« CAC 40 : des profits sans partage », c’est le titre choc d’un rapport rédigé par Oxfam et le Basic, le Bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne. Dans cette étude publiée ce lundi, les deux ONG ont scruté à la loupe la répartition des bénéfices dans les 40 plus grands groupes français depuis la crise économique de 2009.
Depuis cette date, ce sont plus des deux tiers de leurs bénéfices (67,4 %) qui ont été distribués sous forme de dividendes. Cette part reversée aux actionnaires a même plus que doublé par rapport aux niveaux observés durant les années 2000. Sur la période étudiée, restent alors 27,3 % des bénéfices qui sont réinvestis dans les entreprises, et 5,3 % accordés aux salariés, sous forme de primes ou d’intéressement.
« Les richesses n'ont jamais été aussi mal partagées », constate Manon Aubry, la porte-parole d’Oxfam France, pour qui cette « course aux résultats de court terme pour conforter les actionnaires et les grands patrons » se fait « au détriment des salariés et de l'investissement ».
« Au fou ! »
Au Sénat, c’est peu dire que les conclusions de l’étude rencontrent un écho favorable. « Même les libéraux s’inquiètent de cette réalité. Je crie 'au fou !' Danger ! », s’alarme le sénateur (PCF) Éric Bocquet. « Ce n’est qu’une confirmation de plus de cette tendance, qu’on observe depuis 25 ans, à savoir que la part des bénéfices consacrés à la rémunération du travail diminue par rapport à celle du capital ».
Le sénateur du Nord, qui appelle à combattre les inégalités de toute « urgence », met d’ailleurs en cause les dernières réformes engagées par le gouvernement. « Je ne peux pas ne pas faire le lien entre les choix fiscaux et l’explosion des dividendes. On en distribue davantage parce qu’ils sont moins taxés », dénonce-t-il.
Un système « pernicieux »
À droite, ce déséquilibre entre le niveau des dividendes et la part consacrée à l’entreprise et aux salariés inquiète également. « Ce n’est pas normal », juge le sénateur (LR) Alain Joyandet, qui se définit comme « gaulliste social ». « On avait théorisé avec Nicolas Sarkozy quelque chose d’assez simple : un tiers des bénéfices pour financer les nouveaux investissements, un tiers aux actionnaires et un tiers aux salariés », raconte l’ancien député, qui avait défendu le principe de primes salariales exonérées de charges.
En 2011, la majorité UMP avait aussi fait adopter le principe d’une prime obligatoire à verser obligatoirement aux salariés dans les entreprises de plus de 50 personnes et qui versent des dividendes en hausse.
Tout en reconnaissant que certaines entreprises ont besoin de capitaux et s’engagent en contrepartie sur des dividendes, le sénateur de la Haute-Saône appelle à fixer des règles dans un système « pernicieux ». « Il faut rouvrir le débat sur la répartition des richesses […] Les gens ont besoin d’être considérés. L’intéressement au quotidien, le respect du salarié est important », explique ce chef d’entreprise, qui craint que le rapport ne jette l’opprobre sur la totalité des sociétés. « Il y a quand même des entreprises qui ont des politiques d’intéressement et de participation beaucoup plus justes que la moyenne sortie par Oxfam, et heureusement. »
Une « mauvaise répartition » pour le sénateur LREM Richard Yung
La part moyenne des bénéfices reversés sous forme de dividendes en France ces dernières années (environ 68 %) atteindrait même un niveau unique au monde, selon les statistiques de l’ONG Basic. « La France est championne mondiale : entre 2005 et 2015, ce sont les entreprises du CAC 40 qui ont reversé la plus grande part de leurs bénéfices aux actionnaires sous forme de dividendes », relève le rapport, qui cite une part moyenne de 55 % en Europe, et de 48 % aux États-Unis. Grande place financière, le Royaume-Uni s’inscrit aussi sous le niveau de l’Hexagone avec un taux de 60 %.
Pour le sénateur (LREM) Richard Yung, les chiffres de la France « posent problème ». « Je pense que ce n’est pas une bonne répartition. On pourrait s’attendre à ces niveaux dans l’économie américaine. Pour la France, c’est plus surprenant », réagit-il, « on voit bien que le travail est moins considéré que le capital ».
« Cela montre que la participation et l’intéressement ne sont pas du tout passés dans les mœurs », analyse le sénateur représentant les Français de l’étranger, qui plaide pour que 20 à 25 % des bénéfices soient reversés aux salariés, 30 % dans les investissements et le reste reversé aux actionnaires, soit plus ou moins la moitié. Ce serait « quelque chose de raisonnable », estime-t-il.
La répartition serait difficile à décréter par la loi, admet le sénateur, qui pense plutôt à des mesures incitatives. « On peut augmenter l’attrait de la participation ou de l’intéressement. Cela peut se faire par des mesures fiscales, et aussi en simplifier les dispositifs », explique le sénateur de la majorité présidentielle, qui vise essentiellement les PME.
Le projet de loi de Bruno le Maire, la loi Pacte (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui doit être prochainement présenté, et qui pourrait être débattu au Sénat en octobre, devrait contenir une série de mesures pour développer l’épargne salariale.
C’est également sur ce texte que les ONG appellent le gouvernement à « reprendre la main » sur une économie qu’ils jugent « déboussolée ». Elles proposent notamment de préserver les capacités d’investissement des entreprises et d’interdire que la part des bénéfices reversée aux actionnaires soit supérieure à celle versée aux salariés.
Elles encouragent par ailleurs à limiter les écarts de rémunération au sein des entreprises, en plafonnant à un facteur de 20 le rapport entre la rémunération la plus élevée et la médiane d’une entreprise. Sur la période 2009-2016, le rapport indique que le déséquilibre le plus important a été observé chez Carrefour : son PDG a touché 306 fois plus que le salaire moyen dans l’entreprise.