Kohlantess : « La polémique éclipse les réalités des conditions de détention »

Kohlantess : « La polémique éclipse les réalités des conditions de détention »

Alors que la diffusion d’images d’une activité « Kohlantess » à la prison de Fresnes a déclenché une forte controverse, des voix s’élèvent pour dénoncer les conditions carcérales jugées catastrophiques en France. Un débat qui fait ressurgir une division française : quel est l’objectif des prisons.
Public Sénat

Par Clara Robert-Motta

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« Le vrai scandale, ce n’est pas le karting, mais l’état lamentable de nos prisons. » La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, n’a pas mâché ses mots dans une tribune publiée le 24 août dans Le Monde. Dénonçant une « hypocrisie » des responsables politiques. Elle tente de recentrer le débat autour des conditions de détention dans nos prisons françaises alors que les plateaux télévisés se déchirent sur une séquence de kart tournée lors d’une activité organisée à la prison de Fresnes.

Le jeudi 25 août, le président Macron disait comprendre que « les Français aient pu être choqués » par les images des genres d’olympiades entre les détenus de Fresnes, leurs surveillants et des jeunes d’un quartier proche. « La peine a un sens dans la société, elle ne vaut pas exclusion de tout, elle a vocation ensuite de réinsérer mais il ne faut pas nourrir le trouble », a-t-il déclaré en sortant du premier Conseil des ministres de la rentrée.

Cécile Marcel, directrice de l’Observatoire International des Prisons (OIP), partage complètement le constat de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. « La polémique éclipse les réalités des conditions de détention. Aujourd’hui il y a une surpopulation massive dans des bâtiments vétustes pour la plupart. D’autant qu’en période de canicule, la promiscuité dans ces espaces mal aérés est très compliquée à gérer. »

L’Etat français déjà condamné pour des prisons inhumaines et dégradantes

Une observation corroborée par différents documents : du fracassant rapport parlementaire de 2000 « Prisons : une humiliation pour la France » aux comptes rendus des différents contrôleurs et contrôleuses des lieux de privation de liberté successifs – le dernier montre que la surpopulation atteignait les 117 %, plus haut qu’avant la crise Covid – à la condamnation de l’État français pour ses établissements pénitentiaires inhumains et dégradants.

Cécile Marcel s’inquiète de l’ambition affichée par le gouvernement d’adopter une circulaire « pour fixer clairement les conditions nécessaires à la tenue de projets de réinsertion en prison ». Pour la directrice de l’OIP, cela va freiner les initiatives qu’elles jugent déjà « bien trop peu nombreuses ». « C’est d’autant plus hypocrite que les mêmes personnes qui assurent vouloir la réinsertion des personnes détenues ne supportent pas de les voir engager des activités de loisirs. » Des occupations qu’elle juge pourtant indispensables à une bonne santé mentale et à un environnement sain pour envisager une réinsertion.

Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à Rennes II appuie cette position. « Alors que proposer des activités est obligatoire, la France est très en retard sur ce sujet. » Pour cette économiste qui travaille sur les statistiques pénitentiaires, cette polémique montre une profonde mécompréhension de l’objectif de la prison. « Il ne s’agit pas seulement de punir mais aussi de réinsérer. »

Le travail en prison : une difficile mise en oeuvre

Selon Anaïs Henneguelle, la moitié des personnes incarcérées retourneront en prison à un moment dans leur vie. Un taux « impressionnant » estime la chercheuse qui appelle à « incarcérer moins mais mieux ». Pour le dernier point, elle entend des conditions dignes, des activités pour le « vivre-ensemble », éducationnelles et de travail. Or l’année dernière, la loi Dupont-Moretti a permis d’insuffler un peu du code du Travail dans les établissements pénitentiaires, mais un peu moins d’un tiers des détenus ont la possibilité de travailler.

Dans la prison de Basse-Terre en Guadeloupe, l’une des plus anciennes de France, les locaux ne sont pas adaptés pour travailler. Victoire Jasmin, la sénatrice PS du territoire, se félicite de la construction de la nouvelle prison qui verra le jour d’ici deux ou trois ans et marquera la fin de la prison actuelle « absolument pas aux normes d’un point de vue des matériaux, de l’accessibilité ou encore de la sécurité ». Lors d’une visite, ce 22 août, la sénatrice dit avoir constaté une amélioration des conditions de vie alors que la population carcérale a un peu baissé depuis les libérations anticipées liées au Covid (la prison est toujours surchargée avec 162 détenus pour 129 places).

Si le sénateur de l’Aveyron, Alain Marc, estime qu’une activité de type Kohlantess « ridiculise » le travail réalisé par la direction et le personnel pénitentiaire pour la réinsertion, il partage le constat de la vétusté des prisons et de la nécessité d’un grand plan de rénovation. Toutefois, si tous les observateurs parviennent aux mêmes conclusions, les solutions soutenues sont complètement différentes.

Le sénateur des Français établis hors de France, Christophe-André Frassa, souscrit à l’idée qu’il faut construire plus de prisons afin de faire respirer les détenus et étaler la surpopulation. « Ce n’est plus l’époque des Misérables, il est indigne de la France d’avoir des prisons dans cet état. Il faut un grand plan de rénovation de nos prisons tout en en construisant de nouvelles, c’est indispensable », assure le sénateur Les Républicains.

Où construire les nouvelles prisons ?

Depuis l’objectif de zéro artificialisation neutre, l’édification d’établissements supplémentaires s’est compliquée. « D’autant que personne ne veut de prisons sur son territoire, rappelle Alain Marc, vice-président de la commission des lois au Sénat. Et quand bien même les travaux débutent, il faut bien attendre 8-9 ans. » Le sénateur du Loiret Jean-Pierre Sueur rappelle également que le recours aux partenariats privé public – stoppé en 2018 - a fait exploser le budget de construction des prisons. D’après les chiffres de l’OIP, un milliard d’euros serait dédié par an à la construction de nouvelles prisons, tandis que les activités de réinsertion bénéficient de 40 millions d’euros. « Ce n’est pas une question de coût, c’est une question de vision, considère Cécile Marcel de l’OIP. Il y a un financement mais il est mal alloué. »

Pour l’élu PS qui siège à la commission des lois depuis plus de 20 ans faire fleurir des prisons sur le territoire ne résoudra pas la crise. Jean-Pierre Sueur promeut la rénovation à la construction, mais il défend plus largement le recours à des peines alternatives afin de limiter l’incarcération. « Il faut éviter le mélange de populations aux peines complètement différentes qui font de la prison des usines à récidives, comme disait Badinter. »

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04:10

 

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