Moi, candidat patriote
Dimanche 23 avril, 22 h 18, quelques heures après l’annonce des résultats du premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron prend la parole.
Dans son discours, outre les traditionnels remerciements, le gagnant de la soirée s’attaque à son adversaire, en lui empruntant l’un de ses mots fétiches, le terme « patriote » : « Je souhaite dans quinze jours devenir le président de tous les Français, le président des patriotes face à la menace des nationalistes ».
Rien de surprenant pour le sémiologue, Denis Bertrand. « Dans cette campagne, la lutte pour les mots est très présente. Les mots se volent, se capturent. Les candidats cherchent à protéger leurs mots, à en être le seul propriétaire » explique-t-il.
Cécile Alduy, professeure à Stanford et à Sciences Po Paris, partage cette analyse. « Il y a une tentative de bataille culturelle sur ce mot ''patriote'' afin d’en redéfinir le sens ».
L’idée, selon elle est d’utiliser un mot connoté très positivement par tout le monde, « pour bénéficier de son aura positive. »
Le lexicologue, Damon Mayaffre confirme, « Emmanuel Macron peut souffrir d’un déficit d’image patriotique contre Marine Le Pen, il a donc besoin de marquer des points de ce côté-là et le mot patriotisme est très bien choisi ».
Le chercheur pointe cependant une différence dans l’emploi du terme entre les deux candidats. « Statistiquement, chez Marine Le Pen, le mot le plus associé à patriotisme est mondialisme; tandis que dans le discours d'Emmanuel Macron, patriotisme est associé à nationalisme. »
À la conquête de l’électorat mélenchoniste
Fort de ses 19,58% au premier tour, l’électorat de la « France Insoumise » est un réservoir de vote essentiel pour les deux candidats qualifiés. D’autant que Jean-Luc Mélenchon n’a pas donné de consigne de vote claire en vue du second tour.
Ainsi, depuis quelques jours, Marine Le Pen reprend à son compte le vocabulaire du leader des insoumis. « Mondialisation sauvage », « dérégulation totale », « argent roi », « oligarchie » ou même « France soumise » en sont des exemples.
« Sur certains points, le vocabulaire de l’extrême droite et de l’extrême gauche se rejoint », constate le psychanalyste Jean-Pierre Winter. Pour Cecile Alduy, Marine Le Pen aurait lancé une grande opération séduction à l’égard des Insoumis : « En ce moment, elle voit où sont les reports de voix, et donc, elle s’est emparée d’un vocabulaire qu’elle n’avait pas employé les deux dernières années. Avec les partisans de François Fillon, elle n’a pas besoin de faire ce travail car la porosité entre les deux électorats existe déjà sur des thèmes fondamentaux : immigration, islam, sécurité, terrorisme ».
Damon Mayaffre insiste « sa conquête à elle, c’est vraiment l’électorat de Mélenchon. C’est pour cela qu’elle reprend la critique du capitalisme, du libéralisme ».
Mais la candidate du FN n’est pas la seule à piocher dans le vocabulaire de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron aussi.
D’ailleurs depuis le début de la campagne, ils sont tous les trois au diapason lorsqu’il s’agit de critiquer le « système ». Ainsi, selon, Damon Mayaffre, les récentes critiques du fondateur d’En Marche à l’égard du « petit milieu parisien » peuvent également être interprétées comme des appels du pied à l’électorat mélenchoniste et filloniste.