Le secret de l'instruction est-il "une fable", un principe "dépassé" et "hypocrite" ? Il a en tout cas été durement écorné vendredi lors d'un débat sur les rapports entre juges, journalistes et politiques, deux jours après la mise en examen de l'ancien président Nicolas Sarkozy.
"Le secret de l'instruction est une fable", a ainsi affirmé Michel Deléan, journaliste à Mediapart, lors d'un débat au colloque Confluences Pénales de l'Ouest à Angers.
"On ne peut pas se substituer à la police et à l'autorité judiciaire, mais on ne va pas attendre dix ans que la justice soit rendue pour parler d'une affaire", a-t-il expliqué, deux jours après la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007.
Jeudi soir, M. Sarkozy a promis de "faire triompher (son) honneur", victime de "l'ignominie" de la "bande de Kadhafi" et de Mediapart, qui a publié en 2012 un document libyen accréditant un financement d'environ 50 millions d'euros.
"On fait notre boulot. Mais la sanction est immédiate. Si on s'était loupé sur l'affaire Kadhafi, l'affaire Bettencourt ou l'affaire Cahuzac (...), il n'y aurait plus de Médiapart", a estimé M. Deléan.
Le journaliste a été rejoint sur ce point par Renaud Van Ruymbeke, juge d'instruction au pôle financier de Paris. "Ce secret de l'instruction, il est complètement dépassé. Il est décalé. Vous allez assurer, aujourd'hui, le secret de l'instruction dans l'affaire de la Libye en disant: on ne dit plus rien?", s'est interrogé le magistrat.
Le magistrat a raconté une perquisition à laquelle il avait participé au Brésil, à l'issue de laquelle les autorités brésiliennes avaient dévoilé l'ensemble de l'enquête aux médias : "Je me suis dit: au fond, est-ce que ce système est mauvais? Finalement, c'est plus transparent. C'est plus sain, j'ai trouvé".
"Il faut remettre à plat cette règle du secret, qui est complètement dépassée, hypocrite et qui laisse place à toutes les dérives, qui permet aussi à des fausses informations de circuler. Il faut qu'on en sorte", a estimé le magistrat, qui a notamment instruit l'affaire Bygmalion, dans laquelle M. Sarkozy est également mis en examen.
L'avocat Daniel Soulez Larivière a, lui, évoqué les "procès verbaux pas encore signés dans le cabinet des juges d'instruction et déjà envoyés dans les salles de rédaction".
"Non, on fait ça mieux que ça d'habitude, on attend que ça soit signé", a plaisanté M. Van Ruymbeke.
- "Scandales étouffés" -
Alors que certains responsables de droite ont critiqué le placement en garde à vue de M. Sarkozy cette semaine, le magistrat a rappelé les progrès réalisés depuis une trentaine d'années par la justice.
"Il y a eu un certain nombre de scandales étouffés sous la IIIe, la IVe et la Ve Républiques. La justice ne faisait tout simplement pas son travail", a-t-il rappelé.
"Les politiques, qui étaient pendant longtemps dans l'impunité totale, n'ont pas accepté d'avoir à rendre des comptes", a ajouté Renaud Van Ruymbeke, en évoquant l'inculpation en 1992 d'Henri Emmanuelli, alors président (PS) de l'Assemblée nationale, dans l'affaire Urba.
"Il m'a dit: +moi je suis élu, vous ne l'êtes pas. J'ai une légitimité, donc j'ai pas de comptes à vous rendre+. Il estimait qu'il n'avait pas de comptes à rendre à la justice. Aujourd'hui, il y a eu du chemin de fait", a-t-il relevé.
Dominique Simonnot, chroniqueuse judiciaire au Canard Enchaîné, a comparé ces affaires politico-judiciaires avec les procès correctionnels en comparution immédiate, "où des vies se jouent, des années et des mois de prison tombent, en un quart d'heure. Dans la justice, c'est ce qui me choque le plus".
"Ce personnel politique ferait bien de se méfier. À force de réclamer des sanctions de plus en plus sévères contre le petit peuple et pour certaines infractions, il ne faut qu'ils s'étonnent que ça leur retombe sur la tête", a-t-elle conclu.