Souvent utilisée dans le débat public, la question de la fraude sociale a fait l’objet d’un rapport, commandé par Matignon à la sénatrice UDI de l’Orne, Nathalie Goulet, et à la députée LREM de Meurthe-et-Moselle, Carole Grandjean. Elles ont remis leur rapport au gouvernement mardi 5 novembre. Edouard Philippe les avait missionnées fin mai afin de « procéder à une évaluation robuste et objective du coût de la fraude aux prestations sociales ».
Résultat : les deux parlementaires concluent ne pas être en possibilité de chiffrer la fraude. Jusqu’ici, les chiffres varient du tout au tout. En décembre 2018, un magistrat spécialisé dans la fraude fiscale et sociale, Charles Prats, avait évalué, sur un total de 450 milliards de prestations, à 14 milliards d’euros annuels le montant des escroqueries aux prestations sociales liées à l’existence de faux numéros d’immatriculation de personnes nées à l’étranger.
Mi-septembre, un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat vient calmer les ardeurs des pourfendeurs de la fraude. Celle aux « faux numéros » de sécurité sociale s’évaluerait entre 117 et 138,6 millions d’euros par an, selon le rapporteur Modem de la commission, Jean-Marie Vanlerenberghe. Soit 100 fois moins…
« On n’a pas eu les moyens de chiffrer car les administrations nous ont fermé les portes »
Le rapport de la sénatrice Nathalie Goulet, qui a plutôt eu tendance ces derniers mois à se concentrer sur le haut de la fourchette, ne viendra pas clore ce débat. « Nous n’avons pas chiffré le montant de la fraude. C’était trop court et on n’avait zéro moyen technique » justifie aujourd’hui la sénatrice de l’Orne. « On a essayé de chiffrer dans notre pré-rapport (présenté en septembre, ndlr), mais il y a eu tellement de polémiques autour des chiffres, qu’on a préféré s’attacher au fond du dossier et ne pas chiffrer pour éviter la polémique » ajoute Nathalie Goulet sur l’antenne de Public Sénat. Et surtout, « on n’a pas eu les moyens de chiffrer car les administrations nous ont fermé les portes » reconnaît et regrette la sénatrice UDI.
« Si le chiffrage de la fraude aux prestations sociales est difficile à estimer, chacun s’accordera à partager qu’elle est largement sous-estimée du fait de son caractère dissimulé » écrivent les sénatrices dans leur rapport. Bref, on ne sait pas combien c’est, mais c’est plus…
« Les fraudeurs sont très créatifs »
Reste que « les fraudeurs sont très créatifs » constate Nathalie Goulet. Chaque type de fraude a droit à son chapitre dans le rapport : fraudes à l’état civil, à la résidence, au logement, aux documents et attestations, médicales, ou encore fraudes aux déclarations de ressources et de patrimoine, à la dissimulation d’activité, aux coordonnées bancaires, au RSA, fraudes transfrontalières ou celle des entreprises. Un vrai inventaire à la Prévert.
A noter que sur le RSA, la Caisse d’allocation familiale affirmait en 2015 à publicsenat.fr que « 99% des familles jouent le jeu », ce qui faisait moins de 1% de fraudeurs.
« Manque de coordination et d’échanges de données »
Pour compliquer les choses, les deux parlementaires ont constaté notamment « un manque de coordination et d’échanges de données » entre administrations, ce qui facilite la fraude. Elles préconisent notamment de s’inspirer « du modèle belge. C’est un modèle idéal de partage de données », explique Nathalie Goulet.
De son côté, la sénatrice UDI de l’Orne entend mettre le doigt en particulier sur la question du nombre de cartes vitales en circulation. Là aussi, certains chiffres, parfois fantaisistes, ont circulé. « Grâce à notre conférence de presse du 3 septembre, on a eu le nombre de 59,4 millions de cartes vitales en circulation. Ce qui fait un excédent d’environ 5 millions de cartes. Il y a 5 millions de cartes en vrac, en trop dans notre système » explique Nathalie Goulet, qui ajoute : « On est dans un triangle des Bermudes. ça ne peut pas être que des doublons, il y a forcément de la fraude ». Mais là encore, difficile de dire exactement quelle part représente ce type de fraude. Pour Nathalie Goulet, la fraude se cache à tous les étages :
« Tout le débat autour de l’AME (aide médicale d’Etat) n’est qu’un échantillon de ce qui se passe au niveau national sur d’autres prestations : c’est-à-dire du pillage en règle »
« Ce n’est pas de la fraude de pauvre, ni une chasse aux émigrés »
Mais souligner de manière excessive la fraude ne risque-t-il pas de pointer du doigt la grande majorité des bénéficiaires des prestations, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les plus pauvres ? Nathalie Goulet s’en défend. « Ce n’est pas de la fraude de pauvre, ni une chasse aux émigrés » répond la sénatrice UDI, qui souligne que le rapport se penche aussi sur « le non-recours. 28% des personnes ne vont pas chercher les droits auxquels ils ont droit. Lutter contre la fraude permet une meilleure justice sociale. Il faut que l’argent aille vraiment là où les gens en ont besoin ».
Les deux parlementaires n’entendent pas en rester là. Elles comptent bien transformer leur rapport en amendements dans les textes budgétaires. Carole Grandjean a déjà fait adopter un sur le budget 2020 de la Sécurité sociale. Le gouvernement devra ainsi remettre un rapport sur l'utilisation du fichier national des assurés sociaux (RNCPS).
Amendements sur le budget de la Sécu
Nathalie Goulet a elle déposé une quinzaine d’amendements au PLFSS (le budget de la Sécu). « On va essayer d’avoir des engagements de l’Etat sur le chiffrage » dit-elle. La sénatrice va défendre aussi un amendement « sur l’unité du domicile fiscal et du domicile social pour éviter les fraudes, car aujourd’hui, on peut se déclarer célibataire à Paris, en couple en Normandie et veuf en Bretagne, et vous allez recevoir les prestations, sans que ce soit coordonné ».
Amendements aussi sur la carte vitale pour que « la carte, aujourd’hui délivrée à vie, le soit en fonction des droits du titulaire. Si vous avez le droit de rester six mois sur le territoire, votre carte doit être valide six mois ». Ses amendements seront examinés la semaine prochaine, lors de l’examen du texte en séance.