Fin de vie : « En quelques mois on peut arriver à un large accord de la société », veut croire Bernard Jomier (PS)
Alors que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu ce mardi un avis ouvrant pour la première fois, la « voie » à une « aide active à mourir », l’Elysée a confirmé l’organisation d’une consultation citoyenne au CESE en octobre, qui pourrait donner lieu à un changement de la législation à la fin de l’année 2023. Comme souvent, le sujet divise au Sénat, qui avait déjà examiné une proposition de loi sur la question il y a un an et demi.
Par Louis Mollier-Sabet / Images : Sandra Cerqueira
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À bout de souffle, Jean-Luc Godard s’est éteint à 91 ans ce mardi, en ayant eu recours au suicide assisté en Suisse, pays où il résidait depuis les années 1970 et où l’assistance au suicide est autorisée. Une annonce qui tombe au moment où une nouvelle vague semble refluer sur le chantier de la fin de vie de l’autre côté des Alpes. Le Président de la République avait préparé le terrain jeudi dernier, lors du lancement du Conseil national de la refondation et les choses commencent à bouger, alors qu'un débat - a minima - sur le sujet était une promesse de campagne du candidat Macron. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu ce mardi un avis qui ouvre la « voie » à une « aide active à mourir », mais « à certaines conditions strictes », a expliqué Alain Claeys, l’un des rapporteurs du CCNE, en conférence de presse ce matin. Une éventuelle « assistance au suicide » devrait donc concerner des « personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. »
Une rupture dans les avis du Comité d’éthique, qui s’était jusqu’alors toujours prononcé contre un changement de législation par rapport à la loi Claeys-Leonetti de 2016, et contre toute forme d’aide active à mourir, que ce soit le suicide assisté ou l’euthanasie. La loi de 2016 codifie en effet l’arrêt des traitements au titre du « refus de l’obstination déraisonnable », lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Le Comité d’éthique estime ainsi que le cadre légal actuel est satisfaisant dans ces cas-là, mais pas pour « certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables […] dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. » Pour le sénateur socialiste et médecin Bernard Jomier, cet avis du CCNE constitue une « évolution modérée » dans ses prises de position : « Pour la première fois, le Comité d’éthique ouvre la porte à une évolution par rapport à la loi Claeys-Leonetti, mais toutes les principales recommandations portent sur la nécessité d’un accès réel aux soins palliatifs des Français. Au fond, dit le CCNE, sans ce droit aux soins palliatifs, le débat est faussé et la décision du législateur risque d’être mal fondée. » Et le sénateur de Paris de résumer : « En estimant que les soins palliatifs vont se développer, le CCNE ouvre le débat sur une évolution de la législation actuelle et je trouve que c’est une bonne chose. »
Des avis divergents au Comité d’éthique, « comme dans la société française »
Dans cet avis, le CCNE accepte donc d’établir un « cadre éthique » pour mettre en place une « assistance au suicide », qui devra « accompagner la volonté de la personne », a expliqué Régis Aubry, autre rapporteur de l'avis du Comité. Mais « il faut s'assurer que cette demande soit ferme, éclairée, constante et motivée », a-t-il précisé, alors que cet avis « fait débat » au sein du CCNE, de l’aveu même d’Alain Claeys, « comme dans la société française », suppose-t-il. Huit membres du CCNE ont en effet déposé un avis divergent, un fait pas inédit, mais assez rare pour être souligné. Ils partagent le constat « qu’on meurt mal en France », mais insistant sur les moyens humains nécessaires à l’application de la législation, plutôt que de modifier celle-ci.
C’est pourquoi l’avis du Comité d’éthique revient principalement sur la nécessité de rendre effective la prise en charge en soins palliatifs en France : « On ne comprendrait pas une loi uniquement axée sur ce sujet [de la fin de vie], car aujourd’hui on sait très bien qu’il y a des situations inacceptables sur les soins palliatifs », a ainsi précisé Alain Claeys, tout en appelant à une accélération des efforts en faveur de ces services. Un diagnostic, partagé par la sénatrice LR Marie Mercier : « J’ai longtemps pensé que la loi Claeys-Leonetti était une avancée considérable. Sauf qu’elle est mal connue des soignants qui n’ont pas de service dédié, et elle est mal appliquée. Comme on n’a pas cet accompagnement des familles, il y a cette réflexion du CCNE sur une aide active ‘possible’ et ‘strictement encadrée’ », explique la sénatrice, médecin de profession.
« Je suis extrêmement dubitative à l’idée d’une consultation citoyenne »
« Encadrer la décision d’un patient qui demande à mourir. Est-ce qu’on se rend compte de ce que tout ça sous-entend ? Les choses ne sont vraiment pas aussi simples qu’on veut bien le laisser penser. On ne peut pas laisser cette réflexion sans qu’elle soit étayée par l’avis des professionnels », ajoute-t-elle. Et si la sénatrice LR s’inquiète, c’est qu’au niveau institutionnel aussi, le dossier de la fin de vie avance. Dans un communiqué, l’Elysée annonce ce mardi le lancement d’une consultation citoyenne sur la fin de vie, en vue d’un possible « nouveau cadre légal » d’ici fin 2023. Cette consultation sera organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), « dès octobre », afin de rendre ses conclusions en mars 2023.
Le CESE a « salué l’initiative du Président de la République » et a annoncé que le tirage au sort des citoyens « représentatifs de la diversité de la société française » devrait démarrer début octobre. En plus de cette convention citoyenne, des débats seront organisés « dans les territoires », « afin d’aller vers tous les citoyens », ainsi qu’un « travail concerté et transpartisan » avec les parlementaires. Une méthode qui ne convainc pas totalement la sénatrice LR Marie Mercier : « Je suis extrêmement dubitative à l’idée d’une consultation citoyenne. Nous les médecins nous avons déjà tellement de difficulté à se faire une idée, à essayer de comprendre notre métier, donc aller chercher une convention citoyenne là où il y a énormément d’émotion, et c’est normal… Mais on ne peut pas raisonner que par l’émotion. Le CCNE a mis plus d’un an à rendre son avis parce que c’est difficile. »
« L’euthanasie et le suicide assisté, ce n’est pas la même chose »
Au Sénat, une proposition de loi visant à établir « le droit à mourir dans la dignité » de Marie-Pierre de la Gontrie (PS) avait été rejetée par la majorité sénatoriale le 11 mars 2021. Mais comme souvent sur les sujets (bio)éthiques, les logiques de vote avaient été un peu plus complexes d’un clivage gauche – droite. Quelques sénateurs de droite et du centre, comme Elisabeth Doisneau (LR) et Olivier Cadic (UC) avaient voté en faveur de cette proposition de loi, en mettant en avant des expériences personnelles de proches qui avaient eu recours à une aide active à la mort à l’étranger. À gauche, Bernard Jomier, sénateur socialiste, s’était abstenu : « Je fais partie des parlementaires qui n’ont pas voté sur le texte de ma collègue, non pas parce que je suis pour le statu quo actuel, mais le cadrage n’était pas suffisant et qu’il ouvrait indistinctement le droit à l’euthanasie, comme la possibilité du suicide assisté. On ne peut pas voter une loi approximative sur cette question, mais je ne suis pas pour le statu quo, il faut faire évoluer notre législation. » À l’Assemblée nationale, l’examen d’une proposition de loi du député radical Olivier Falorni avait été interrompu en avril 2021 par le nombre d’amendements déposés (3000 dont 2300 du groupe LR), alors que la majorité présidentielle n’était pas totalement opposée à une évolution de la législation, comme en témoigne la proposition de loi déposée par Jean-Louis Touraine (LREM) en janvier 2021. L’exécutif ne s’était en revanche jamais emparé du sujet en déposant un projet de loi, qui aurait pu être examiné sur plusieurs jours (contrairement à une proposition de loi) et qui n’aurait donc pas pu être tué dans l’œuf par des dépôts d’amendements.
Les prises de position du candidat Macron avaient donc eu de quoi étonner, quand il avait confié, le 31 mars dernier lors d’un déplacement à Fouras (Charente-Maritime) être, à titre personnel, « favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge. » D’autant plus que « le modèle belge » fait figure d’assez libéral en la matière : les personnes atteintes de maladies incurables, même mineures, peuvent demander à un médecin de pratiquer l’euthanasie, alors que la Suisse, par exemple, n’autorise que l’accompagnement médical d’un suicide dit « assisté. » Or Bernard Jomier rappelle que l’euthanasie et le suicide assisté, « ce n’est pas la même chose » : « L’euthanasie, c’est le fait qu’une profession de santé administre la mort à un patient. Le suicide assisté, c’est de permettre à quelqu’un de faire le choix de mettre un terme à sa vie, et ce n’est pas forcément un médecin qui assiste la personne qui a fait ce choix. » D’après lui, le débat sur la fin de vie devra faire la part des choses entre deux « grandes demandes » : « La demande, réelle, de la société de pouvoir mourir dans de bonnes conditions, et celle des soignants, très vigilants quant aux valeurs éthiques qui fondent notre société, qui nous disent que les soignants n’ont pas à administrer la mort. » L’équilibre dans l’avis du CCNE laisse le sénateur socialiste optimiste : « En quelques mois on peut arriver, pas à un consensus total, mais à un large accord de la société, sur une évolution de la loi sur la fin de vie en même temps qu’à un développement réel des soins palliatifs. » La convention citoyenne aura probablement à trancher entre ces différents modèles, il faudra ensuite voir si ces conclusions seront reprises par l’exécutif et le Parlement, vu le précédent posé par la Convention citoyenne sur le climat.
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