C’est un amendement porté par une défenseuse de longue date du droit de femmes, Laurence Rossignol. Il a été adopté, de justesse et par surprise, à la toute fin de l’examen du projet de loi Santé, ce vendredi 7 juin. Le Sénat a voté l’allongement de deux semaines du délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG), portant ce délai de 12 à 14 semaines de grossesse. Ce vote n’est pas encore définitif. Il devra être confirmé avec les députés.
« Chaque année, entre 3000 et 5000 femmes vont à l’étranger pour procéder à un avortement dit hors délai »
Il s’agit d’éviter la situation que de nombreuses femmes connaissent : aller dans un autre pays européen qui pratique un plus large délai. « En France, chaque année, entre 3000 et 5000 femmes vont à l’étranger pour procéder à un avortement dit hors délai. Ces délais d’IVG sont variables d’un pays à l’autre. (…) Le fait de devoir encore aujourd’hui aller à l’étranger est une injustice et une inégalité sociale. (...) On ne peut pas se reposer sur les autres et être à la merci des législations des autres pays » a fait valoir Laurence Rossignol, sénatrice PS de l’Oise.
Celle qui est aussi ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes sous le quinquennat de François Hollande, a décidé de proposer cet allongement « après discussion avec de nombreux professionnels de santé, avec les médecins, les gens engagés dans la pratique des IVG, et après étude des différents délais en Europe – l’Islande vient d’adopter un délai de 22 semaines, en Suède le délai est de 18 semaines ». Elle ajoute : « C’est nécessaire et ça ne portera atteinte à rien ».
« Seulement 5% des IVG sont réalisées dans les deux dernières semaines »
Le président LR de la commission des affaires sociales de la Haute assemblée, et rapporteur du texte, Alain Milon, s’est opposé à l’amendement de la socialiste en raison du faible nombre de femmes concernées en proportion. « Seulement 5% des IVG sont réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal » a fait valoir le sénateur du Vaucluse. Pour Alain Milon, « le véritable enjeu est plutôt dans les efforts pour prévenir les situations d’urgence » et la réduction des « délais de prise en charge ». La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est rangée à l’avis du rapporteur, mais sans motiver sa position.
« Je veux bien qu’on dise qu’il faut informer les femmes, mais tout n’est pas une question d’information. Les trois quarts des IVG sont pratiquées sur des femmes sous contraceptif. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas sous-informées » a répondu Laurence Rossignol.
« Aucune femme n’avorte de gaîté de cœur »
Si les sénateurs LR se sont opposés à l’amendement – le sénateur LR Marc Laménie s’est rallié à la position de la commission, tout en disant « comprendre les arguments » – il a en revanche bénéficié du soutien du groupe communiste. « L’allongement, c’est simplement une souplesse, une solution qui peut aider plus de femmes à pratiquer un avortement dans de bonnes conditions », cela « permet un progrès » a souligné Laurence Cohen. La sénatrice PCF du Val-de-Marne a rappelé qu’« aucune femme n’avorte de gaîté de cœur ».
La sénatrice UDI Nathalie Goulet a aussi apporté sa voix. « A titre personnel, 14 semaines, c’est un sujet qui m’interpelle beaucoup. Mais par solidarité à l’égard des femmes qui sont dans des situations difficiles (…) et notamment en raison du manque d’accès, je voterai cet amendement » a expliqué la sénatrice de l’Orne.
« Ah, il y a quelque chose qui a bougé… »
Le vote sur l’amendement a été pour le moins serré. Dans un hémicycle clairsemé – les sénateurs retournent généralement dans leur circonscription en fin de semaine – le président de séance, le socialiste David Assouline, a d’abord fait voter à main levée. Résultat : égalité, ce qui équivaut à un rejet. « Il y a 10/10, mais j’ai un petit doute » dit le socialiste, qui décide de faire revoter en procédant par « un assis/debout ». Et là, surprise… « Ah, il y a quelque chose qui a bougé » constate David Assouline. On voit Laurence Rossignol sourire. L’amendement est adopté par 12 voix contre 10, sous les applaudissements des bancs de gauche (voir la vidéo ci-dessous). Comment expliquer ce changement en quelques secondes ? Selon les sénateurs présents dans l’hémicycle, les deux sénateurs LREM présents ont voté pour.
Vote serré au Sénat sur l'allongement du délai légal de l'IVG
Sur les votes suivants portant sur la suppression de la clause de conscience des médecins sur l’IVG, la commission a demandé un scrutin public. Concrètement, cela permet de voter pour les absents, ce qui a facilité le rejet des amendements.
Après l’adoption de l’allongement du délai, Alain Milon a dénoncé dans un communiqué cette décision. « Ce n’est pas en toute fin de texte, au détour d’un article additionnel et avec une majorité de circonstance, que l’on réforme le délai d’accès à l’IVG. Cet article, s’il devait subsister, serait très clairement un motif d’échec de la commission mixte paritaire prévue le 20 juin prochain », a estimé le président de la commission des affaires sociales. Reste à voir maintenant quelle sera l’attitude des députés, lors de la commission mixte paritaire et, en cas d’échec de celle-ci, en dernière lecture devant l’Assemblée nationale. De quoi relancer un débat sensible.