L’évènement est informel mais il déchaîne les passions, notamment à droite. La venue ce 23 juillet dans l’enceinte de l’Assemblée nationale de la jeune suédoise, Greta Thunberg, érigée en icône de la mobilisation internationale d’une partie de la jeunesse contre le réchauffement climatique, est très critiquée par une partie des députés LR. Cette rencontre à la mi-journée n’aura ni lieu dans l’hémicycle, ni dans le cadre d’une commission parlementaire, elle est à l’initiative du collectif transpartisan « Accélérons la transition ». Ce groupe, animé par le député Matthieu Orphelin (ex-LREM), un très proche de Nicolas Hulot, compte d'ailleurs 6 députés Les Républicains sur les 162 de l'ensemble.
Figure la plus médiatisée, Greta Thunberg ne sera pas la seule à s’exprimer devant les parlementaires : des représentants du mouvement « Youth For Climate » (la Jeunesse pour le climat), ou encore la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte (membre du Giec), seront également présents. À droite, et parfois au centre, y compris dans la majorité présidentielle, les esprits se sont échauffés sur l’opportunité d’inviter la lycéenne, devenue la porte-parole d’une génération.
Deux des trois candidats à la présidence des Républicains (avec le président du groupe Christian Jacob) n’ont pas ménagé leurs coups sur Twitter. Guillaume Larrivé appelle ses collègues à boycotter celle qu’il nomme un « gourou apocalyptique », quand Julien Aubert se refuse à applaudir une « prophétesse en culottes courtes » et un « prix Nobel de la peur ». Plusieurs de leurs collègues du groupe leur ont apporté publiquement leur soutien.
« C’est quasiment la grande prêtresse de l’écologie » : la gêne d’une sénatrice
Chez les sénateurs LR, la venue de la figure de proue des contestations lycéennes du vendredi, divise également. Avec plus de tact. « Je n’emploierai pas des termes désagréables à son endroit. On a entendu des choses très méprisantes », réagit la sénatrice LR Catherine Deroche. Le sénateur Jérôme Bascher assure comprendre ses collègues députés, mais appelle néanmoins à « essayer d’être raisonnable sur les termes » employés. « Ils sont candidats, ils ont besoin peut-être de faire leur buzz », se désole le sénateur LR Max Brisson, déplorant des « formules dévalorisantes et méprisantes ».
Mais sur le fond, ils partagent eux aussi leur gêne. « L’importance qui lui est donnée est, à mes yeux, exagérée. C’est quasiment la grande prêtresse de l’écologie. On la reçoit comme un chef d’État », déclare Catherine Deroche. Greta Thunberg avait été reçue par Emmanuel Macron en février, avant d’être distingué ce dimanche par le prix Liberté 2019 en Normandie, aux côtés de vétérans américains. Si la sénatrice du Maine-et-Loire, qui a parrainé Julien Aubert pour la présidence de LR, veut croire aux « bonnes intentions » de la Suédoise, elle estime que « l’exploitation de sa venue » n’est « pas raisonnable ». La sénatrice n’apprécie pas non plus son retrait du lycée durant une année, pour mener ses combats. « Elle serait mieux à l’école », s’inquiète-t-elle.
« Les députés LREM s’en sortent à bon compte », raille un sénateur
L’évènement de l’Assemblée nationale agace également Jérôme Bascher, le sénateur de l’Oise, qui a choisi d’apporter son soutien à Guillaume Larrivé. « À force d’inviter n’importe qui, on fait n’importe quoi », souligne-t-il. « Il aurait mieux valu que la vice-présidente du Giec soit l’invitée d’honneur que cette jeune suédoise. On a peut-être inversé les priorités intellectuelles. »
Pour Jérôme Bascher, cette tête d’affiche est un « coup médiatique », qui succède à un projet de loi Énergie et Climat « qui n’est pas à la hauteur des enjeux ». « Je n’apprécie pas ce côté politique spectacle. Ce sont des gens qui font des coups, mais qui n’ont pas d’idées. Il faut de la sensibilisation, mais c’est dommage de le faire un mois après que le dossier soit passé à l’Assemblée nationale. Qu’on parle des vrais sujets, sérieusement, au moment où il y a les textes », peste le sénateur.
C’est aussi l’avis de Max Brisson, le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques. « Les députés LREM s’en sortent à bon compte. Ils font bien de la mettre en exergue, mais ça ne remplace une vraie politique de la transition énergétique. Cela permet d’exonérer les vraies faiblesses du gouvernement sur le sujet », considère-t-il.
Partisan d’une « écologie de tempérance, de droite » mettant en scène les concepts d’ « héritage » et de « transmission » d’un « capital humain et naturel », le parlementaire dénonce la « démarche culpabilisante » incarnée par Greta Thunberg. « Je n’accepte pas la lutte des générations que génère sa démarche. C’est trop facile. Je n’aime pas non plus l’écologie catastrophiste, ni les gens qui propagent la peur. Je n’aime pas les populistes, même lorsqu’il est vert. »
« Trumpisme » ou encore « négationnisme des écologistes » : François Grosdidier s’insurge contre les candidats à la présidence de LR
L’écologie appartient aussi à la droite, rappelle justement le sénateur LR François Grosdidier, citant comme exemples « légitimes » le Grenelle de l’environnement de Nicolas Sarkozy, et surtout, le célèbre discours de Jacques Chirac prononcé en 2002 à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » C’est ce souvenir qui a fait sortir de ses gonds le sénateur de Moselle. « J’ai envie de crier : Chirac, au secours ! Reviens ! Quand je vois des candidats à la présidence dans la surenchère identitaire et anti-écologiste, ils soufflent sur les flammes de cette maison et se détournent de l’incendie ! » Le sénateur, qui entend verdir son programme en vue des municipales de 2020, ne mâche pas ses mots. « Bêtise politique », « radicalisation », « trumpisme », ou encore « négationnisme des écologistes » : le sénateur se dit « atterré » par ce qu’il a entendu ce matin.
François Grosdidier assure ne pas comprendre ces réactions à l’Assemblée. « On n’accueille pas cette jeune fille comme une scientifique, mais comme la porte-parole d’une génération. Il suffit d’entendre nos enfants ! Si elle venait au Sénat, j’en aurais été très heureux et je l’aurais accueillie avec plaisir. »
Le sénateur de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, considéré comme Macron-compatible (il avait appelé à voter pour la liste de Nathalie Loiseau aux européennes), est également venu au secours de la Suédoise. « Triste et inutile polémique sur l’intervention de Greta Thunberg avec d’autres jeunes à l’Assemblée nationale pour défendre leurs convictions écologiques. Au même âge en 1940, des jeunes s’engageaient dans la Résistance », s’exclame le gaulliste. Quelle façon d’envisager l’écologie dans la reconstruction des Républicains ? Au vu de la polémique née ce mardi, la question risque de ne pas mettre tout le monde d’accord dans le parti de droite, dépassé par les écologistes en mai dernier.