Les médias servent-ils de paratonnerres à « l’ouragan Pénélope » ?

Les médias servent-ils de paratonnerres à « l’ouragan Pénélope » ?

« Lynchage », « lapidation », « acharnement », François Fillon et ses soutiens fustigent la responsabilité des médias dans la séquence difficile que traverse le candidat LR. Une communication de crise ancienne mais efficace.
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« Au terme d’une campagne médiatique et politique d’une violence inouïe » (…) « la fureur des forces qui se sont déchaînées contre moi m’a laissé abasourdi » (…) « j’ai décidé de ne rien céder aux intimidations et aux pressions ». Le champ lexical de la lettre ouverte que François Fillon adresse aux Français, ce mercredi, dans le quotidien Ouest France, reste sur la même tonalité de ces derniers jours. Depuis le premier article du Canard Enchainé sur les emplois supposés fictifs de son épouse, François Fillon a alterné entre déni, acte de contrition, mais surtout indignation et dénonciation d’un complot médiatico-institutionnel.

« les Français sont moins bêtes que les médias »

Suivant l’adage, la meilleure défense c’est l’attaque, le candidat LR et ses soutiens ont toutefois fait preuve de zèle pour dénoncer ce qu’il considère comme une « chasse à l’homme » orchestrée par certains médias. « Lynchage médiatique », lapidation médiatique », « acharnement médiatique ». Capté par les caméras de Public Sénat, hier, le député LR, Jacques Myard jugeait « les Français sont moins bêtes que les médias » (voir la vidéo ci-dessus). « Cette violence verbale est une réaction relativement habituelle lorsqu’un leader politique est en difficulté. Il correspond à une volonté de détourner l’attention. Il est tout de même contradictoire de proclamer sa sérénité tout en exprimant sa nervosité » relève Christian Delporte, historien des médias.

« Vous devrez faire avec ma réserve et mes sourcils broussailleux »

Les attaques de François Fillon concernant les médias ne datent pas de « l’affaire Pénélope ». A un degré moindre, elles étaient déjà présentes dans sa campagne de la primaire de droite. Lors du troisième débat, l’ancien Premier ministre avait refusé de se plier à une séquence de 20 minutes d’échange direct entre les candidats. « On n’est pas des commentateurs. On n’est pas là pour s’interpeller les uns entre les autres. C’est tout le problème de la conception que vous avez de ces débats. C’est une conception en terme de spectacle » avait-il fustigé. Démontrant sa bonne volonté et usant d’une pointe d’humour et d’autodérision, François Fillon avait pourtant semblé enterrer la hache de guerre avec les journalistes lors de ses vœux du 10 janvier. « Je ne doute pas que notre relation sortira renforcée de ce compagnonnage, même si je sais que je ne suis pas pour vous un client facile. Vous devrez faire avec ma réserve et mes sourcils broussailleux. Dur travail ! » avait-t-il démarré son intervention, provoquant les rires des parlementaires LR. Le naturel était revenu au galop à la phrase suivante. « L’actualité est frénétique, les évènements du matin chassent les éditos du soir, l’imprévisible est devenu votre lot… Même les primaires de la droite et du centre ne sont pas prédictibles » avait taclé celui dont  personne n’avait vu venir la victoire à la primaire.

« Un taux de confiance historiquement bas des Français en leurs médias »

Referendum du Brexit ou élection de Donald Trump à l’appui, François Fillon a régulièrement prévenu : « méfiez-vous des scénarios écrits d’avance ». Un sondage réalisé par l’institut Kantar Public pour le quotidien La Croix révèle un taux de confiance historiquement bas des Français en leurs médias. Moins d'un Français sur deux fait confiance aux journaux (44%, le plus bas niveau depuis 2003) et à la télévision (41%, le pire score depuis 1987).La radio reste le seul média crédible pour une majorité des sondés (52%) mais le niveau de confiance recule de 3 points en un an. Quant à internet, seul un quart (26%) lui fait confiance. « Les fillonistes jouent sur cette défiance des médias. Mais ce ne sont pas les premiers à le faire, Marine Le Pen, François Bayrou ou encore Jean-Luc Mélenchon l’ont fait également »  note Christian Delporte.. Une stratégie à haut risque dans une campagne électorale selon un autre ex-Premier ministre, Dominique De Villepin. « En temps normal, il aurait tout le loisir de se poser en victime et de se plaindre. En l'occurrence, ce qui lui fait le plus défaut, c'est le temps. On ne peut pas mener un combat personnel dans une époque accélérée qu'est le temps présidentiel » a-t-il estimé à  Yahoo! et SciencePo TV.

Depuis le premier article du Canard Enchainé, d’autres médias comme le Monde et Médiapart ont également enquêté sur les supposés emplois fictifs de la femme et des enfants de François Fillon. Et  chaque révélation a entrainé des débats sur les plateaux TV. Ce qui fait dire à François Fillon lors de sa conférence de presse lundi que l’opinion des Français était « liée à des dizaines d'heures de plateau de télévision où l'on voit des dizaines d'experts parler du travail des attachés parlementaires ». La journaliste de BFM TV, Ruth Elkrief, a provoqué l’émoi de nombreux Internautes en qualifiant la séquence actuelle de « dictature de la transparence » ou encore de «  poison lent qui influe sur l’élection  ».

« Les insultes ont entrainé chez moi une forme d’autocensure »

 De quoi alimenter une dichotomie classique dans le monde journalistique : journaliste d’enquête défenseur du IVème pouvoir contre journalistes de complaisance, défenseurs de l’ordre établi. Une opposition que réfute Isabelle Veyrat Masson, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de communication médiatique. « J’ai moi-même été insultée sur les réseaux sociaux après avoir pris position sur ce sujet sur un plateau TV. Cela a entrainé chez moi une forme d’autocensure. On peut dire que la riposte de François Fillon a eu pour effet de modérer  les commentaires de gens qui travaillent dans les médias. Et en même temps, elle a donné envie aux journalistes de continuer dans leur enquête, dans la recherche d’information » observe-t-elle avant d’ajouter : « cette idée de lynchage médiatique est fausse. Le niveau d’agressivité ne vient pas du monde médiatique. Les attaques les plus violentes viennent des politiques eux-mêmes à l’image de François Bayrou, ce matin ». (voir la vidéo ci-dessus)

Dans l’hypothèse où François Fillon serait mis en examen dans les prochaines semaines, Isabelle Veyrat Masson estime qu’une « nouvelle guerre commencera ». « On posera la question de savoir si le pouvoir politique doit se plier au pouvoir judicaire » prédit-telle. Une « guerre » qui a déjà un peu commencé.

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