« Investir dans les médias, on ne le fait pas pour l’influence » assure Patrick Drahi devant les sénateurs

« Investir dans les médias, on ne le fait pas pour l’influence » assure Patrick Drahi devant les sénateurs

Le patron d’Altice France, propriétaire notamment de BFM TV, revendique la nécessité d’un mouvement de concentration dans les médias pour peser face aux Américains. S’il investit dans le secteur, c’est pour le « prolongement de (ses) activités » ou par quasi philanthropisme. Il minimise le poids de son groupe en France.
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Après Vincent Bolloré et Bernard Arnault, la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias a auditionné un autre milliardaire français propriétaire dans le secteur : Patrick Drahi. Le Président du groupe Altice, qui détient BFMTV, RMC ou encore I24News – il a revendu L’Express et a placé Libération dans une fondation qui assure son indépendance – a tenu un discours parfois semblable. A savoir, il n’a investi dans les médias que pour raisons économiques et n’intervient jamais sur le plan éditorial. Quant à son poids, il le minimise, soulignant sa petitesse face aux géants américains, qui ont ici bon dos. Mieux, il justifie la concentration comme nécessaire pour peser face aux grands groupes mondiaux et les GAFA.

« J’ai racheté BFM car j’ai pensé que c’était une bonne affaire en cohérence avec mes métiers »

Patrick Drahi a rappelé la logique, et surtout l’intérêt, que son groupe, qui détient aussi SFR, pouvait trouver dans les médias. « Investir dans les médias, on le fait non pas pour l’influence, mais davantage comme une aventure économique et comme prolongement de nos activités. […] Il est assez logique pour un opérateur de distribution d’être impliqué dans la partie contenus », explique l’entrepreneur franco-israélien, qui est revenu sur sa décision d’investir dans la télévision. « J’ai racheté BFM, car j’ai pensé que c’était une bonne affaire en cohérence avec mes métiers, qui me permettait de me développer davantage dans le monde rural, comme je l’ai fait (en 1995), avec Canal Coquelicot, car il y avait une cohérence de développement régional au moment où on voulait fibrer la France. D’ailleurs, on développe des BFM dans toutes les régions de France » (voir la première vidéo).

Au passage, il profite de son audition pour tacler la chaîne info concurrente. « Quand on passe toute la journée à faire du débat sur un micro sujet, je n’appelle pas ça de l’information, c’est du débat. L’information, c’est traiter les sujets et donner l’avis des uns et des autres » dit-il. C’est bien C-News, et ses débats polémiques en plateau, que Patrick Drahi vise ici. « Je constate que nous faisons de l’information, et que certains autres n’ont pas les moyens de faire de l’info, car pour faire de l’info, il faut mettre des journalistes sur le terrain » ajoute-t-il pour être plus clair. Inviter trois personnes en plateau coûte moins cher que des reportages, c’est certain.

« J’ai sauvé Libération »

Quant à Libération, il raconte sa prise de décision du rachat de 2014, allant jusqu’à comparer le quotidien, alors en difficulté financière, à un SDF qui ferait la manche… « J’ai sauvé Libération », s’enorgueillit Patrick Drahi, qui se souvient (voir la vidéo) : « J’étais en interview avec une journaliste de Libération, qui me dit vous allez dépenser 14 milliards d’euros. Et nous, on a besoin de 14 millions pour finir le trimestre. Je calcule vite. Ça fait un pour mille. Le gars, qui s’achète une paire de chaussures à 100 euros, il y a un gars dans la rue qui ne va pas bien, il a besoin de 10 centimes. Je vais regarder le dossier. Et j’ai acheté ça ». Investir dans les médias, c’est simple comme donner une petite pièce. Il continue :

Quand j’ai racheté Libération, je ne savais même pas ce que j’allais en faire. Je savais que j’allais faire plaisir à mes parents, car ils sont profs de math.

Au total, « j’ai dû renflouer à hauteur d’une centaine de millions d’euros Libération. […] Je pense qu’aujourd’hui, le journal perd un peu d’argent. Beaucoup moins qu’à l’époque. Il perdait 17 à 18 millions d’euros. Il doit en perdre aujourd’hui 2 ou 3 millions », selon Patrick Drahi. Depuis 2020, le journal a regagné son indépendance, grâce à la fondation dans laquelle Patrick Drahi a quand même mis 20 millions d’euros. Il résume à sa manière, un brin dédaigneux : « Les trucs qui perdent de l’argent, il vaut mieux les mettre dans ces espèces d’organisations philanthropiques qui attirent les donations ».

Drahi : "J'ai Sauvé Libération"
04:05

Avant de se séparer de Libé, il cherchera à « faire des synergies ». Vient le rachat du groupe belge Roularta, propriétaire de L’Express. « Je me suis dit, je vais mettre plein de journaux ensemble et je vais les diffuser auprès de mes 15 millions d’abonnés » de SFR, explique Patrick Drahi, qui alors « profite du régime en place de TVA », avant qu’il n’évolue. « Au total, j’ai dû perdre 200 à 300 millions d’euros sur la presse. Ce ne sont pas des bonnes affaires. Je pense que personne ne gagne de l’argent par la presse ». On se demande bien pourquoi, alors, tous ces grands patrons rodés aux affaires investissent dans les médias… Mais promis, « acheter des médias, ça n’a rien à voir avec une demande d’influence », assure-t-il, « j’ai 30 millions de clients chez SFR. J’ai la moitié de la France. Je me promène dans la rue, tout le monde me connaît, enfin mon entreprise. Je n’ai pas besoin d’avoir d’influence sur quoi que ce soit ».

« Depuis que je suis à la tête de BFM, je ne suis pas intervenu »

Le patron d’Altice l’assure : « Depuis que je suis à la tête de BFM, je ne suis pas intervenu. […] Ce n’est pas mon métier de savoir de quoi on doit parler ». Auditionné déjà par le Sénat en juin 2016, il tenait le même discours. « Vous demandez mon niveau d’intervention : zéro. Mon niveau d’intervention, c’était de dire ça perd de l’argent, il faut mettre ça à l’équilibre », expliquait-il alors.

Le rapporteur socialiste, David Assouline, cite pourtant un communiqué commun de 2021 des SDJ de BFM, BFM Business et RMC, dénonçant la fin de la collaboration d’un journaliste de Capital, « la direction du groupe ayant mis en avant des articles jugés malveillants pour Altice […] pour justifier la fin de cette collaboration ». Patrick Drahi balaie d’un revers de main le sujet : « C’est une SDJ. C’est leur version. Je ne vois même pas de quoi on parle. En tout cas, je ne suis pas intervenu dans cette opération. Et je n’interviens pas dans le contenu », répète-t-il. David Assouline le relance en fin d’audition sur ce communiqué de « quatre SDJ ». « Il pourrait y en avoir cinq, ça pourrait être faux. Il pourrait y en avoir quinze, ça pourrait être faux. Vous savez, l’affaire Dreyfus, il y en avait beaucoup plus que quinze… » s’énerve Patrick Drahi, qui lance : « Moi, je suis un Méditerranéen, comme vous Monsieur. Quand on me titille, on me trouve ».

« J’aimerais constituer un groupe plus grand dans les médias »

Concernant l’objet même de la commission d’enquête, la concentration, Patrick Drahi revendique au contraire sa volonté de grossir davantage. S’il assure qu’« il n’y a aucune stratégie de rapprochement » entre Altice et Iliad, le groupe fondé par Xavier Niel et détenteur de Free, il reconnaît avoir « tout essayé dans la consolidation du marché des télécoms français. Je n’y suis pas arrivé mais j’aime bien insister dans la vie. Je ne suis pas pressé. Je pense que ça se fera un jour ». Patrick Drahi ne s’en cache pas : « J’aimerais constituer un groupe plus grand dans les médias. Si je peux récupérer ce qui va tomber de l’arbre, je le ferai ». « Je comprends votre crainte, big brother, on comprend très bien » dit-il. Mais à ses yeux, la concentration ne présente aucun risque. Le sénateur communiste Pierre Laurent, ancien numéro 1 du PCF, le relance : « Si je vous écoute, si au lieu d’être six ou sept, si vous êtes deux ou trois, tout ira beaucoup mieux ». Réponse de Patrick Drahi : « Oui ». Autrement dit, pour Patrick Drahi, la concentration des médias n’est pas le problème, mais la solution. Pas sûr que tout le monde, à commencer par les sénateurs de la commission d’enquête, soit convaincu.

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