Comment permettre à La Poste de survivre pour continuer à assurer ses différentes missions de service public, tout en garantissant une qualité de service et en imaginant l’avenir, avec de nouvelles formes d’engagement ? Au terme d’une vingtaine d’auditions, le groupe de la commission des affaires économiques du Sénat, sur l’avenir des services publics de La Poste, a remis son rapport. Conduit par les sénateurs Patrick Chaize (LR), Rémi Cardon (PS) et Pierre Louault (Union centriste), il formule une trentaine de propositions. Les sénateurs ne comptent pas en rester là, puisqu’ils ont « l’intention de faire une proposition de loi » dans la foulée.
Les sénateurs s’inquiètent notamment des pertes accumulées par le cœur d’activité de La Poste : le service universel postal, c’est-à-dire la levée et la distribution de plis et colis six jours sur sept sur l’ensemble du territoire national. Bénéficiaire, il n’y a encore pas si longtemps, cette branche n’est plus à l’équilibre depuis 2018. Malgré la hausse des livraisons de colis, le déficit s’est aggravé nettement en 2020 avec la crise sanitaire, à 1,3 milliard d’euros. Sans compensation à partir de l’an prochain, les rapporteurs craignent l’alternative : une diminution des activités dans la branche postale. « Elle nous apparaît inenvisageable », met au clair le sénateur LR Patrick Chaize, par ailleurs président de l’Observatoire National de la Présence Postale.
Lui et ses collègues proposent une dotation annuelle pouvant aller jusqu’à 730 millions euros, ainsi qu’un abattement fiscal jusqu’à 270 millions d’euros au titre de la taxe sur les salaires acquittée par le groupe.
Pour les sénateurs, la baisse des impôts de production ne doit pas affecter La Poste
Le coût d’autres missions de service public assurées par La Poste est également sous-compensé par l’Etat. C’est le cas du transport et de la distribution de la presse, à des tarifs préférentiels. La hausse des tarifs n’a pas permis d’assurer l’équilibre financier dans ce segment non plus. L’an dernier, cette mission était compensée à hauteur de 96 millions d’euros, soit 200 millions de moins que son coût global. La mission sénatoriale estime que la fin de la distribution à J + 1 dans le périmètre du service universel postal permettrait de dégager des économies, à réorienter vers la distribution des journaux.
La récente baisse des impôts de production fait craindre aux sénateurs une baisse des concours apportés à La Poste pour l’aménagement du territoire. Le groupe assure avec ses 17 000 points de contact avec un maillage du territoire. L’allègement de la fiscalité sur les entreprises pourrait priver le financement de la mission d’aménagement de 66 millions d’euros, selon les sénateurs, qui appellent à réajuster le fonds postal national de péréquation territoire, dans le prochain projet de loi de finances.
Une plus grande exigence de qualité de service et un rôle accru conféré au régulateur
Mais si l’Etat met davantage la main à la poche, les sénateurs veulent en contrepartie un meilleur contrôle de la qualité des services rendus. « On a beaucoup trop laissé à La Poste le soin d’évaluer le prix de revient du service. On ne peut pas être juge et partie », considère le sénateur centriste Pierre Louault. Le rapport entend renforcer le rôle de l’Arcep dans la loi. Cette Autorité de régulation des communications électroniques et des postes serait ainsi chargée d’évaluer chaque année le coût net du service universel postal, duquel découle le montant de la compensation versée par l’Etat.
L’Arcep devrait aussi, selon eux, mieux contrôler et évaluer le prix de revient de la distribution de la presse. « Un quotidien qui arrive deux jours après, ce n’est plus un quotidien », résume Pierre Louault. Les objectifs fixés par le gouvernement par arrêté devraient être contraignants, estiment-ils.
Dans une logique d’amélioration des services, les sénateurs veulent également modifier la loi du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de La Poste. L’Arcep serait chargée d’évaluer chaque année le coût lié au manque de qualité de service, en tenant compte par exemple du volume d’indemnisations versées après des réclamations d’usagers. Autre appel lancé par le groupe de travail : augmenter le nombre de tournées et nombre d’arrêts par tournée le samedi.
Perte d’autonomie, illectronisme : un rôle de « détecteur » pour les facteurs
Le rapport du Sénat encourage aussi vivement à renforcer le rôle de La Poste comme interface entre les publics vulnérables et l’administration. « Le facteur apparaît comme le dernier lien social sur le terrain avec l’administration », résume Patrick Chaize. Les trois sénateurs veulent que le processus de labellisation des bureaux de poste en maisons France Services s’accélère. Chaque département devrait être doté d’au moins un point de contact dans le cadre de ce partenariat d’ici la fin de l’année. Le facteur « représentant à domicile des maisons France Services », pour accompagner les usagers dans leurs démarches administratives, doit également être développé, selon le rapport. A ce titre, le déploiement de 250 équipes de facteurs mobiles doit être assuré, conformément à l’engagement pris par La Poste, insistent les sénateurs.
Les sénateurs imaginent également de nouvelles missions de service public pour les facteurs, celui de « détection de la précarité numérique à domicile », par exemple. Une expérimentation dans ce sens a été mise en place par exemple dans une agglomération du sud-est toulousain. « C’est un axe à déployer dans les prochains mois et années. 13 millions de nos concitoyens ne maîtrisent pas les outils numériques », rappelle le sénateur PS Rémi Cardon. Ce point avait d’ailleurs été soulevé par le PDG de la Poste Philippe Wahl, lors d’une audition au Sénat en juin 2020. Le rapport appelle également à développer les expérimentations sur le territoire national, sur le modèle ce qui a été mis en place en lien avec le CHU de Toulouse, la détection par les facteurs de la perte d’autonomie fonctionnelle des personnes âgées et isolées. Les facteurs auraient pour rôle de faire remonter ces informations.
La Poste intervient également dans une mission d’accessibilité bancaire, en permettant à des personnes précaires d’ouvrir un livret A à la Banque postale et l’utiliser quasiment comme un compte courant. Les sénateurs préconisent d’étendre par arrêté la liste des prélèvements possibles sur le livret A pour ce public, en autorisant le paiement des factures téléphoniques, d’assurance ou de santé. Toujours au chapitre bancaire, les sénateurs recommandent de développer les services d’accès aux espèces mis en place par La Poste, dans les zones rurales. Ces derniers mois, la question du manque de distributeurs automatiques de billets a régulièrement fait l’objet d’alertes au Sénat.