Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet « ouverte » au débat sur le salaire des parlementaires
Par Public Sénat
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C’était son baptême du feu. La nouvelle garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui a remplacé François Bayrou au ministère de la Justice, est passée pendant deux heures sur le gril des sénateurs mardi. La ministre a été auditionnée en vue de l’examen du projet de loi sur le rétablissant de la confiance dans l'action publique, nouveau nom du texte sur la moralisation. L’exécutif a décidé de commencer par le Sénat pour cette réforme, l’audition prenant pour le coup des airs de rentrée des classes.
A la sortie, elle a fait part de ses impressions : « Je connais bien le droit parlementaire de manière livresque. Je le découvre de manière concrète. Ça suppose de la réactivité. (…) Il faut très bien connaître les textes pour être en capacité de répondre » a-t-elle expliqué au micro de Public Sénat. Regardez les images de Stéphane Hamalian :
Les sénateurs « hostiles aux amendements de surenchère ou de démagogie »
Ce large projet de loi touche beaucoup de sujets : interdiction des emplois familiaux, lutte contre les conflits d’intérêts des parlementaires, limitation à trois mandats successifs dans le temps, fin de la réserve parlementaire et notes de frais pour les parlementaires, etc. La réforme nécessite même trois textes de lois distincts. Le Sénat va d’abord examiner un projet de loi ordinaire et un organique. Une réforme constitutionnelle viendra à l’automne pour notamment mettre en œuvre la limitation des mandants dans le temps.
Dès le début de l’audition, le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, également rapporteur du texte au Sénat, a mis quelques bornes : « Nous serons hostiles aux amendements de surenchère ou de démagogie, ayant à cœur de faire des choix responsables » a-t-il prévenu, tout en assurant aborder le texte « avec une grande bienveillance ». Quant à l’idée de supprimer l’immunité parlementaire, proposée par le député LR constructif Thierry Solère, il met en garde : « Pas de place pour les lubies et fantaisies ».
La ministre « très ouverte » sur la question de la rémunération
Voilà pour la mise en bouche. Nicole Belloubet a dû ensuite faire face aux multiples questions des sénateurs. Un sujet les préoccupe : l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Ils devront à l’avenir passer par des notes de frais. Système jugé complexe par de nombreux sénateurs. Actuellement, ils n’ont pas de compte à rendre sur l’IRFM. Le sénateur LR de l’Oise, Alain Vasselle, demande à la ministre – première question de l’audition – s’il y avait encore des chances que la fiscalisation de l’IRFM soit retenue. C’était d’abord le souhait d’Emmanuel Macron. Mais cela aurait eu pour conséquence de doubler la rémunération des parlementaires (voir notre article).
La ministre assure avoir « bien conscience de la complexité » du système proposé. Elle confirme le principe des frais réels. Mais elle en profite pour ouvrir le débat sur le salaire (voir la première vidéo) :
« Cela touche à la question de la rémunération des parlementaires. Et il me semble que c’est une question qui est ouverte. Il me semble qu’on pourrait prendre un peu de hauteur et à partir de ce texte avoir une réflexion un peu élargie sur la rémunération des parlementaires. Je suis très ouverte et attentive sur ce qui pourrait être proposé, même si cela ne trouve pas sa trace dans le texte de manière immédiate ».
Durant la campagne, Emmanuel Macron avait affirmé qu’un parlementaire devait être payé « comme un cadre supérieur ». L’indemnité parlementaire de base s’élève actuellement à 7.209 euros bruts.
Le sénateur LR Roger Karoutchi a vite mis en garde : « Dire que le débat sur le niveau du traitement des parlementaires est ouvert, franchement non ». Et de rappeler l’épisode où Henri Guaino avait fait « des commentaires sur son traitement. Je me souviens ce qu’il a pris sur la figure… »
Fonds d’action pour remplacer la réserve : « Je ne peux pas m’engager, conformément à ce qu’a dit François Bayrou »
Mais le mécontentement des sénateurs – pour ne pas dire le début de fronde – concerne surtout la suppression de la réserve parlementaire. Ils ont assailli la ministre de questions sur le sujet. Le sénateur LR du Cher, Rémy Pointereau, juge la réserve « indispensable pour nos communes rurales ». « Elle est très utile aux petites communes » ajoute le sénateur UDI de l’Eure Hervé Maurey. Souvent accusée de clientélisme, la réserve permet de financer des travaux ou projet des communes, souvent en milieu rural.
Les déclarations de la ministre ne les ont pas rassurés, tout au contraire : elle a affirmé que la création d’un fonds d’action pour les territoires ruraux, pourtant annoncé par François Bayrou, n’était plus assurée. Il est censé remplacer la réserve en reprenant l’ensemble de son enveloppe de 150 millions d’euros.
Répondant à une question du sénateur LREM Alain Richard sur l’absence dans le projet de loi du fonds d’action, la garde des Sceaux a reconnu le changement : « Il est exact que le projet de loi ne dit rien de précis en ce sens. (…) Le projet de loi ne dit rien. A ce stade, je ne peux pas m’engager, conformément à ce qu’a dit François Bayrou, puisqu’il y a des hésitations entre une affection soit à un fond territorialement orienté, ou bien à des fonds transversaux autour de politiques plus transversales (...) qui pourraient être la politique pour les handicapés ou je ne sais quelle autre politique publique transversale. Les arbitrages ne sont pas encore rendus » a-t-elle annoncé. Réaction immédiate de Philippe Bas : « Et nos amendements ne sont pas encore rédigés. Mais ils viendront très certainement… » Le gouvernement bouge donc sur le sujet. Avant de reculer et de passer à la trappe le fonds ? De quoi occuper les débats en séance. Regardez la ministre :
Les sénateurs ont déjà leur contre-attaque. Si la réserve parlementaire est supprimée, ils demandent la transparence sur la réserve ministérielle. Pourquoi ne pas rendre public « la liste des bénéficiaires et montants » par ministère, demande la sénatrice LR Catherine Troendle, reprenant une interrogation de Gérard Larcher.
Nicole Belloubet avoue alors découvrir tout juste la question. « J’ai découvert l’existence de cette réserve il y a 48 heures. Et je ne sais pas trop à quoi elle sert, au moment où je vous parle… » a-t-elle reconnu, ajoutant sur le ton de la blague : « Si vous pouvez me le dire ! » La ministre a cependant affirmé n’être « pas du tout fermée à une réflexion sur la réserve ministérielle », « il faut être logique et cohérent sur l’ensemble du processus ». Selon les calculs de publicsenat.fr, 70% de la réserve du ministère de l’Intérieur ont été alloués à des demandes d’élus PS, en 2016, quand Bernard Cazeneuve était place Beauvau.
Revival sur le cumul
Les sénateurs sont aussi nombreux à s’inquiéter de la limitation dans le temps à trois mandats successifs pour les parlementaires et les maires. Leur mise en garde concerne les communes en réalité. Ils y voient un vrai risque. Les débats en séance pourraient prendre des allures de revival du débat sur le non-cumul des mandats, qui avait mis le feu chez les sénateurs.