Le jour où … le Sénat a fait tomber le général de Gaulle
Le 27 avril 1969, les Français rejettent le référendum sur la régionalisation et la « rénovation » du Sénat. Désavoué, Charles de Gaulle quitte ses fonctions de président de la République, comme il s’y était engagé. Le Sénat, l’un des fers de lance du camp du « non », sort renforcé de ce conflit. Premier épisode de notre série d'été sur les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat.
« Quand, dans un ménage, on ne se parle plus que par oui ou par non, le divorce n'est pas loin. » Lorsqu’il inaugure la campagne télévisée sur le référendum constitutionnel le 17 avril 1969 (jour de ses 50 ans), le centriste Alain Poher, président du Sénat, glisse une formule prémonitoire. Dix jours plus tard, les Français et le général de Gaulle, président de la République depuis 1959, se séparent. Le dimanche 27 avril 1969, le « non » l’emporte au référendum sur la création des régions et la rénovation du Sénat, avec 52,41 % des voix. Le chef d’Etat s’était engagé à démissionner s’il perdait cette consultation, qui a rapidement pris des allures de plébiscite. Il a tenu parole.
Il faut remonter à 1968 pour trouver les racines de cet épisode. Avec la révolte étudiante et les grèves massives de mai, le mandat présidentiel prend des allures de fin de règne. Le triomphe de l’UDR (le parti gaulliste) aux législatives de juin 1968, avec une majorité d’une ampleur inédite depuis un demi-siècle, n’éclipse pas la dure réalité : celle de l’usure du pouvoir et d’un lien qui s’est distendu entre le Général et les Français. Dès l’été 68, de Gaulle imagine un référendum pour reprendre la main, et pour se relégitimer. Ce sera sur le thème de la participation. La grande consultation, plusieurs fois reportée, a finalement lieu au printemps 1969.
La remise en cause du Sénat comme une chambre législative à part entière
La question est double. L’Élysée propose dans un premier volet d’élargir les compétences des régions, qui seraient administrées par des élus locaux, avec un préfet de région comme tête exécutive. Des embryons de collectivités locales, autrement dit. Le sujet de la régionalisation est technique en apparence, le Premier ministre Maurice Couve de Murville insiste alors sur une réforme qui va « mettre fin au centralisme ».
Moins médiatique, le second volet est une révolution institutionnelle encore plus profonde, onze ans à peine seulement après la rédaction de la Constitution de 1958. L’idée est d’élargir la composition du Sénat, avec l’entrée des corps intermédiaires, pour le rendre « plus représentatif ». Mais cette assemblée fusionnée avec le Conseil économique et social perdrait son pouvoir législatif pour devenir une simple chambre consultative. Ce serait la fin du bicamérisme dans le processus de la fabrication de la loi, et la fin d’un contre-pouvoir pour les textes les plus sensibles sur lesquels le Sénat a un pouvoir de blocage : réformes constitutionnelles ou projets de loi organique. Finalement, c’est moins que le Conseil économique et social qui s’efface que le Sénat. Quant à l’intérim de la présidence de la République, celui-ci reviendrait non plus au président du Sénat mais au Premier ministre.
« Que reste-t-il pour justifier ce que M. le Premier ministre et M. le ministre d'Etat appellent un accroissement d'influence du Sénat ? »
Le référendum de 1969 marque un nouvel épisode de tension entre chambre haute et le pouvoir gaulliste, l’un et l’autres s’observant avec méfiance depuis 1962. A l’époque, les parlementaires se sont violemment opposés au choix du général de modifier le mode d’élection du président de la République (pour en faire une élection au suffrage universel), sur la base de l’article 11 de la Constitution. Pendant les années 60, les principaux ministres boudaient le Sénat, seuls des secrétaires d’Etat sans prestige étaient chargés de défendre le gouvernement. Le contact est renoué lorsqu’Alain Poher accède à la présidence du Sénat en octobre 1968. Jusqu’au mois de mars 1969, Alain Poher fait preuve de modération et de prudence. Voyant qu’il n’est pas entendu, il va se montrer plus combatif dans sa défense du Sénat, sans jamais aller jusqu’à des critiques personnelles du général de Gaulle.
Alain Poher le fait savoir d’emblée. Il refuse cette « entrée tacite dans un régime de chambre unique ». La modification de la représentativité du Sénat, où près de la moitié des membres représenterait la sphère économique et sociale, n’est pas l’idée soulevant le plus de critiques, même si les sénateurs redoutent la confusion entre organisations syndicales et élus politiques. Le 2 avril 1969, Alain Poher égrène dans l’hémicycle un à un les articles du projet de loi qui pourraient vider l’institution de ses pouvoirs dans l’écriture de la loi et le contrôle du gouvernement. « En face du lourd passif que je viens d'énumérer et qui enlève au Sénat tous les pouvoirs d'une véritable chambre parlementaire, que reste-t-il pour justifier ce que M. le Premier ministre et M. le ministre d'Etat appellent un accroissement d'influence du Sénat ? »
« Imprudence dangereuse », « faute inadmissible » ou encore « projet complexe, obscur, contradictoire » : le discours du président Poher se transforme en véritable sermon. L’un des sénateurs présents, le centriste Jean Deguise, demande alors d’imprimer ce discours et de le placarder sur les 38 000 mairies de France. La procédure a été utilisée pour la dernière fois en 1937. Alain Poher décline poliment la proposition, mais se montre très actif au sein de l’Association des maires de France (AMF), qui monte en première ligne dans la campagne.
« Soyez sûrs que le Sénat ne signera pas de lui-même sa propre déchéance »
Le Sénat était prêt à négocier, à accepter des ajustements. Certainement pas à se faire hara-kiri, en acceptant de perdre ses prérogatives de législateur. Devant deux journalistes, le 1er avril 1969, Alain Poher met les choses au clair : « Soyez sûrs que le Sénat ne signera pas de lui-même sa propre déchéance, la réponse à une question unique sera claire […] Comme le Général a voulu une question unique, ce sera un non unique. »
Se confiant au journaliste parlementaire Raymond Tournoux, le 20 avril 1969, Alain Poher raconte comment il a essayé de convaincre le Général d’inscrire les textes à l’agenda du Parlement plutôt que de se résoudre à un référendum avec une issue binaire. « De Gaulle ne croyait pas le Sénat capable de se réformer lui-même. Je suis un président réformiste. On aurait pu faire déboucher des textes, j’en suis sûr. De Gaulle m’a dit : Vous voyez les sénateurs réformer le Sénat ? Pour lui, c’était impossible. Il en est resté là. »
Georges Pompidou se tient prêt pour une éventuelle présidentielle
En réalité, la campagne ne se joue pas essentiellement sur le fond. Elle se transforme en référendum « pour » ou « contre » de Gaulle. Le fait que le Général ait mis son poste en jeu se retourne rapidement contre lui. Et tout le monde, ou presque, le prend au mot, précipitant une présidentielle que l’on n’attendait pas avant 1972, l’année de la fin du mandat présidentiel. Le trouble vient même de son propre camp. Georges Pompidou, son ancien Premier ministre, prévient qu’il sera candidat en cas de démission de Charles de Gaulle, ce qui réduit l’incertitude politique en cas de victoire du « non ».
Alain Poher à la tribune, lors de la campagne du référendum
C'est l'opposition centriste qui fait définitivement basculer le scrutin. Le 14 avril, Valéry Giscard d’Estaing, l’ancien ministre des Finances, fait part de son hostilité : « Avec regret, mais avec certitude, je n'approuverai pas le projet de loi référendaire. » Jean Lecanuet du Centre démocrate critique, lui, « une aventure et un bouleversement des institutions républicaines ». Malgré une mobilisation des moyens audiovisuels au service du pouvoir – les sénateurs dénoncent à plusieurs reprises la répartition du temps de parole sur l’ORTF au cours de la semaine de campagne officielle – les opposants donnent de la voix. La campagne du « non » coagule l’ensemble des forces antigaullistes : gauche, Républicains indépendants, l’aile libérale de la majorité. Loin d’être une simple « fronde des notables », le référendum de 1969 emporte le général de Gaulle, au moyen d’une coalition de forces politiques et d’une société française qui n’était plus en phase avec le fondateur de la Ve République.
Au moment de la campagne référendaire, Alain Poher est un inconnu dans l’opinion, lui qui n’est que depuis six mois président du Sénat (il le restera 24 ans). Ces jours de campagne lui assurent une notoriété rapide. Le principal animateur du camp du « non », malgré une campagne très sénatoriale, devient un personnage politique de premier plan. Un présidentiable. Comble du comble pour les gaullistes, celui qui n’aurait pas pu assurer l’intérim à la présidence de la République si le référendum avait été adopté, prend la succession de Charles de Gaulle à l’Élysée pour environ deux mois.
Alain Poher, à l'Élysée en mai 1969, pendant l'intérim de la présidence de la République
Malgré de très bons sondages pendant la première quinzaine de mai, le sénateur du Val-de-Marne refuse de mener campagne à cause de sa place à l’Élysée. Il est largement distancé par l’héritier du Général, Georges Pompidou, à la présidentielle du mois de juin 1969, avec seulement 41,79 % des voix, contre 58,21 % pour son adversaire. Lors de la cérémonie d’investiture, Roger Frey, ministre d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, l’un des barons du gaullisme, ne tend pas sa main au président du Sénat. D’autres poignées de main avec le gouvernement manqueront.
Redevenant parlementaire, Alain Poher va incarner, durant un quart de siècle, un Sénat renforcé par ce référendum. Au cours de sa longue présidence, de nombreuses réformes sont introduites dans la chambre haute. Le Sénat s’installe dans la Ve République. Ironie du sort, en 1986, le fils du Général, Philippe de Gaulle, est élu… sénateur.
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