Le président Emmanuel Macron "ne comprend pas les classes populaires", estime l'historien Gérard Noiriel, auteur d'"Une histoire populaire de la France" (Agone), critiquant le manque d'"humilité" d'un chef de l'État qui prend la parole pendant des heures dans un grand débat où "normalement, c'est la parole aux Français".
Question: Pensez-vous que l'attitude d'Emmanuel Macron, ses petites phrases, aient provoqué la crise des "gilets jaunes"?
Réponse: "Je crois qu'Emmanuel Macron, ce n'est pas lui le responsable de cette crise, elle vient bien avant. Mais il a accéléré le processus par ses discours, par sa vision même de la société française. Il ne comprend pas les classes populaires. Je l'ai montré dans la conclusion de mon livre, elles sont complètement absentes de sa vision du monde. Il suffit de lire son programme présidentiel qui s'appelle +Révolution+: les classes populaires n'existent pas. C'est quand même incroyable qu'un président de la République qui parle au nom du peuple tout entier puisse ignorer la majorité, statistiquement parlant, de ce peuple. (...)
Je pense qu'il se dit qu'il faut maintenir le cap, il pense que c'est la seule solution, même économiquement parlant. Donc le grand débat, c'est lui qui parle, c'est quand même assez ahurissant, ce grand débat où normalement, c'est la parole aux Français, c'est lui qui fait des speechs de quatre heures! (...) Les +gilets jaunes+ voient ça comme de la provocation".
Q: Quelles sont les issues possibles du mouvement ?
R: "Il n'y a pas de vérité avec un grand V parce que ça vient des classes populaires. Il y a des connaissances qui viennent de leur vie quotidienne, que souvent les élites ne connaissent pas, mais ça ne suffit pas à faire un programme politique. (...) Par où vont passer les changements ? C'est bien par la politique, donc il faut bien un lien avec la politique. (...) La +politisation+ doit se faire et ça, ça passe par des démarches qui doivent être nouvelles. Elles ne doivent plus prendre la forme de l'élite, du responsable qui vient dire aux gens ce qu'il faut qu'ils fassent.
Il faut avoir plus d'humilité, être à la disposition des gens. C'est ça pour moi la véritable éducation populaire. C'est partir de ce que les gens font, de ce qu'ils sont et puis faire un travail en commun pour que les gens eux-mêmes se disent: +oui ça, ça m'est utile pour mon propre combat+ et qu'ils ne pensent pas qu'on est encore à l'école avec des gens qui leur disent ce qu'il faut qu'ils fassent. Ca, c'est un enjeu majeur".
Q: N'y-a-t-il pas derrière cette incompréhension entre l'élite et le peuple un terrain fertile pour le populisme ?
R: Historiquement on le voit, ça a toujours été un débat entre des discours qui mettaient en cause le capitalisme, le patronat, et des discours qui mettaient en cause l'étranger, le migrant, le juif, le musulman... J'ai démontré que la souffrance populaire pouvait aboutir à des formes politiques complètement contradictoires. Parce que les classes populaires sont démunies au niveau des analyses politiques et vont se servir dans ce qui est mis à leur disposition. (...).
On est encore dans des logiques comme celles-là et on voit avec la montée des populismes ce que ça peut donner, donc on n'est pas à l'abri d'une issue comme celle-là aux prochaines élections. (...)
Si on prend l'exemple historique des années 30, on voit bien qu'au début on s'attaque aux maillons faibles, les minorités, les migrants, etc, et petit à petit c'est l'ensemble des populations qui sont touchées et ça aboutit à la Seconde guerre mondiale: 50 millions de morts. Le contexte n'est pas le même mais les risques, à mon avis, sont grands pour tout le monde.