutionnel par Emmanuel Macron
« Ce n’est pas une première mais ça reste extraordinaire »
Si beaucoup s’étonnent de cette saisine, il faut rappeler que François Hollande avait fait la même chose avec la loi renseignement sur le respect de la vie privée. Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier souligne « qu’habituellement, lorsque le Président saisit, c'est sur des traités internationaux. » Il répond également que les accusations d’ingérence d’Emmanuel Macron dans le travail du Parlement ne sont pas fondées : « Il est dans son rôle de gardien de la Constitution. S’il ne saisit généralement pas, c'est parce qu'il n'y a pas intérêt. »
Cette saisine d’Emmanuel Macron permet à l’exécutif de devancer celles annoncées par les groupes socialiste, insoumis, communiste et le groupe Libertés et territoires à l’Assemblée nationale. « Il veut court-circuiter les parlementaires de son camp qui s'y opposent et réfléchissent à saisir le Conseil constitutionnel » affirme également Jean-Philippe Derosier.