Jupiter n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom. On sait Emmanuel Macron adepte d’un pouvoir présidentiel fort. Une hyperprésidence qui ne fait que s’accentuer, quand on observe la pratique du pouvoir du chef de l’Etat et les réformes des institutions à venir : ordonnances sur les sujets majeurs du code du travail et de la réforme de la SNCF, volonté d’encadrer et limiter le droit d’amendement des députés et sénateurs, utilisation cette semaine au Sénat du vote bloqué pour contrer l’adoption d’une proposition de loi communiste sur la revalorisation des retraites agricoles, réforme de l’université appliquée avant même que le Parlement l’ait votée…
« C’est vraiment le roi soleil »
Mis bout à bout, l’addition commence à être lourde pour le Parlement. Une impression renforcée par la multiplication des réformes lancées les unes après les autres, souvent sur des sujets essentiels. Le débat n’a pas le temps de se développer, la critique de s’installer, que déjà les sujets changent. Et les médias suivent. C’est la réforme en mode Blitzkrieg. Les syndicats se retrouvent en amont à négocier des sujets qui semblent en partie décidées d’avance. En aval, les parlementaires craignent de se retrouver en partie dépourvus de leur pouvoir législatif. Au final, l’exécutif peut appliquer sa réforme, sans trop d’anicroches. CQFD.
Si le pouvoir n’est plus de droit divin en France depuis 1789, il n’en paraît pas moins bientôt absolu pour certains. « C’est vraiment le roi soleil » lance Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat. Le sénateur de Vendée y voit « un syndrome de toute puissance. Le macronisme, ce n’est pas un hypercentrisme. C’est un égocentrisme ». C’est grave docteur ? « Sous couvert de réformer les pouvoirs, on veut en réalité neutraliser le Parlement », s’inquiète le sénateur LR Roger Karoutchi, invité de Parlement hebdo ce vendredi sur Public Sénat/LCP-AN.
Kanner : « Il y a une tendance, sinon autoritaire, en tout cas vers une forme d’autorité non partagée »
A gauche, on fait peu ou prou le même constat. Le groupe communiste de la Haute assemblée accuse Emmanuel Macron de vouloir « réduire le Parlement au rang de simple spectateur de l’action du président de la République et de son gouvernement ». Pour les sénateurs communistes, « Emmanuel Macron franchit un cap avec la réduction démagogique du nombre de parlementaires alors que la vraie question n’est pas leur nombre mais leur pouvoir et leur représentativité ».
Le président du groupe PS de la Haute assemblée, Patrick Kanner se dit lui « très inquiet de voir les premières propositions (sur la réforme des institutions), comme la limitation du nombre d’amendement en fonction de la taille des groupes. (…) Je vois l’utilisation du vote bloqué, encore plus dure que le 49.3. Je vois des signes qui m’inquiètent et me préoccupent. Nous allons dire au premier ministre, attention, nous voulons que le Parlement soit respecté ». Il ajoute : « En affaiblissant la place des parlementaires, on renforce le rôle de l’exécutif. Si c’est une approche jupitérienne, c’est une approche que nous allons combattre » prévient le sénateur du Nord. Une approche qui peut tendre vers une forme d’autoritarisme ? Selon Patrick Kanner, « pour Emmanuel Macron, le fait de ne pas avoir occupé de responsabilité locale ou parlementaire fait que, peut-être, il y a une tendance, sinon autoritaire, en tout cas vers une forme d’autorité non partagée. Cela m’inquiète » (voir la vidéo). Des mots forts. « Leur idée, c’est d’avoir César qui dirige seul ce pays et qui est dans un rapport direct aux Français » a ajouté vendredi Olivier Faure, patron des députés PS, après son entretien avec le premier ministre sur la réforme.
Kanner : « Il y a une tendance, sinon autoritaire, en tout cas vers une forme d’autorité non partagée » chez Macron
« Ça vaut le coup de braquer. Au moins, on voit les résultats »
Ces attaques viennent certes de l’opposition. Mais sous couvert d’anonymat, on reconnaît au sein de la majorité que l’exécutif y va un peu fort. Mais on assume. Le gouvernement veut légiférer vite et sur de nombreux sujets. Quitte à brusquer un peu les choses. « L’opinion, à court terme, va nous dire qu’on passe en force. Mais si on ne le fait pas, dans deux ans, on nous dira "les gars, vous avez fait quoi ?" En réalité, ça vaut le coup de braquer. Au moins, on voit les résultats » lâche un député LREM de premier rang.
Dans la psychologie d’Emmanuel Macron, avoir été aux premières loges du quinquennat Hollande – et de son échec – n’est sûrement pas pour rien dans son attitude à la tête de l’Etat. Secrétaire général adjoint de l’Elysée dès 2012, il a pu voir comment l’ancien Président socialiste n’a pas profité de son début de mandat pour réformer comme il aura pu, comme il aurait dû le faire. Devenu ministre de l’Economie ensuite, il a vu l’enlisement et l’incapacité à agir dans laquelle François Hollande s’était mis, avec il est vrai l’aide de quelques camarades. Très peu pour lui.
« Le fait présidentiel fait partie de la Ve République »
Plus mesuré dans ses critiques, le président du groupe Union centriste du Sénat, Hervé Marseille, ne peut que constater aussi cette « conjonction un peu inopportune et malheureuse ». « Il y a des sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, mais une fois réunis, cela donne une orientation qui est préoccupante, c’est vrai. Cela donne un sentiment un peu préoccupant pour les parlementaires. Je ferai part de ce malaise au premier ministre » lors de sa rencontre ce vendredi, ajoute le sénateur UDI des Hauts-de-Seine. Hervé Marseille, dont les 50 sénateurs de son groupe centriste s’avèrent tout aussi indispensables à l’exécutif pour trouver une majorité au Congrès, s’interroge : « Demain, il y aura moins de parlementaires, qui devront gérer des territoires plus grands. Quelle sera leur capacité à amender les textes ? Et quel sera le poids de l’exécutif dans l’ordre du jour du Parlement ? Au final, quel sera le rôle du parlementaire ? » Les élus sont d’accord pour davantage de contrôle des textes et de l’exécutif, comme le propose Emmanuel Macron. Mais pas au détriment de la fonction première du député et du sénateur : faire la loi.
En face, on rassure, on tempère, on minimise. Christophe Castaner, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement : « Le fait présidentiel fait partie de la Ve République » rappelle-t-il. Le délégué général de La République en marche pointe « l’inflation » d’amendements et « la politique d’obstruction » parfois constatée, pour justifier leur encadrement. La volonté de l’exécutif, « c’est que le temps de la loi aille plus vite. Il faut en moyenne deux ans entre le début d’un texte et son aboutissement. Les Français ne vivent pas à ce rythme là ». L’ancien ministre de la Défense, Alain Richard, aujourd’hui sénateur LREM, se réfère lui à l’histoire : « En 1967, un jeune secrétaire d’Etat, un certain Jacques Chirac, crée l’ANPE par ordonnance, sous l’autorité de Georges Pompidou. Ça avait gueulé abondamment, puis tout le monde a accepté. C’est une bonne façon de légiférer ».
Un excès de confiance qui pourrait servir l’opposition
Reste que le contexte ne va pas arranger les discussions sur la réforme constitutionnelle, déjà assez mal engagées entre l’Elysée et le Petit Luxembourg, où se trouve le bureau de Gérard Larcher. Le coup de l’encadrement du droit d’amendement, sorti du chapeau d’Edouard Philippe, étonne encore un point lourd de la majorité sénatoriale. « C’est tellement gros, que c’est pour négocier à un moment donné » pense ce sénateur. L’exécutif créerait ainsi sa propre monnaie d’échange. Mais pour ce parlementaire, « c’est très mal habile. Et avec le vote bloqué, ils ont commis une erreur et ils cumulent. Car c’est une faute par rapport au Parlement et une faute par rapport à la ruralité ». Alors que les sénateurs savent bien, au fond, qu’ils ne sont pas sur une position facile à défendre dans l’opinion, notamment sur le non-cumul des mandats dans le temps, on reprend espoir à droite. « On commence à prendre du vent » respire cet élu de province, pour qui « Emmanuel Macron peut surestimer sa puissance dans l’opinion ». Pour la réforme constitutionnelle, certains parlementaires LR en viennent même à penser qu’ils ont intérêt à ce que le Président recourt au référendum, « un risque politique énorme ». Manière de pousser le chef de l’Etat à la faute. Surtout si la consultation a lieu après l’été. « Ce sera un autre temps, une autre rentrée », avec ses mécontentements qui pourraient se coaguler…
Pécher par excès de confiance et, en même temps, avancer comme un bulldozer, quitte à affaiblir le Parlement. Les causes d’une sortie de route sont réunies, espèrent les oppositions. Encore affaiblies depuis leurs défaites de la présidentielle, elles n’attendent que ça.