Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Le Sénat vote l’augmentation du prix du tabac mais la limite pour les cigares
Par Public Sénat
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Les lobbys préfèrent la discrétion. Mais l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est l’occasion de voir les effets de leur travail. Dans le cadre de l’examen du PLFSS 2018, les sénateurs ont adopté la hausse progressive du prix du paquet de cigarette à 10 euros, d’ici le 1er novembre 2020. Une taxe dite comportementale qui vise à diminuer la prise de tabac. Sur ce genre de sujet, on retrouve souvent des oppositions entre les logiques de santé publique et l’impact que peuvent avoir les mesures sur une filière, notamment en termes d’emploi.
Les morts du tabac, « un crash d’avion par jour »
Le gouvernement fait preuve ici d’une réelle volonté de limiter la consommation de tabac, qui entraîne « 80.000 décès par an » en France, a rappelé le sénateur LREM Michel Amiel. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a souligné « l’explosion de cancers chez la femme. Et ce n’est pas que le poumon ». En moyenne, « c’est 200 morts par jour (en France), un crash d’avion par jour. Il est indispensable aujourd’hui de prendre le taureau par les cornes. Et nous savons que l’augmentation du prix du tabac est le meilleur levier. (…) 10% de hausse du prix aboutit à 4% de réduction de la prévalence du tabagisme. (Grâce à l’augmentation), l’Angleterre, qui était à 30% de fumeurs il y a 10 ans, comme nous, est aujourd’hui à 17% » met en avant Agnès Buzyn (voir la première vidéo). Elle ajoute : « La hausse n’a d’impact que si elle est brutale et importante. C’est la raison pour laquelle nous augmentons le prix d’un euro par an ». Outre l’impact en termes de santé publique, elle souligne le coût social du tabac, « évalué par la Cour des comptes à 120 milliards d’euros par an » et « à 26 milliards d’euros pour l’assurance maladie », soit, en prenant en compte les taxes qui rentrent dans les caisses de l’Etat, « un déficit de 13 milliards d’euros pour les finances publiques ».
En revanche, un amendement du gouvernement limite au contraire la hausse de la fiscalité sur les cigares et les cigarillos. « L’amendement du gouvernement fait suite à l’engagement que j’ai pu prendre devant la confédération des buralistes sur la fiscalité applicable aux cigares et cigarillos, pour prendre en considération les spécificités de la catégorie fiscale évoquée » avec « une augmentation de fiscalité qui n’est que très légèrement atténuée » a justifié le ministre des Comptes publics, Gérard Darmanin. « Le rythme de la progression de la fiscalité est ralenti, de manière à permettre au secteur de s’adapter aux évolutions prévues » précise le texte de l’amendement. Regardez :
Les géants du tabac ont dépensé 1,2 million d’euros en lobbying en 2016
La Fédération des fabricants de cigares jugeait « incompréhensible » la trajectoire de la hausse du prix, selon Les Echos. Le lobby du tabac n’est pas le moins actif au Parlement. Il a ses relais via notamment le fameux Club des amateurs de Havane (voir notre article sur les « clubs parlementaires »).
L’ancienne ministre PS de la Santé, Marisol Touraine, avait rendu obligatoire la transparence des relations d’influence de l’industrie du tabac en France (contrats avec des cabinets de lobby, cadeaux ou invitations, etc). En 2016, les géants du tabac ont ainsi dépensé 1,2 million d’euros en lobbying, selon les chiffres publiés sur le site du ministère. Le fabriquant de cigare Davidoff a par exemple dépensé 9.667 euros en 2016 de prestation auprès de la Fédération des fabricants de cigares. Les chiffres pour 2017 ne sont pas connus.
« Les hausses successives mettent à mal les buralistes »
Les sénateurs Jean-Claude Requier (PRG, président du groupe RDSE) et Stéphane Ravier (FN), ont eux défendu des amendements de suppression de la hausse du prix. « La corrélation entre la hausse du prix du tabac et la baisse du nombre de fumeurs n’est pas établie. Et les hausses successives mettent à mal les buralistes » et a « pour conséquence de favoriser l’achat de produits du tabac dans les pays limitrophes et d’encourager le marché parallèle » a fait valoir Jean-Claude Requier. Leurs amendements ont été rejetés. La sénatrice PCF, Laurence Cohen, a appelé elle à « s’inscrire contre les amendements dictés par le lobby du tabac ».
D’autres sénateurs ont défendu des amendements pour défendre les distributeurs et le poids que fera peser sur eux la hausse des taxes. « On ne peut pas réduire le nombre de fumeurs sans que forcement la filière se réduise » a répondu le sénateur apparenté PS, Bernard Jomier, qui appelle à « regarder les choses en face », l’industrie du tabac « va se rétracter ». Les amendements n’ont pas été adoptés.
A l’inverse, la sénatrice PS de la Sarthe, Nadine Grelet-Certenais, a proposé d’aller plus loin encore dans la lutte contre le tabac, pointant du doigt… le cinéma (voir notre article sur le sujet). Elle reproche la trop grande présence de la cigarette à l’écran, contre laquelle il faudrait lutter. La ministre de la Santé n’a pas caché être d’accord avec elle. Elle se dit prête à agir en ce sens.
La nouvelle taxe soda pour lutter contre l’obésité adoptée
Les sénateurs ont ensuite continué avec l’article sur les taxes sur les boissons sucrées, ou « taxe soda ». Déjà existante, elle sera renforcée. Le niveau de taxe sera modulé en fonction du taux de sucre des boissons. Plus la boisson est sucrée, plus elle sera taxée. Plus qu’une taxe comportementale, il s’agit avant tout de pousser les industriels à changer le taux de sucre de leurs boissons, dont les conséquences sont lourdes aussi pour la santé publique, en terme d’obésité, de diabète, etc.
A l’inverse, pour inciter plutôt à boire de l’eau, les sénateurs en ont profité pour supprimer une autre taxe – les droits spécifiques – qui existait sur les eaux minérales, à hauteur de 0,54 euro par hectolitre.
Plusieurs sénateurs sont montés au créneau pour tenter de limiter ou de supprimer la taxe sur les boissons sucrées. Pierre Cuypers, sénateur LR de Seine-et-Marne, a souligné que cela va « fragiliser une filière, (…) ce qui conduirait dans le contexte actuel de la filière sucre à des difficultés qui doivent bien être évaluées. Il faut donner du temps au temps ». « Je ne pense pas que les taxes puissent changer le comportement », « le sucre est un produit naturel, utile voire indispensable » a mis en avant Michel Magras, sénateur LR de Saint-Barthélemy.
« Cette modification de la taxe va amener de facto les industriels à utiliser davantage d’édulcorants. (…) Si la taxe sucre n’est pas ici en cause, passer du sucre à l’édulcorant (…) n’est pas souhaitable » estime Pascale Gruny, sénatrice LR de l’Asine, département de production de betteraves à sucre. « Pourquoi ne pas taxer les tablettes ? » demande-t-elle encore, « quand je vois de enfants, ils sont toujours avec. Franchement, il vaut mieux que les enfants jouent aux petites voitures et à la poupée ».
« Le département de l’Aisne est le premier département en France producteur de betterave sucrière » ajoute le sénateur PS Yves Daudigny, élu aussi de l’Aisne et ancien président du conseil départemental. « Le sucre représente une richesse importante » ajoute-t-il avec franchise, « je souhaite que le sucre ne soit pas systématiquement stigmatisé. Il n’est pas un poison ». Mais l’ancien rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat ajoute qu’« en même temps, nous savons que les effets sont néfastes pour la santé publique, en particulier pour les enfants. (…) Je soutiens donc la démarche entreprise, à l’initiative de nos collègues de l’Assemblée nationale ». Une majorité de sénateur a adopté la taxe soda.