« Au fond ce n’est pas que vous vouliez le beurre et l’argent du beurre mais vous voulez la fin de l’état d’urgence sanitaire, plus l’urgence sanitaire », a résumé ce matin le rapporteur de la commission des Lois du sénat Philippe Bas (LR). Le 22 juin dernier le Sénat avait adopté le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence, prévue pour le 10 juillet, après l’avoir cependant largement modifié.
Sortie de l'état d'urgence sanitaire: "Nous nous sommes heurtés à une difficultés indépassable" déplore Philippe Bas
En effet, pour les sénateurs, en l’état, le texte revenait à donner au premier ministre les pleins pouvoirs de l’urgence sanitaire : « Vous nous proposez quelque chose d’hybride (…) d’un côté vous arrêtez pour le 10 juillet mais de l’autre côté vous conférez au premier ministre l’ensemble quasiment des dispositions qui constituent l’état d’urgence sanitaire. Il y a là quelque chose qui n’est pas clair et les dispositions que vous conférez au premier ministre ne sont pas accessoires, elles sont importantes », a regretté Jean-Pierre Sueur (PS), le vice-président de la commission des lois.
Sortie de l'état d'urgence sanitaire: "Vous nous proposez quelque chose d'hybride" affirme Jean-Pierre Sueur
En première lecture, le 22 juin, les sénateurs s’étaient notamment opposés à l’article 1er sur la réglementation voire l'interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l’accès aux moyens de transport collectifs. Ils avaient également souhaité un meilleur encadrement de la loi L3131-1 du code de la santé publique qui confère au ministre de la santé les pouvoirs nécessaires en cas de risque sanitaire majeur, or cet amendement a été rejeté par les députés : « Nos collègues de l’Assemblée nationale ont souhaité supprimer l’un des apports essentiels du Sénat et qui s’appuie sur l’avis du conseil d’Etat, je veux parler de l’article (..) 3131-1 du code de la santé », déplore Jean-Pierre Sueur (groupe socialiste).
« Ce qui nous dérange c’est cette banalisation de l’exception »
L’état d’urgence sanitaire avait été instauré le 24 mars pour faire face au Covid-19 et a été prolongé en mai. Le texte présenté par la majorité permet de proroger certaines restrictions, (circulation, rassemblements …) jusqu’en octobre, dans l’éventualité d’une seconde vague. Tandis que le sénateur LREM, Julien Bargeton, a affirmé la nécessité d’une voie « intermédiaire » et « de transition entre la sortie sèche et la prorogation de l’état d’urgence », le rapporteur de la commission des lois du Sénat, a déploré « le risque d’une forme infantilisation » des citoyens.
Les sénateurs ont ainsi affirmé avoir pris en compte la possibilité d’une recrudescence de l’épidémie : « En cas de seconde vague un simple décret permettait de déclarer l’état d’urgence », a ainsi expliqué Maryse Carrère, sénatrice des Hautes-Pyrénées, (RDSE). Pour les sénateurs, le projet de loi entraîne une restriction des libertés fondamentales des citoyens pendant toute la période transitoire de quatre mois : « Ce qui nous dérange c’est cette banalisation de l’exception », a ainsi déclaré Maryse Carrère. « Le passé nous l’a bien enseigné à chaque fois qu’un état d’urgence a été mis en place, il en est toujours resté quelque chose dans notre droit commun et bien trop souvent l’exception est devenue la règle », a-t-elle prévenu.
Sortie de l'état d'urgence sanitaire: "C'est une banalisation de l'exception" dénonce Maryse Carrère
Concernant la prolongation de la conservation de certaines données collectées par les systèmes d'information de santé, la sénatrice des Hautes-Pyrénées n’a pas caché son inquiétude : « Même si nous pouvons comprendre l’importance de la collecte des données anonymes pour des besoins d’études et de suivis épidémiologiques, doit-on avaliser l’extension de la durée de la collecte des données alors même que nous n’avons, à ce jour, tiré aucun bilan, ni aucune analyse des fichiers permettant de tracer les malades ainsi que de l’application Stop Covid. Nous n’avons aucun élément garantissant que ces collectes ne sont pas potentiellement dangereuses pour nos données personnelles », a-t-elle déclaré.
« Un rejet du texte qui n’est pas un rejet des moyens de lutte contre l’épidémie »
Pour la présidente du groupe communiste Éliane Assassi, le projet de loi « crée une nouvelle catégorie d’état d’exception : la sortie de l’état d’urgence ». La sénatrice se demande par ailleurs si le pouvoir exécutif ne cherche pas ainsi à vouloir « contrôler la contestation sociale » : « Il faut un état d’urgence, Monsieur le ministre, mais un état d’urgence social pour accompagner les victimes sanitaire et économique de la crise du Covid-19 », a-t-elle affirmé.
Suite à l’échec de la commission mixte paritaire, le 25 juin, et devant la non-prise en compte de leurs avertissements, les sénateurs ont regretté la persistance des divergences avec les députés et ont voté une question préalable rejetant ainsi le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence : « Nous vous avons été un peu mis au pied du mur, nous espérions vous convaincre et nous ne vous avons pas convaincus, tant pis. Nous nous acheminons donc vers un rejet du texte qui n’est pas un rejet des moyens de lutte contre l’épidémie, quelle que soit son évolution puisqu’au contraire nous avons toujours pris soin de vous donner ces moyens », a conclu Philippe Bas le président de la commission des lois (LR).