Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Le Sénat vote à la quasi-unanimité le doublement du congé paternité à 28 jours
Par Public Sénat
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C’est une « réforme historique », selon le secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, qui n’a pas caché être « fier et heureux ». Le Sénat a adopté, dans la nuit de vendredi à samedi, le doublement du congé paternité de 14 à 28 jours, dont 7 jours obligatoires. La réforme entrera en vigueur le 1er juillet 2021. Un « engagement fort » d’Emmanuel Macron, a salué Adrien Taquet, porté par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, dont les sénateurs terminent l’examen ce week-end. La mesure avait aussi été votée à la quasi-unanimité par les députés fin octobre.
« Une révolution culturelle » pour Adrien Taquet
Alors que la Haute assemblée est parfois dépeinte comme conservatrice, le vote a été obtenu à la quasi-unanimité du Sénat, toutes couleurs politiques confondues : 341 pour et seulement 2 votes contre (Nadia Sollogoub, groupe Union centriste, et Franck Menonville, groupe Les Indépendants). Trois sénateurs n’ont pas pris part au vote : Stéphane Ravier, le seul sénateur RN, ainsi que Jean-Louis Masson (non-inscrit mais proche de l’extrême droite) et Christine Herzog.
Le secrétaire d’Etat a défendu une mesure favorable à « l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et à l’équilibre des tâches entre hommes et femmes ». Avec cette réforme, « on est sur le chemin d’une révolution culturelle », avance même Adrien Taquet.
« En finir avec les clichés « M. Gagne-pain » et « Mme au foyer » »
Une petite révolution où le rôle et l’image du père évoluent. « Le père a longtemps été perçu comme un pourvoyeur de revenus. […] À la mère, les soins quotidiens, au père l’éducation au savoir et la protection financière de la famille. Mais cette vision patriarcale de la société a changé avec les nouveaux pères. […] La naissance bouleverse les deux membres du couple, et le père s’investit davantage » souligne Véronique Guillotin, sénatrice Radicale (groupe RDSE) (voir la vidéo ci-dessous). Elle ajoute :
Les pères ne veulent pas être traités comme des parents de seconde zone.
Sur le même thème, la socialiste Michelle Meunier : « Nous voulons enclencher un changement radical de la répartition du temps au sein du couple. Il faut en finir avec les clichés « M. Gagne-pain » et « Mme au foyer » ».
« Notre société a besoin d’évoluer sur l’égalité femmes-hommes et l’implication des deux parents »
La science vient aussi appuyer l’utilité de la mesure. « Les neurosciences nous montrent que le cerveau humain se développe de façon extraordinaire entre le quatrième mois de grossesse et les 2 ans de l’enfant. La société doit soutenir les parents durant ces 1.000 premiers jours. L’adulte que nous sommes aujourd’hui, c’est l’enfant que nous étions hier. Plus les enfants ont été éduqués dans l’amour, plus le sentiment d’attachement et de sécurité sera fort » souligne la rapporteure Élisabeth Doineau, sénatrice UDI de la Mayenne.
A droite, Elsa Schalck, sénatrice LR du Bas-Rhin et plus jeune sénatrice, à 33 ans, a pris « pour la première fois » la parole dans l’hémicycle pour défendre l’allongement. Elle y voit une « avancée pour les hommes, pour les femmes, pour les enfants, pour les familles : notre société a besoin d’évoluer sur l’égalité femmes-hommes et l’implication des deux parents dès les premiers jours de l’enfant ». Le sénateur LR Alain Milon a défendu aussi une « avancée sociale » qui est « une attente forte de la société ». L’ancien président de la commission des affaires sociales a cependant tenu à bien préciser les termes utilisés : « Je n’accepte pas qu’on dise que la présence du père « conditionne » le développement harmonieux de l’enfant. Il y participe. J’ai peu vu mon père mineur de fond, je n’ai pas l’impression que mon développement en ait souffert ».
« Une avancée considérable dans la vie des familles »
A gauche, le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, a salué « une belle et grande avancée ». « Un premier pas, mais nous restons sur notre faim » tempère cependant l’élu de l’Isère. « Le rapport Cyrulnik sur les 1 000 premiers jours prônait un congé de 9 semaines. Il en reste 4, dont une seule obligatoire, et la réforme du congé parental est renvoyée aux calendes grecques » constate Guillaume Gontard.
« Ne boudons pas notre plaisir. Cet article 35 est une avancée considérable dans la vie des familles, des enfants, des femmes. Avec ce vote conforme, la décision sera définitive. Nous saluons cette capacité qu’a le Sénat d’accompagner des progrès majeurs » a lancé la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie.
La droite craint des difficultés de mise en œuvre pour les PME
Si le vote sur l’article a été très large, le sujet a cependant divisé en partie la droite. Un amendement de la sénatrice LR Chantal Deseyne, cosigné notamment par le président du groupe LR, Bruno Retailleau, visait à supprimer le caractère obligatoire des 7 jours. Elle estime que le congé obligatoire peut être compliqué à mettre en œuvre dans certaines entreprises, notamment les TPE et les PME. « Nous proposons un assouplissement qui vise à respecter la liberté de choix des pères. Oui, l’enfant a besoin des deux parents. Mais lever le caractère obligatoire ne restreint pas la portée de cette mesure, au contraire ! Les pères méritent la même liberté dont jouissent les femmes pour le congé maternité » a défendu Chantal Deseyne, qui ajoute :
Quid des artisans, saisonniers, des intermittents du spectacle, des militaires, dont l’enfant naîtrait en pleine activité professionnelle ?
« Ce sont des questions d’organisation et d’anticipation pour l’entreprise. Quand une femme est enceinte et prend son congé maternité, l’entreprise s’organise » a répondu Adrien Taquet, qui craint aussi que « certains hommes s’autocensurent ». Pour les militaires, des adaptations seront apportées, a assuré le secrétaire d’Etat.
« Certains salariés aimeraient prendre (le congé) mais n’osent pas le demander », a confirmé Élisabeth Doineau. Et d’ajouter : « 25 % de ceux qui n’y recourent pas ont peur d’affronter leur patron. Rendre obligatoires 7 jours sur 28 est une bonne solution pour obtenir un recours effectif, sans désorganiser outre mesure les entreprises ». « Parfois, il faut rendre un dispositif obligatoire pour que chacun puisse y accéder » a souligné la sénatrice LR Elsa Schalck. L’amendement a été rejeté. 128 sénateurs LR ont voté pour, 18 ont voté contre ou se sont abstenus. Les centristes, membres de la majorité sénatoriale, l’ont rejeté.
« Le travail est important, mais les moments auprès de l’enfant sont uniques : on ne les rattrape jamais »
Frédérique Puissat, sénatrice LR, a défendu un autre amendement, « travaillé avec la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) », pour que le dispositif ne s’applique qu’aux salariés titulaires d’un CDI ou d’un CDD d’un minimum de 6 mois. « Quid du milieu économique ? Alors que les chefs d’entreprise sont au bord du burn-out, faut-il voter cette mesure maintenant ? » a demandé la sénatrice.
« Certes, le travail est important, mais les moments auprès de l’enfant sont uniques : on ne les rattrape jamais. Le travail, lui, se rattrape » a rétorqué Elisabeth Doineau. « Ni le Medef ni la CGPME ne sont opposés à ce congé paternité : ne soyez pas plus royaliste que le roi ! » ajoute Xavier Iacovelli, sénateur LREM. Face à l’engagement du secrétaire d’Etat à travailler avec les organisations syndicales et patronales, et « consciente de nager à contre-courant » sur le sujet, elle a finalement retiré son amendement.