« Une décision inédite », a vanté ce matin le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. A 7 mois de l’élection présidentielle et le jour de la présentation par la candidate du RN, Marine Le Pen d’un projet de référendum sur l’immigration, le gouvernement annonce un durcissement de l’octroi des visas pour les ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie.
Une décision rendue nécessaire, selon Gabriel Attal, « par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France », confirmant ainsi une baisse à venir de 50 % du nombre de visas délivrés pour les ressortissants du Maroc et de l’Algérie et de 33 % pour ceux de Tunisie.
Selon les chiffres délivrés par le ministère de l’Intérieur, ces trois pays freineraient des deux pieds lorsqu’il s’agit de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France. L’Algérie a délivré entre janvier et juillet 2021 un total de 31 laissez-passer consulaires pour 7.731 obligations de quitter la France (OQTF) prononcées, et 22 expulsions réalisées, soit un taux d’exécution de 0,2 %. Ce taux est de 2,4 % pour les OQTF concernant les ressortissants marocains, et de 4 % pour les Tunisiens.
« On a toujours tort d’avoir raison trop tôt »
Au Sénat l’annonce du gouvernement n’est pas passée inaperçue. Et pour cause la mesure avait été votée au Sénat en 2018 lors de l’examen du projet de loi asile et immigration, contre l’avis du gouvernement. La mesure n’avait pas survécu à la navette parlementaire. De quoi faire ironiser le patron du groupe LR, Bruno Retailleau. « C’est fou comme les problèmes sont de plus en plus faciles à régler à mesure que la présidentielle approche… », a-t-il tweeté tout « saluant » la décision du chef de l’Etat.
« Ça va dans le sens de ce qu’on avait préconisé, mais je regrette que le gouvernement ne l‘inscrive pas dans la loi. On a toujours tort d’avoir raison trop tôt », soupire François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois du Sénat, à l’époque rapporteur du projet de loi asile et immigration.
En effet, son amendement voté le 22 juin 2018, permettait au gouvernement de réduire le nombre de visas de long séjour accordés aux ressortissants des pays les moins coopératifs en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. « Cette disposition est respectueuse des prérogatives diplomatiques du gouvernement français. Elle ne lui fait aucune injonction. Elle dit simplement que la France peut refuser des visas quand le pays d’origine du demandeur ne remplit pas ses devoirs à notre égard […] comme lorsqu’il fait preuve de mauvaise volonté dans la délivrance de certificats consulaires pour ses ressortissants en instance d’éloignement », avait justifié Philippe Bas à l’époque président de la commission des lois.
Immigration irrégulière : le Sénat facilite les expulsions du territoire
Le gouvernement et la gauche s’y étaient opposés « pour des raisons dogmatiques », estime aujourd’hui François-Noël Buffet. « Imaginons un jeune étudiant étranger brillant qui veut faire ses études en France, il verra son visa refusé pour des raisons diplomatiques, avait mis en avant Richard Yung (LREM).
La droite sénatoriale avait également réduit de 30 à 7 jours le délai de départ volontaire qui peut être accordé aux étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.
Ce projet de loi asile et immigration, dite loi Collomb, reste encore au travers de la gorge de certains sur les bancs de la droite. « De qui on se moque ? Emmanuel Macron, c’est le champion de l’immigration illégale. Ce qu’il propose c’est une mesurette, c’est cosmétique et inefficace », tance Valérie Boyer (LR) qui estime notamment que la loi de 2018 a élargi les conditions d’accès au regroupement familial et n’a pas suffisamment renforcé la lutte contre les mariages blancs.
« Cette décision va renforcer les filières irrégulières »
A gauche, le sénateur socialiste Jean-Yves Lecomte se désole de la décision prise par le gouvernement « qui ne fait pas la différence entre l’exécutif de ces Etats et leurs ressortissants ». « C’est de la démagogie à la petite semaine. On va refuser un visa à un étudiant parce que son pays ne coopère pas avec la France. Et on parle de pays comme l’Algérie et la Tunisie où il y a un vrai sujet de démocratie, où le bien-être de leur population n’est pas une priorité absolue. Il aurait été plus logique de viser les porteurs de passeports diplomatiques ou encore de renvoyer les ambassadeurs. Cette décision va renforcer les filières irrégulières et inciter les personnes qui ont vraiment besoin d’un visa à se tourner vers les passeurs. Avec ce type de décision, il ne faut pas s’étonner que la France perde de son influence en Afrique ».
Cette annonce intervient en effet dans un contexte diplomatique tendu avec le Maroc (affaire Pegasus), l’Algérie (sur les questions mémorielles) et la Tunisie (respect de l’état de droit).