Un mélange de dépit et de colère. Trois jours après avoir présenté ses propositions pour améliorer le quotidien des établissements de santé et de leurs personnels, la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital voit rouge. Un arrêté du ministère des Solidarités et de la Santé, publié au Journal officiel le 3 avril, renoue avec une pratique financière auquel les sénateurs ne s’attendaient pas. « Trois jours après le rapport de la commission d’enquête sur l’hôpital, que fait le gouvernement ? Il gèle par arrêté une part du budget des hôpitaux ! Une mesure financière dont nous demandions l’abandon. Mépris pour l’hôpital, ses soignants, mépris pour le travail parlementaire », s’est indigné sur Twitter Bernard Jomier (apparenté PS), le président de la commission.
De quoi est-il question ? Le gouvernement procède à ce qu’on appelle des « mises en réserve prudentielles ». Concrètement, il met de côté une fraction des dotations attribuées aux hôpitaux. Le gel correspond à 0,7 % des moyens versés aux établissements de santé, ce « coefficient prudentiel » est défini dans l’arrêté. Mises en place en 2010, ces mises en réserve, qui interviennent en début d’année, sont une façon de veiller au respect de l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam), fixé chaque année dans la loi de financement de la Sécurité sociale. En réduisant de 0,7 % les tarifs de l’activité des hôpitaux, l’État se laisse donc une marge de sécurité pour agir en cas de dépassement, sans affecter les tarifs des différentes professions de santé.
Vers la fin de l’année, l’État peut décider de reverser aux établissements de santé les fonds mis en réserve. De 2018 à 2021, les sommes ont été intégralement dégelées. En 2019, par exemple, la somme « rendue » aux hôpitaux en plein mouvement social atteignait 415 millions d’euros. Mais le système s’est souvent révélé « perdant-perdant » pour l’hôpital, reconnaissait la commission des affaires sociales du Sénat, dans un rapport en 2019. En 2015 et en 2016, par exemple, l’enveloppe des dépenses dans les cabinets médicaux a été dépassée et le surcoût a été compensé grâce aux réserves hospitalières.
« On est dans la maîtrise comptable, c’est une faute », s’écrie Bernard Jomier
Après deux années de pandémie, Bernard Jomier ne pensait pas assister au retour de cet outil de régulation budgétaire. « Le message qu’envoie cet arrêté, c’est un retour aux pratiques antérieures : si vous ne gérez pas en vissant les boulons, on ne restituera pas l’argent. On est dans la maîtrise comptable, c’est une faute », réagit le sénateur.
Ce type d’outil a progressivement dévié l’architecture budgétaire des lois de financement de leur philosophie initiale. « C’est un outil de contrôle financier, fondé sur une logique de réduction des coûts et non pas sur une mise en adéquation des besoins réels. Il transforme une partie du budget en outil de chantage contre les directeurs d’hôpitaux, ça n’a jamais été une volonté du législateur », s’étonne Bernard Jomier. En 2019, un rapport de la commission des affaires sociales indiquait que les dépenses des hôpitaux depuis 2010 étaient « systématiquement inférieures à l’objectif initial voté ». Les ajustements « contribuent à réduire la visibilité » sur les financements des établissements. Le taux n’a beau être que de 0,7 %, l’effet levier est en réalité bien plus puissant, selon Bernard Jomier.
« La sans doute trop stricte régulation des dépenses des établissements de santé apparaît aujourd’hui comme responsable de retards dans la modernisation et la transformation de ceux-ci et de décrochages multiples dans leurs capacités de soins », a par ailleurs conclu la commission d’enquête.
« J’ai proposé cinq ans de pause », rappelle la sénatrice Catherine Deroche
Les sénateurs sont d’autant plus heurtés par l’arrêté ministériel qu’ils avaient appelé à suspendre cette pratique, le temps de réformer le modèle de financement des établissements de santé. Comme une phase de transition. « J’ai proposé cinq ans de pause dans la mise en place des réserves des hôpitaux. Je suis ahurie que le gouvernement ait pris cette décision », s’étonne Catherine Deroche (LR), rapporteure de la commission d’enquête, et présidente de la commission des affaires sociales.
La commission garde également en mémoire la présentation mirifique faite à l’automne dernier du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 (PLFSS). Le gouvernement se vantait qu’ « exceptionnellement cette année, aucune économie n’était demandée aux établissements de santé », estimant qu’ « après une crise qui a mis à rude épreuve nos établissements de santé, l’année 2022 sera celle d’une respiration ». Bernard Jomier cible également les promesses d’Emmanuel Macron, qui a particulièrement insisté sur la santé ces dernières semaines. « On ne peut pas tenir un discours de campagne qui est de dire que la santé va être la priorité dans les années à venir, et revenir à une pratique de régulation financière complètement déconnectée des besoins de santé », conclut-il.
Chez les hospitaliers, la publication du décret ne passe pas mieux. « Insupportable retour à l’anormal. Malgré des grèves, des pétitions, des démissions, la saisine du Conseil économique, social et environnemental, le rapport du Sénat, une tentative de référendum, 4 000 articles de presse sur les ruines de l’hôpital », s’est exclamé par exemple le Collectif Inter Hôpitaux de l’hôpital Saint-Louis (Paris).