Institutions : la nouvelle version de la réforme de Macron peut-elle convenir au Sénat ?

Institutions : la nouvelle version de la réforme de Macron peut-elle convenir au Sénat ?

La réforme des institutions va faire son retour l’été prochain. Emmanuel Macron la complète avec le RIC local et le tirage au sort de citoyens. Si ces sujets laissent perplexes les sénateurs, la tonalité de la réforme pourrait favoriser la recherche d’un accord, en évitant une guerre ouverte avec le Sénat.
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La réforme constitutionnelle, acte II. Arrêtée l’été dernier pour cause d’affaire Benalla, la réforme institutionnelle et constitutionnelle va faire son grand retour un an après. C’est du moins ce que devait annoncer Emmanuel Macron, selon le projet d’allocution post-grand débat, annulée en raison de l’incendie de Notre-Dame (voir le sujet vidéo de Quentin Calmet).

Final cut

Cette nouvelle mouture ne part pas de zéro. Le nouvel épisode ressemble au premier film remasterisé, avec quelques scènes nouvelles. Au passage, les plus violentes aux yeux des sénateurs semblent avoir été coupées au montage. Mais on attend le final cut. Voilà pour la métaphore. Concrètement, le chef de l’Etat conserve deux promesses de campagne déjà prévues : la baisse du nombre de parlementaires, à laquelle il ajoute le nombre d’élus, et un scrutin « significativement plus proportionnel ».

La nouveauté vient du référendum d’initiative citoyenne (RIC). Le chef de l’Etat avait exclu, dès l’ouverture du grand débat, cette demande des gilets jaunes. Surprise, il la reprend à son compte, mais en la limitant à « certains sujets d’intérêts locaux ».  Le référendum d’initiative partagée (RIP) serait lui « plus accessible ». Les seuils requis (185 parlementaires, 4,5 millions de signatures) l’ont rendu jusqu’ici inapplicable. Autre nouveauté, une convention de 300 citoyens « tirés au sort » pour « travailler sur la transition écologique ».

« Le RIC local, ça existe déjà. C’est le référendum d’initiative locale »

Qu’en pensent les sénateurs, sans qui, rappelons-le, toute modification de la Constitution est impossible ? « Le RIC local, ça existe déjà. C’est le référendum d’initiative locale, déjà mis en place par certaines collectivités. Donc rien de nouveau » balaye d’un revers de main le sénateur LR Roger Karoutchi. L’ancien ministre des Relations avec le Parlement ajoute : « Je suis hostile aux effets d’annonce inutiles » (voir la vidéo, images de Cécile Sixou). Roger Karoutchi est en revanche favorable sur le fond au RIP simplifié. Il le propose, tout comme le septennat non renouvelable, dans une proposition de loi constitutionnelle qu’il a déposée début avril. Un groupe de travail du Sénat propose aussi de simplifier ce RIP. Le sujet fait consensus.

Karoutchi : « Le RIC local, ça existe déjà. C’est le référendum d’initiative locale »
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Quant aux citoyens tirés au sort, Roger Karoutchi craint que l’idée vire vite au « café du commerce ». Il y voit même une « forme de populisme light ». « On aura des citoyens tirés au sort qui n’auront aucune compétence sur l’écologie » met en garde le sénateur des Hauts-de-Seine, qui préfère « renforcer les compétences du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ». Un autre sénateur a des mots encore plus durs :

« Le tirage au sort, c’est un peu la négation de tous les fondamentaux de la démocratie depuis l’antiquité… Ce n’est pas sérieux ».

Du côté du PS, le président du groupe socialiste, Patrick Kanner, salue l’idée d’un RIP simplifié, « on y est favorable ». Sur le RIC local, même sentence que Roger Karoutchi : « Ce n’est pas une nouveauté. Il y a le référendum d’initiative locale ». Plutôt que le RIC local, il préconise « le droit d’amendement citoyen ». Patrick Kanner n’est pas emballé par l’idée des citoyens tirés au sort. « Ont-ils plus de légitimité que le CESE qui représente les forces vives ? » demande le sénateur du Nord.

« Je pense qu’Emmanuel Macron a clairement renoncé à un certain nombre de choses »

Si les nouveautés ne semblent pas faire l’unanimité, ce qui est absent convient… Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron avait évoqué un rapprochement du CESE et du Sénat, chiffon rouge pour les sénateurs. Après la décision de son bureau sur l’affaire Benalla, la tension était très forte avec l’exécutif. Le député LREM Sacha Houlié, qui planche sur les questions institutionnelles à l’Assemblée, avait menacé après ce « coup de force du Sénat », dénonçant « sa méprise sur son rôle est une forme de déconnexion. Celle-ci devra être traitée »… Or selon le projet d’allocution, il n’en est rien.

« Je pense qu’Emmanuel Macron a clairement renoncé à un certain nombre de choses » réagit Roger Karoutchi face à l’absence de réforme de la Haute assemblée. « Si le grand débat a servi à ça au moins, montrer l’utilité du bicamérisme, c’est une bonne chose » pour Patrick Kanner. « Au fond, est-ce que la réforme institutionnelle est une punition infligée à tel ou tel ou un projet pour renforcer la démocratie ? Ça ne peut être que la seconde branche de l’alternative. Toute autre hypothèse serait une forme de puérilité » lâche un sénateur LR.

La hache de guerre serait enterrée, les tensions oubliées. « Si tant est qu’il y en ait eu vraiment. Je crois que tout le monde a dit ce qu’il avait à dire et on est passé à autre chose » estime un sénateur centriste. La part de jeu de rôle et d’exagération dans le clash des dernières semaines n’était pas négligeable. « J’imagine que le président de l’Assemblée doit aujourd’hui pousser dans un sens apaisé et efficace », selon le même sénateur, alors que le président LREM de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, avait refusé un déplacement avec son homologue Gérard Larcher. Les événements de Notre-Dame et la forme d’unité nationale qui a suivi pourraient même mettre de l’huile, selon le même sénateur centriste :

« Le climat porte à la recherche des solutions partagées plutôt qu’à des conflits, il facilite la concorde et le dialogue ».

Pour arriver à un accord, on connaît les exigences du Sénat : que « le Parlement soit renforcé » et ne « pas créer de déserts démocratiques, c’est-à-dire que les territoires soient convenablement représentés » dans le cadre de la baisse du nombre de parlementaires, rappelle un sénateur LR qui connaît le dossier.

« On commente un non-dit. Restons prudents »

Dans le projet d’allocution d’Emmanuel Macron, il n’aura pas échappé aux sénateurs que le Président veut consolider « la place et le rôle du Parlement en particulier en matière de contrôle de l’action publique ». Après la commission d’enquête Benalla et les accusations de l’exécutif contre le Sénat qui serait sorti de son rôle, on peut y avoir un signe de plus d’apaisement.

Reste la question de la proportionnelle. Le premier projet de loi fixait la dose à 15% pour les législatives. Les centristes en veulent un niveau élevé, les députés LR le moins possible et les sénateurs LR sont quelque part entre les deux. Mais là aussi, les discussions sont possibles.

Le chef de l’Etat vise un retour du texte l’été prochain pour une adoption définitive avant la fin de l’année. Sur ce point, un sénateur reste prudent : « On a déjà entendu plusieurs calendriers. Si on s’y était fié, il y a longtemps que la révision serait achevée… » Les sénateurs attendent aussi d’entendre le président de la République pour savoir s’il faut réjouir ou pas. Comme le dit Patrick Kanner : « On commente un non-dit. Restons prudents ».

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