Julien Denormandie : « Il faut une écologie de la raison »

Julien Denormandie : « Il faut une écologie de la raison »

Le ministre de l’Agriculture était entendu ce jeudi matin sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) lors d’une audition conjointe des commissions des affaires européennes et des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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« Enjeu d’importance majeure » pour les uns, mais « effroyablement complexe » pour les autres, la réforme de la Politique agricole commune (PAC) était l’objet de l’audition du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, ce jeudi matin par les commissions des affaires européennes et des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale. Cette réforme de la PAC est destinée à mieux prendre en compte les défis environnementaux et climatiques.

Le ministre attribue deux avantages à cette réforme : « La protection, qui est le sens historique de la PAC » et la souveraineté alimentaire, dont Julien Denormandie se fait le chantre depuis sa nomination. Le budget arrêté pour sept ans atteint 386 milliards, « soit une augmentation de 22 milliards par rapport au premier budget de la Commission européenne », s’est félicité le ministre. Et d’insister : « On a mis tout notre poids dans la bataille pour obtenir ce cadre budgétaire ». Il a à ce titre salué le rôle des ministres européens de l’agriculture qui ont trouvé un accord « quasi à l’unanimité ».

Autre volet d’implication du ministre français : la protéine végétale, pour laquelle le ministre considère qu’il manque encore trop d’espace de cultures. « Je suis parti en croisade sur ce sujet […] pour accroître les surfaces grâce aux aides couplées. Nous avons obtenu une déclaration de la Commission », a-t-il affirmé.

En troisième axe de la réforme, Julien Denormandie a défendu le principe d’une « PAC plus juste ». « Il faut qu’on accompagne la transition agroécologique en faisant de la création de valeurs », a répété le ministre tout au long de son audition. « Cette PAC doit être celle du quotidien pour nos agriculteurs ». Il a ainsi défendu « la notion du droit à l’erreur » : « Quand vous êtes ministre, vous passez un temps considérable à expliquer aux élus que les cas sur lesquels ils nous interpellent sont incompréhensibles et parfois injustes », a-t-il regretté. Dans la PAC actuelle, les agriculteurs n’ont pas le droit « à une deuxième chance » en cas d’informations erronées dans leurs déclarations. « Les parlementaires européens ont adopté un amendement de droit à l’erreur. J’ai eu une déclaration en faveur de la Commission ». Reste à le concrétiser.

« La sortie du glyphosate ne crée aucune valeur pour un agriculteur »

Dans sa déclinaison nationale, tout l’enjeu de la PAC est de répondre à la question suivante selon le ministre : « Quelle est l’agriculture française que l’on souhaite en 2027 ? » Selon l’accord des 27 ministres, tous les agriculteurs devraient être tenus de respecter des normes environnementales beaucoup plus strictes, condition sine qua non pour recevoir des aides financières européennes.

L’ancien président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, sénateur les Républicains, prévient : « Les règles européennes de concurrence doivent évoluer pour permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail ».

Réponse du ministre : « Comment fait-on pour concilier ambition agricole et faisabilité pour nos agriculteurs ? Je pense qu’il y a une erreur qui a été faite dans le débat public : on n’associe jamais à l’agroécologie la création de valeur. ». En bref, le ministre de l’Agriculture s’est fait l’ardent défenseur des agriculteurs et de la politique de transition écologique du gouvernement, revenant une fois de plus sur la polémique de l’interdiction avortée du glyphosate. « La sortie du glyphosate ne crée aucune valeur pour un agriculteur. Que les gens qui nous donnent des leçons de morale se disent : accepterait-on 20 % de revenus en moins dans les 3 prochaines années ? », a lancé le ministre.

Mais comment « créer de la valeur » ? Par « la compétitivité coût (les charges patronales et salariales) et la compétitivité hors coût », répond l’ancien ingénieur agronome. « Il faut une écologie de la raison qui prend le sujet par le bon bout : plus vite on aura réglé ce problème de création de valeur, plus on ira vite », insiste-t-il, estimant que « l’on doit dire à nos concitoyens : mangez des produits frais français ».

Pendant les tours de questions, à droite, on s’inquiète de la « décroissance », à gauche de toujours plus d’ouverture aux « marchés ». Le sénateur écologiste, Joël Labbé, interroge : « la France a encore beaucoup à faire pour respecter le pacte vert. Êtes-vous à même de vous engager à ce que le plan stratégique de la France soit en conformité avec le Green Deal ? » « Le Green Deal n’est pas obligatoire », rappelle Julien Denormandie. « Mais il doit être la vision politique qui englobe la PAC […] le Green Deal est très important. »

« Double discours du gouvernement »

Dans un communiqué succédant à l’audition du ministre, Sophie Primas, la présidente les Républicains (LR) de la commission des affaires économiques, estime que « malgré des avancées obtenues par le ministre de l’agriculture portant par exemple sur les droits de plantation, le droit à l’erreur sur les déclarations PAC et le partage d’un nécessaire verdissement, le diable se trouve dans l’exécution qui ira à contrecourant des recommandations du Sénat : dénationalisation, complexification et distorsion de concurrence ».

Le ministre Julien Denormandie s’est félicité d’un budget stable sur la prochaine programmation « alors que les sénateurs des deux commissions constatent, chiffres du groupe de réflexion Farm Europe à l’appui, un recul du budget de 11 % en euros constants par rapport à la précédente programmation », fait valoir le communiqué.

Les sénateurs « ont également dénoncé le double discours du gouvernement, qui se targue d’avoir empêché les risques de concurrences déloyales, en rendant obligatoires les ‘écorégimes’, tout en consentant à un accroissement massif des possibilités de transferts entre les piliers de la PAC », indique le communiqué. Les « écorégimes », sont un système de primes versées aux agriculteurs pour soutenir la participation à des programmes environnementaux plus exigeants, qui deviendraient obligatoires : chaque Etat devra y consacrer au moins 20 % des paiements directs de l’UE. L’objectif étant que les exploitations agricoles reçoivent des fonds supplémentaires si elles vont au-delà des normes de base en matière de climat et d’environnement.

Pour Jean-François Rapin (LR), président de la commission des affaires européennes, « en pratique, des pays comme la Pologne ou la Roumanie vont pouvoir substituer à leurs aides environnementales des soutiens directs à la compétitivité de leurs exploitations, ce que la France ne fera pas, tenue par l’accord de Paris qu’elle a initié et obtenu. Mais cela se traduira automatiquement par une hausse des importations déloyales en provenance de ces pays. Peut-on encore parler d’une politique véritablement commune dans ces conditions ? ».

Enfin, les deux présidents de commission « appellent le gouvernement à proposer un New Deal à ses homologues européens, dans le but de mieux répondre aux défis en matière d’environnement comme de souveraineté, en refusant des solutions, au mieux irréalistes, au pire, fondées sur une idéologie de décroissance, ouvrant grande la porte aux importations. »

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