Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
« Le déficit de la Sécurité sociale se creuse de façon vertigineuse, on ne peut pas continuer comme ça », s’alarme la rapporteure Élisabeth Doineau
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Avis de grosse tempête sur les comptes sociaux. Les données présentées ce 30 mai par la Commission des comptes de la Sécurité sociale affichent une forte dégradation de la situation budgétaire. Le déficit prévu pour 2024 devrait atteindre 16,6 milliards d’euros, très loin des 10,5 milliards inscrits dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, adoptée au Parlement en fin d’année dernière. La même instance a également revu à la hausse le déficit 2023, en le révisant de 8,7 milliards à 10,8 milliards d’euros.
Avant même la sortie de ces chiffres actualisés, la Cour des comptes avait déjà sonné l’alerte quelques heures avant, déplorant une « dégradation continue » et « non maîtrisée du déficit » de la Sécu, une trajectoire « insoutenable » dans les prochaines années.
Une dégradation de six milliards d’euros en 2024
Le plongeon de six milliards d’euros du solde s’explique « pour l’essentiel » par des prélèvements sociaux moins bons qu’escomptés. La commission des comptes ajoute que la dégradation « traduit principalement l’actualisation des hypothèses économiques », faite par le gouvernement dans le programme de stabilité, transmis à la Commission européenne fin avril.
« Le déficit se creuse de façon vertigineuse. On devrait donc atteindre dès cette année le déficit qui était prévu pour 2027. À combien sera-t-on à la fin du quinquennat, si on déjà atteint les 17 milliards d’euros en 2024 ? » s’inquiète la rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Élisabeth Doineau (Union centriste). « On se retrouve dans une impasse, on repousse continuellement les efforts et les mesures de redressement. On ne peut pas continuer comme ça. »
Selon la programmation inscrite dans la loi l’an dernier, un déficit de 17,1 milliards est prévu pour 2026 et 17,5 milliards pour 2027. Face à ce constat, la majorité sénatoriale avait alerté l’an dernier sur la trajectoire de déficits de plus en plus élevés des régimes obligatoires de la Sécurité sociale au cours des quatre prochaines années.
« Souvenez-vous des débats au Sénat l’an dernier. Notre rapporteure du budget de l’Assurance maladie Corinne Imbert avait dit qu’il lui semblait que ce budget était insincère. Ce qui nous a été présenté hier prouve qu’elle n’avait pas tort », relève le sénateur Alain Milon (LR), président de la mission d’évaluation et contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat.
Comme l’an dernier, deux branches sur cinq devraient porter l’essentiel du déficit de la Sécurité sociale. La situation se dégrade nettement pour l’Assurance maladie, passant d’une prévision d’un déficit de 8,5 milliards à 11,4 milliards, et encore plus en proportion pour la branche vieillesse, dont le solde négatif devrait finalement représenter 8,3 milliards d’euros, contre 5,8 milliards d’euros dans le budget 2024 voté l’an dernier. « La réforme des retraites n’a pas encore d’incidence sur les comptes, c’est encore trop tôt », commente Pascale Gruny, la rapporteure (LR) de la branche vieillesse dans les projets de loi de financement de la Sécurité sociale.
« Il faut donner un cap », appelle Elisabeth Doineau. « Il faut travailler sur la performance de la dépense, la réduction des risques et continuer à lutter contre les fraudes, et sur ce point je veux saluer la manière dont le gouvernement a pris les choses en main », ajoute-t-elle. Grand cheval de bataille de la sénatrice de la Mayenne, les outils de pilotage des dépenses de santé sont aussi mis en cause. « Il y a peut-être un besoin de changer les règles. Est-ce que l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) est encore la bonne méthode ? »
« On a une progression moins importante des cotisations. Et dans le même temps, les dépenses augmentent de manière conséquente »
Sur le volet des recettes, le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale épingle, entre autres, les allègements généraux de cotisations sociales qui se sont « considérablement amplifiés » au fil des ans. Ce coup de projecteur rappelle l’un des axes du rapport de la Cour des comptes. Parmi leurs nombreuses propositions, les magistrats proposent de regonfler les recettes à la Sécurité sociale en s’attaquant aux exonérations de cotisations sociales sur les compléments de salaire (financement des complémentaires santé, des titres-restaurants ou encore versements d’intéressement ou de participation).
« Il est vrai que les allègements ont pesé beaucoup. On est tous un peu responsables et ne pas rejeter la responsabilité seulement sur le gouvernement. À chaque PLFSS, les parlementaires ne manquent pas d’imagination pour trouver des allègements de cotisations pour aider telle ou telle filière », admet Élisabeth Doineau.
Alain Milon préconise de « revoir complètement le système de financement de la Sécurité sociale ». « Car on a une progression moins importante des cotisations. Et dans le même temps, les dépenses augmentent de manière conséquente, à cause du vieillissement de la population et des innovations en matière thérapeutique », rappelle le médecin. Favorable à une grande refonte, le sénateur de Vaucluse est cependant pessimiste sur la probabilité de voir ce débat arriver un jour au Parlement. « Comme il y a des élections tous les ans, personne n’ose bouger. J’aimerais que quelqu’un ait le courage de dire aux Français que la santé a un coût, qu’on le veuille ou non, et qu’il faut le financer, sinon les gens seront mal soignés. »
Interrogations sur le traitement de la dette supplémentaire
Un autre sujet devrait se poser bien plus vite à la représentation nationale : la croissance des dettes de la Sécurité sociale, année de déficit après année de déficit. En 2020, face aux dépenses hors normes dues à la pandémie, le Parlement a prolongé l’existence de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES). Prévue pour s’éteindre en 2024, elle a été prolongée jusqu’en 2033. « Au fur et à mesure qu’on va retirer de la dette de la Sécurité sociale, il faudra qu’un jour on envisage d’allonger la durée de la CADES et le taux de CRDS. Je veux bien qu’on finance la Sécu par l’impôt mais qu’on le dise franchement, plutôt que d’accumuler de la dette et d’enrichir ceux qui nous prêtent. Faisons en sorte qu’on ait des cotisations », insiste Elisabeth Doineau.
Cette année encore, les parlementaires n’auront pas la possibilité de s’exprimer lors d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, à l’été, seulement sur le projet de loi d’approbation des comptes de la Sécurité sociale (PLACSS). Présenté ce vendredi au Conseil des ministres, il sera à l’agenda du Sénat le 3 juillet. Pour la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, sa présentation « confirme notamment la poursuite du redressement des comptes sociaux après des investissements massifs engagés durant la crise sanitaire ». « Le déficit de la Sécurité sociale se réduit ainsi de 8,9 milliards d’euros par rapport à l’année précédente, à 2022 », s’est réjouit la ministre. Il est vrai que l’année 2023 partait d’une base de comparaison plus favorable. Le compte-rendu du Conseil des ministres n’a toutefois pas fait mention de la trajectoire inquiète prévue pour les années à suivre.
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