La gratuité des transports en débat au Sénat

La gratuité des transports en débat au Sénat

Quelques mois après avoir voté le projet de loi sur les mobilités, le Sénat organisait une table ronde sur la gratuité des transports en commun. Testée dans quelques villes, l’expérience est concluante, mais il serait difficile de l’étendre à l’ensemble du pays.
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Priorité des territoires, les transports collectifs sont au centre des débats dans les communes. Lors du Grand débat, lancé pour répondre à la crise des Gilets jaunes, de nombreuses contributions ont réclamé la gratuité des transports en commun. Et à quelques mois des élections municipales, le sujet pourrait être central dans la campagne.

Le Sénat, en mars 2019, a formé une mission d’information sur le sujet, sur demande du groupe CRCE. La gratuité des transports en commun est d’ailleurs l’un des sujets récurrents des parlementaires communistes, puisqu’en septembre 2018, leur groupe à l’Assemblée nationale avait proposé une loi « visant à encourager la gratuité des transports collectifs urbains et périurbains ». Une proposition de loi qui avait été retoquée par le palais Bourbon.

Alors que la majorité des salariés se rendent sur leur lieu de travail en voiture (voir infographie), seulement une trentaine de villes ont mis en place la gratuité des transports en commun. Parmi ces villes, très peu d’entre elles dépassent le nombre de 50 000 habitants. Dunkerque, qui compte 88 000 âmes, est proche de la centaine de milliers, ce qui confère à la ville du Nord le statut de la plus grande agglomération d’Europe à avoir lancé la gratuité complète des transports en commun. Pour l’instant, cette initiative est un succès puisque la fréquentation des bus a augmenté de 70 % en semaine, et 140 % en week-end.

Au Sénat, Dunkerque est régulièrement revenu dans les échanges d’une table ronde sur le sujet, qui s’est déroulée hier et qui réunissait des représentants d’usagers et de transporteurs. Didier Rambaud, sénateur LREM de l’Isère, leur a demandé comment Dunkerque avait financé ce modèle. Car la gratuité coûte cher. Concrètement, tout dépend de la participation de l’usager dans le financement du réseau de transports en commun. À Dunkerque, les usagers contribuaient à 10 %. Il a fallu donc combler cette perte. « Le prédécesseur de Patrice Vergriete avait un projet d’Arena qui demandait trois millions d’euros de financement annuel. Ce projet a été abandonné et les trois millions ont été remis sur la mobilité et les transports », explique Guy Le Bras, délégué général du Groupement des autorités responsables de transport. « Mais c’est un cas extrêmement spécifique », prévient-il.

Comment Dunkerque a financé la gratuité des transports? La réponse de Guy Le Bras (GART)
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En Ile-de-France, la situation est toute autre puisque les Franciliens contribuent à 27 % au réseau de la RATP. Pour compenser cette perte, il aurait fallu trouver plus de trois milliards de recettes, ce qui aurait constitué une hausse d’impôts locaux de 500 € par an et par ménage, selon Ile-de-France Mobilités. Une option qui a donc enterré la proposition d’Anne Hidalgo. La Maire de Paris voulait la gratuité totale des transports, elle ne l’aura que pour les jeunes parisiens (moins de 12 ans) à partir de septembre et les personnes en situation de handicap, qui bénéficiaient déjà 2018 de cette disposition

Quels modèles de financements pérennes ?

Dès lors, comment trouver des financements à long terme, sans engendrer une hausse d’impôts considérable ou la fermeture de certains services ? Claude Faucher, délégué général de l'Union des transports publics et ferroviaires, a évoqué une potentielle taxation des plus-values foncières et immobilières. « Cela pourrait être une source de financement des infrastructures, ce qui est déjà une part importante par rapport au besoin de financement, notamment en matière de développement de sites propres ou d’infrastructures ferroviaires », a-t-il expliqué.

Claude Faucher, délégué général de l'Union des transports publics et ferroviaires, évoque une potentielle taxation des plus-values foncières et immobilières.
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La gratuité des transports aurait une conséquence nette sur le pouvoir d’achat des usagers. Chaque année, le coût des transports dans chaque ville est épinglé par l’UNEF dans le rapport sur le coût de la vie étudiante. Selon le syndicat, en 2018, dix agglomérations ont mis en place des « tarifs au-dessus de la moyenne nationale », qui était de 269,49 euros. Si la somme peut paraître conséquente, Guy Le Bras a tenu à rappeler lors des débats que la France avait les transports en commun les moins chers d’Europe, en comparaison avec les prix des abonnements à Berlin ou à Londres.

La Fédération nationale des associations d’usagers des transports, quant à elle, a une position « simple », selon son président Bruno Gazeau. Il explique que la fédération est « contre la gratuité totale et pour la gratuité pour ceux qui en ont besoin ». « On peut répondre à l’accessibilité des transports, faire en sorte que les gens abandonnent leur voiture, réduire la pollution et relancer l’activité commerciale des centres-villes sans pour autant mettre en place la gratuité totale », plaide-t-il.

La FNAUT est « contre la gratuité totale et pour la gratuité pour ceux qui en ont besoin », explique Bruno Gazeau
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Mesure de justice sociale, la baisse des tarifs ou la gratuité des transports serait aussi une mesure écologique. Selon ses défenseurs, la gratuité rendrait les transports en commun plus attractifs, et donc les habitants abandonneraient progressivement leur voiture. Néanmoins, cet argument est à tempérer, puisque toujours selon l’étude d’Ile-de-France Mobilité, une gratuité complète sur le réseau francilien n’aurait eu qu’un modique impact sur le trafic routier. Seulement 2 % des automobilistes auraient abandonné leur véhicule.

Lors de la table ronde, plusieurs voix se sont élevées pour souligner le manque d’information et d’études faites sur l’impact global qu’aurait la gratuité des transports sur le report modal.

La gratuité, loin d’être la priorité pour certains territoires

Pour toutes ces raisons, même si c’est un objectif assumé de nombreux responsables politiques, la gratuité de transports complète n’est pas encore à l’ordre du jour. Ceux qui la soutiennent, comme Olivier Jacquin, reconnaissent aussi la difficulté de sa mise en place : « Dans l’équation actuelle, la gratuité n’est pas forcément une chose intéressante, elle poserait bien des problèmes », regrette le sénateur socialiste. « L’idée de cette mission, c’est de se projeter dans le futur et de se demander ce qu’il se passerait si on imaginait la gratuité […] Un jour, des cinglés ont pensé la gratuité pour la santé. Imaginez les réactions à l’époque de ceux qui s’inquiétaient du financement. »

Avant même la gratuité, dans certains territoires, c’est la question de l’accessibilité qui se pose. À l’image de l’Ardèche, seul département métropolitain à ne pas avoir de trains voyageurs. Réduits à l’utilisation de bus, dont les horaires peuvent être contraignantes, ou à l’utilisation de la voiture, les salariés ardéchois sont 86 % à utiliser leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail. D’ici 2024, trois gares vont rouvrir, après plus de 40 ans d’absence.

Lors des débats, Bruno Gazeau rappelait que pour que les gens abandonnent leur voiture pour les transports en commun, il fallait que ces derniers soient efficaces et plus rapides. Encore faut-il aussi qu’ils existent.

 

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