L’accord UE-Mercosur sous le feu des critiques

L’accord UE-Mercosur sous le feu des critiques

Signé vendredi dernier, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur n’en finit pas de faire parler de lui. Au-delà d’un texte dénoncé par les agriculteurs, c’est le mode de fonctionnement de l’Union européenne qui, aujourd’hui, coince. Y compris au sein de la majorité.
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« Historique ». Jean-Claude Juncker n’a pas caché sa satisfaction vendredi après la signature d’un accord de libre-échange entre la Commission européenne, dont il est président, et le Mercosur, qui regroupe le Brésil, le Venezuela, l’Uruguay, le Paraguay et l’Argentine. Après 19 ans de négociations, les deux parties ont enfin trouvé un « accord de principe ».

Concrètement, les droits de douane devraient être levés entre les deux zones économiques. L’UE pourrait en profiter sur les voitures et les filières des produits chimiques et pharmaceutiques, tandis que les pays du Mercosur pourront exporter chaque année vers l’UE 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre, ou encore 100 000 tonnes de volaille. Le marché est immense, puisque les deux zones économiques représentent un quart du PIB mondial et 780 millions de consommateurs.

Les agriculteurs et écologistes vent debout

Premiers concernés, les agriculteurs sont vent debout. Ils considèrent le risque immense pour leur filière. L’ensemble des syndicats agricoles sont contre l’accord. Les conditions d’élevage et les normes environnementales et sociales brésiliennes sont pointées du doigt.

« Qu’y a-t-il de « durable » à mettre en péril nos élevages paysans, majoritairement nourris à l’herbe, en abaissant les droits de douane sur l’importation de 99 000 tonnes de viande bovine issue d’animaux entassés dans des feedlots, gavés au soja OGM et aux antibiotiques ? », s’interroge la Confédération paysanne. La FNSEA, qui était reçue ce matin par le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, est aussi très critique. « Les lignes rouges sont franchies. Les agriculteurs le vivent comme un véritable guet-apens. Des actions se préparent sur le terrain », prévient Christiane Lambert, présidente du syndicat.

Les écologistes quant à eux pointent du doigt le Brésil, et craignent une encore plus grande déforestation de la forêt amazonienne. Fervent défenseur de l’écologie et ancien ministre de l’environnement, Nicolas Hulot considère que « l’accord avec le Mercosur est complètement antinomique avec nos ambitions climatiques ». Le 18 juin, plus de 300 organisations, dont Greenpeace et Attac, appelaient dans une lettre ouverte l'Union européenne à stopper les négociations avec les pays sud-américains.

Interpellé lors des Questions au gouvernement cet après-midi à l’Assemblée nationale, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, maintient que « la France demande à voir ». « Nous avions défini des lignes rouges très fortes lors des négociations : le respect intégral accord de Paris, la protection des normes environnementales et sanitaires, et la protection de nos filières avec une clause de sauvegarde », a-t-il expliqué. Didier Guillaume est aussi monté au créneau, affirmant qu’il ne serait pas « le ministre qui aura sacrifié l'agriculture française sur l'autel d'un accord international ». « La ratification se fera sous couvert que l'agriculture française n'en sortira pas amoindrie », a-t-il précisé.

Les critiques fusent, sur le fond comme sur la forme.

Chez les parlementaires qui devront ratifier l’accord, le texte ne passe pas. À l’image du sénateur PCF Fabien Gay, qui réclame un débat au Parlement sur la question. « Nous voulons un débat. Nous ne voulons pas une compétition entre les peuples qui mette à bas toutes nos normes sociales et environnementales. Nous voulons des coopérations », explique-t-il. « Le Brésil lui-même se pose beaucoup de questions, par exemple sur l’acier. Si l’acier européen vient inonder le marché brésilien, c’est l’acier brésilien qui va tomber. Cette compétition les uns avec les autres nous entraîne dans le mur », affirme-t-il.

"Nous ne voulons pas une compétition entre les peuples qui mette à bas toutes nos normes sociales et environnementales. Nous voulons des coopérations", explique Fabien Gay
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Même au sein de LREM, les critiques sont vives contre l’accord. Les membres du parti sont pris en tenaille entre un libre-échange qu’ils soutiennent idéologiquement et la touche verte faite lors des élections européennes. Le député de la Creuse Jean-Baptiste Moreau, par ailleurs ancien agriculteur, expliquait dans une interview au Monde, à propos de l’accord, qu’on a « l’impression d’un passage en force. C’est cette Europe-là que les gens ont repoussée depuis des années. Cette Europe-là qui a provoqué le Brexit. »

Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, à la même lecture sur ce traité commercial. « Faire sauter les dernières barrières pour nos éleveurs alors qu’il y a seulement quelques semaines, les Européens ont très largement exprimé leur besoin de protection, c’est un déni de démocratie. C’est avec de telles décisions que se préparent les prochaines insurrections électorales », s’indigne-t-il par communiqué.

Une opacité propre aux textes européens

Avant la signature de l’accord de principe avec le Mercosur, personne n’avait eu accès au texte complet, pas même le ministère de l’Agriculture Didier Guillaume. Hier, l’accord de principe a été publié en anglais sur le site de la Commission européenne. Mais ce n’est pas la première fois que l’opacité d’un texte européen est pointée du doigt.

Elle avait été dénoncée lors des négociations du TAFTA (accord avec les États-Unis) et du CETA (accord avec la Canada), y compris par les eurodéputés, qui n’ont pas accès aux salles des réunions lors des négociations de la commission.

Hors caméra, des fonctionnaires européens comprennent que les parlementaires veulent négocier, mais, juridiquement, « ce n’est pas leur rôle », expliquent-ils. En effet, selon les traités, le Parlement européen est essentiellement un outil de contrôle, le pouvoir exécutif étant dans les mains de la Commission. S’ils reconnaissent qu’il a manqué de transparence par le passé, les fonctionnaires européens affirment que depuis 2014, la transparence est beaucoup plus efficiente.

« Une bonne partie de l’accord du CETA est appliquée de manière provisoire parce que sur le plan juridique, il y a une compétence européenne en matière de commerce », explique Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris
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L’accord sur le Mercosur devrait entrer en vigueur dans plusieurs mois. Cela avait déjà été le cas avec le CETA, qui est entré provisoirement en vigueur le 21 septembre 2017, un an après la signature de l’accord de principe entre la Commission européenne et le Canada. Le Parlement européen l’avait approuvé en février de la même année, mais peu de Parlements nationaux s’étaient prononcés. Une procédure qui suscite des critiques, certains pointant le caractère « antidémocratique » de l’Union.

« Une bonne partie de l’accord du CETA est appliquée de manière provisoire parce que sur le plan juridique, il y a une compétence européenne en matière de commerce », explique Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris pour les questions commerciales.

« On décide au niveau européen et c’est le Parlement européen et le Conseil des ministres qui valident les termes de l’accord. Une fois qu’ils les ont validés, on peut appliquer de manière provisoire l’accord. Les parlements nationaux sont saisis parce qu’il reste encore des compétences nationales », précise-t-il. En France, l'Assemblée nationale étudiera le projet de loi de ratification du CETA le 17 juillet, presque trois ans après la signature de la Commission européenne.

Malgré ses contradictions, l’exécutif tempère : « la France n’est pour l’instant pas prête à ratifier »

Emmanuel Macron considérait en marge du G 20 samedi soir que l’accord avec le Mercosur était un « bon accord à ce stade ». « Il va dans la bonne direction, mais nous serons très vigilants », expliquait-il. Des propos en contradiction avec ceux tenus par Didier Guillaume à la mi-mai, qui expliquait devant les sénateurs que « la France est opposée à la signature de l’accord du Mercosur voulu par la commission actuelle, parce qu’il ne correspond pas au standard voulu par la France ». Lundi, Aurore Bergé, porte-parole de LREM, dénonçait quant à elle « un manque de légitimité démocratique de l’accord ».

Il semblerait que sur ce dossier, l’exécutif change de fusil d’épaule régulièrement. Car aujourd’hui, Sibeth Ndiaye affirmait sur RMC que « la France n’est pour l’instant pas prête à ratifier l’accord ». « Je ne peux pas vous dire que nous allons ratifier l’accord avec le Mercosur. On va le regarder dans le détail, et en fonction de ce détail, nous allons ratifier. La France pour l’instant n’est pas prête à le ratifier ». Pourtant, au même moment, Stanislas Guérini jugeait que « les cadres généraux de l’accord sont de bons cadres ».

S’il est l’objet de nombreux débats, y compris au sein de LREM donc, il faudra du temps pour que l’accord avec le Mercosur entre en vigueur, de quoi rassurer partiellement ses opposants. Après la signature de la Commission européenne ce vendredi, l’accord devra être traduit en texte juridique et devra passer par le Conseil des ministres et le Parlement européen pour être appliqué provisoirement. Ces validations devraient prendre plusieurs mois. Suivra ensuite une ratification par les parlements de chaque État membre. L’unanimité étant nécessaire à chaque étape pour qu’il soit mis en œuvre, une seule défection pourrait tout stopper. Peut-être celle de la France ?

 

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