Comment voter en temps de Covid-19 ? C’est la question que se sont posée les sénateurs, lors de l’examen du projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire, en octobre dernier. A cette occasion, ils avaient adopté des amendements du rapporteur Philippe Bas pour faciliter les procurations et permettre le retour du vote par correspondance papier. Une manière de répondre à la faible participation observée lors des municipales, et de contourner le problème sanitaire. Mais le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est opposé au retour du vote par correspondance, y voyant un risque pour « le vote libre et consenti individuellement », craignant un « vote de pression communautaire ».
« Le vote par correspondance nécessité une logistique assez lourde »
Les sénateurs ont cependant voulu aller plus loin. Ils ont lancé une courte mission d’information, transpartisane, pour creuser cette idée du vote par correspondance et la « mettre sur la table ». Bilan des courses : ils rétropédalent quelque peu, à la lumière de leurs travaux (23 auditions et 43 réponses écrites, notamment des départements et régions). Le vote par correspondance « nécessité une logistique assez lourde. On ne dit pas qu’elle est impossible, mais elle doit être sécurisée si on veut que le système fonctionne de manière sérieuse » souligne François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois. « Le vote par correspondance ne peut pas être mis en place pour les prochaines régionales. Nous ne sommes pas en capacité de sécuriser l’ensemble de la chaîne d’ici les élections » soutient le sénateur du Rhône. Les collectivités qui ont répondu reçoivent par ailleurs froidement l’idée. « 80 % sont hostiles au vote par correspondance. Seules 20 % y sont favorables » souligne François-Noël Buffet.
« Les conclusions, c’est que nous ne serions pas prêts, dans un bref délai, pour prévoir des modes alternatifs de vote, même d’appoint » ajoute le sénateur LR Philippe Bas. « Tout le monde a dû l’admettre » reconnaît aujourd’hui l’ancien président de la commission des lois, « même si le souhait de faciliter le vote par correspondance ou par Internet était assez partagé ».
Dans le passé, des fraudes en Corse à cause du vote par correspondance
Pour mémoire, le vote par correspondance a déjà existé en France de 1946 à 1975. « Il a été abandonné pour des raisons principalement de fraude » rappelle François-Noël Buffet. La fraude avait notamment été constatée en Corse. « Lors des municipales de Bastia, en 1965, des électeurs ont découvert, en se rendant au bureau de vote, qu’ils étaient inscrits pour voter par correspondance, alors qu’ils n’avaient pas fait la démarche… » raconte François-Noël Buffet.
En réalité, le vote par correspondance n’a pas tout à fait disparu. Il est actuellement possible pour les Français établis hors de France. 120.000 électeurs concernés ont voulu, lors des dernières législatives, recourir à ce mode de votation, mais « seulement 25 % ont envoyé un pli à l’administration » relève François-Noël Buffet. Par ailleurs, on constate un nombre plus important de votes nuls. « La masse des bulletins nuls qu’on obtient vient du fait que les gens ne mettent pas le vote dans le bon sens » précise le sénateur LREM Alain Richard. D’où l’importance d’avoir un système simple.
« Le rituel républicain de l’urne doit rester la base de notre système »
Les sénateurs identifient cinq conditions pour mettre sérieusement en place ce vote par correspondance : il ne doit « pas se substituer » à l’urne, mais lui être « complémentaire ». « Ce rituel républicain doit rester la base de notre système » insiste le président de la commission des lois, rappelant que l’urne existe depuis 1913. « Le passage dans l’isoloir, c’est la garantie de la liberté de l’exercice du droit de vote » ; l’acheminement des plis doit être fait « dans un délai contraint ». La Poste assure pouvoir le faire. Ces enveloppes devraient être conservées en toute sécurité. Plutôt en préfecture et « en aucun cas » en mairie ; vérifier bien sûr l’identité de l’électeur ; une refonte du calendrier électoral serait nécessaire, avec au moins deux semaines, plutôt qu’une, entre les deux tours, le temps d’organiser sereinement le vote par correspondance ; enfin une réorganisation des bureaux de vote, « car l’électeur doit pouvoir voter directement », « même s’il a envoyé l’enveloppe ». Son vote à distance ne serait alors pas pris en compte. Il peut ainsi changer d’avis, selon les éléments de la campagne
François-Noël Buffet prend exemple sur les Etats-Unis avec Hillary Clinton, « qui avait été mise en cause quand elle était candidate. Des gens ont sûrement voté sur la base de cela. Or le jour du vote, elle était blanchie, mais ils avaient déjà exercé leur vote, à un moment où les électeurs ont pu être influencés ».
7,5 millions d’électeurs ne sont pas inscrits dans le bureau de vote de leur quartier : une source d’abstention
Le rapport des sénateurs porte également sur le vote par procuration. La double procuration a déjà été « testée » lors des dernières municipales. Le policier ou le gendarme peut dorénavant se rendre au domicile de la personne, pour faciliter les choses. A partir du 1er janvier, les procurations seront enregistrées de manière numérique. Il aura donc fallu attendre 2021 pour en finir avec les grosses liasses de procurations que les mairies recevaient.
Les sénateurs relèvent aussi un point peu évoqué : la nécessité de lutter contre « les citoyens mal inscrits à un bureau de vote, qui ne correspond pas au lieu de vie effectif ». Le nombre de personnes concernées est en réalité énorme. « 7,5 millions de Français sur un total de 48 millions d’électeurs inscrits » sont dans cette situation, souligne François-Noël Buffet, soit près d’un électeur sur six. Or ces « mal inscrits » « ont proportionnellement trois plus » recours à l’abstention.
« Ce qu’on fera pour sécuriser les élections départementales et les régionales, nous sera peut-être utile en avril 2022 »
Refusant le vote par correspondance, le gouvernement a préféré repousser les élections régionales et départementales, à cause de l’épidémie de Covid-19. Mais que se passe-t-il si le virus est toujours là en 2022 ? « On a pas mal de chance que 2021 ne soit pas une année présidentielle » glisse Philippe Bas, « car le scrutin présidentiel ne peut pas être reporté » souligne-t-il, comme il l’avait déjà fait en séance. En effet, « sa date est déterminée par l’article 6 de la Constitution ». Autrement dit, pour changer la date, il faudrait logiquement modifier le texte de 1958…
« Ce serait bien, de la part de l’exécutif, même si on est rassuré par le vaccin, de réfléchir dès maintenant au mode d’organisation des bureaux de vote, qui permettrait d’éviter, notamment en ville, un trop fort afflux mettant en péril la santé publique, ou à la manière de recruter les assesseurs. Il faut se tenir prêt ». Et le questeur du Sénat de conclure : « Ce qu’on fera pour sécuriser les élections départementales et les régionales, nous sera peut-être utile en avril 2022 ».