Il y a de la fébrilité dans l’air. La majorité présidentielle et le gouvernement, à l’approche de la manifestation contre la réforme retraites du jeudi 5 décembre, multiplient les éléments de langage, mécontents de voir différents courants politiques se joindre au mouvement. Le délégué général de la République en marche Stanislas Guerini a été le premier à dégainer ce week-end, sur France 3. « C’est quand même un peu historique, ce qu’il se passe. Le Rassemblement national sera aux côtés du Parti socialiste pour manifester », a déploré le député de Paris, ajoutant sur Twitter qu’un « mur va tomber ».
Le même reproche a été formulé par Gérald Darmanin (ancien LR), ministre de l’Action et des Comptes publics. Mais aussi par Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture. « Ça fait drôle. C'est la première fois, je crois, dans l'histoire que ces deux organisations vont défiler dans une manifestation. Je ne vais pas faire d'amalgame. Je trouve ça dommage », a-t-il déploré sur notre antenne.
« Bullshit ! »
Cette dernière sortie est mal vécue au groupe socialiste au Sénat, qui était justement présidé par Didier Guillaume jusqu’en janvier 2018. « Ils sont très remontés », nous explique-t-on ce mardi à la sortie de la réunion hebdomadaire du groupe. Face à l’argumentaire du gouvernement, les réponses sont directes. « Bullshit », lâche une sénatrice.
Un cadre du groupe démontre l’absurdité du raisonnement. « Que je sache, Marine Le Pen était présente comme Didier Guillaume hier à l’hommage national [aux Invalides], ça ne l’a pas gêné ! »
Face à notre caméra, Jérôme Durain laisse éclater sa colère contre les deux anciens socialistes, le strauss-khanien Stanislas Guerini et l’ancien directeur de campagne de Manuel Valls, Didier Guillaume. « Il n’y a rien à attendre des renégats et des traîtres. Si c’est tout ce qu’ils ont à dire, franchement, c’est d’une médiocrité absolue », fulmine le sénateur de Saône-et-Loire. « Si c’est le seul argument de Stanislas Guerini, Didier Guillaume et consorts, alors c’est qu’on est tombé bien bas. »
« Didier Guillaume devrait plutôt s’occuper de Biarritz », ironise Patrick Kanner
C’est également sur la même ligne qu’a réagi sur Twitter le sénateur Jean-Louis Tourenne, après avoir découvert la séquence de Didier Guillaume. « L'homme de toutes les trahisons qui vient donner des leçons de morale !! »
Joint par téléphone, le président des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, ne mâche pas ses mots à l’égard de son prédécesseur à la tête du groupe. « Le gouvernement a mieux à faire que de stigmatiser un parti politique qui n’est pas au mieux de sa forme mais qui n’a pas perdu sa boussole. Didier Guillaume a perdu sa boussole depuis longtemps. Il devrait plutôt s’occuper de Biarritz », réagit-il, en faisant allusion aux ambitions municipales que l’on prête au ministre de l’Agriculture.
Patrick Kanner considère que le gouvernement, « petits-bras », « est à court d’arguments », car « il est incapable d’être clair sur la réforme des retraites ». « Si c’est ça le résultat du séminaire, il y a de quoi s’inquiéter », selon le sénateur, qui surnomme la réunion de dimanche à Matignon « opération baskets et jeans ».
« On n’a pas beaucoup de leçons à recevoir de la macronie sur la question du Rassemblement national »
Plus largement, les socialistes ont retourné à l’expéditeur l’accusation de promiscuité avec le parti de Marine Le Pen. « On n’a pas beaucoup de leçons à recevoir de la macronie sur la question du Rassemblement national parce que le débat politique instrumentalisé avec cette opposition populistes-progressistes, c’est eux. Donc ça suffit ! » s’est exclamé Jérôme Durain.
Plus taquin, le sénateur Martial Bourquin a rappelé que la majorité présidentielle avait voté en faveur du projet de loi asile et immigration « avec les voix du RN ». « Mais je ne veux pas faire d’amalgame non plus », a-t-il envoyé, un clin d’œil à la déclaration de Didier Guillaume.
Derrière ce débat qui oppose d’anciens camarades, il faut rappeler que l’état-major du Rassemblement national abordera la manifestation du 5 en ordre dispersé. Si Marine Le Pen a formellement appelé à défiler contre la réforme des retraites, tous les cadres du parti ne répondent pas présent. Louis Aliot n’ira pas, et d’autres veulent éviter de se retrouver non loin de la CGT.