Le Sénat a desserré dans la nuit de mardi à mercredi le "verrou de Bercy", qui donne au fisc le monopole des poursuites pénales en cas de fraude, en adoptant en première lecture le projet de loi contre la fraude.
Il s'agit "de supprimer le verrou de Bercy et de le remplacer par un mécanisme qui réserve le cumul des sanctions administrative et pénale aux cas de fraudes les plus graves", a dit le rapporteur général de la commission des finances Albéric de Montgolfier (LR).
Ces fraudes doivent respecter trois critères cumulatifs: l'application de pénalités d'au moins 80%; un montant supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'État; enfin, soit une réitération des faits, soit des comportements aggravants.
Mais plusieurs sénateurs ont jugé ce dispositif insuffisant et déposé des amendements similaires destinés à aller plus loin.
Éric Bocquet (CRCE, à majorité communiste) a ainsi estimé que "ce texte reste modeste, se contentant de mesures cosmétiques, et souhaitant rendre acceptable le maintien du verrou de Bercy".
"Les dispositions qui organisent le verrou de Bercy ne sont pas supprimées", a estimé la socialiste Sophie Taillé-Polian, pour qui "l'aménagement proposé est largement insuffisant". "Il ne s'agit pas d'engorger les tribunaux, mais les critères proposés sont trop restreints et, de surcroît, cumulatifs", a-t-elle jugé.
"On a un texte +Canada Dry+", a lancé Nathalie Goulet (UC). "Ca ressemble à la suppression du verrou de Bercy, mais ça ne supprime pas le verrou de Bercy".
Leurs amendements ont été rejetés par 207 voix contre, LR, 9 UC, 20 LREM et Les Indépendants, et 105 pour, PS, CRCE, 9 UC et 18 RDSE (à majorité radicale).
"Pour la première fois, je donnerai, non pas un avis favorable, mais un accord de principe" à cette suppression, a annoncé le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin. "L'Assemblée nationale souhaitera sans doute améliorer l'écriture de cet article", a-t-il ajouté, estimant que "les clés du verrou se trouvent sans doute au Parlement" à qui il "reviendra d'établir des critères".
Le ministre a d'ailleurs fait adopter un amendement prévoyant "que le critère de réitération ne s'applique pas à une personne soumise à déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique", faisant allusion à l'affaire de son prédécesseur PS Jérôme Cahuzac.
Le "verrou de Bercy", défendu par l'administration fiscale au nom de l'"efficacité", a fait l'objet de critiques récurrentes de la part des associations et des magistrats, qui lui reprochent d'entraver la liberté d'action des juges et de favoriser l'opacité.
Destiné à mieux détecter la fraude" et "mieux la sanctionner", le projet de loi anti-fraude étend notamment la possibilité de rendre publics les noms des fraudeurs, afin de lutter plus efficacement contre l'évasion fiscale.
Les sénateurs ont aussi renforcé la lutte contre la fraude à la TVA sur internet. "Il s'agit là d'une fraude massive dans le commerce en ligne, y compris sur des sites reconnus".
En revanche, ils ont confirmé la suppression d'un nouveau service d'enquête fiscale au sein du ministère du budget, proposé par le gouvernement. La rapporteure Nathalie Delattre (RDSE) a estimé qu'il aurait été concurrent de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale qui existe déjà à Bercy.
Les sénateurs ont prévu de nouveaux droits d’accès à l’information pour les agents chargés de la lutte contre la fraude et précisé les modalités selon lesquelles les plateformes numériques transmettront à l’administration fiscale les informations utiles à la lutte contre la fraude aux prélèvements fiscaux.
Ils ont aussi approuvé le renforcement de la lutte contre le trafic de tabac en sanctionnant plus sévèrement les circuits illicites de vente et en doublant le montant des sanctions pour fabrication, détention, vente et transport illicites de tabac qui pourront atteindre jusqu’à 5.000 euros.
Le texte doit à présent être examiné toujours en première lecture par l'Assemblée nationale.