Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
Fêtes clandestines : « On peut être 60 dans un appartement, ce n’est pas illégal »
Par Public Sénat
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« Stop the music and go home… », lance un policier au mégaphone, en arrivant aux abords d’une fête. L’introduction de Revolution 909, titre des Daft Punk, pourrait assez bien résumer la situation. Devant la multiplication de fêtes clandestines privées, faute de bars ou club où se retrouver, le gouvernement a décidé de sévir. Le premier ministre Jean Castex a annoncé, le 29 janvier, un renforcement des contrôles contre « les fêtes clandestines ». La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité du démantèlement de 190 « rassemblements festifs ».
Sanctuarisation du domicile
Sur le plan sanitaire, tout le monde s’accordera à dire que se rassembler, sans masque et dans un lieu clos, est la situation parfaite pour transmettre le covid-19. C’est donc à éviter. Mais sur le plan du droit, ces contrôles sont-ils fondés ? Dans beaucoup de cas, la réponse est non. En réalité, rien n’interdit de se rassembler chez soi, à plus de six personnes.
« Il y a des recommandations de ne pas être plus de six, mais pas d’interdiction », souligne Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, « on ne peut pas sanctionner le fait d’être à 30 dans un appartement ». « Il n’y a pas de limite de personne. On peut être 60 dans un appartement de 20 m2. C’est déconseillé pour plein de raisons, mais ce n’est pas illégal » confirme Evan Raschel, professeur de droit pénal à l’université de Clermont-Auvergne. Il rappelle qu’« il y a une sanctuarisation du domicile, de 21 heures à 6 heures du matin, sauf dans certains cas très particuliers, type terrorisme ».
Conséquence : les policiers n’ont tout simplement pas le droit de venir chez vous, comme bon leur semble. « Une des libertés fondamentales, c’est le respect de la vie privée qui est garanti par la Constitution et l’article 9 du Code civil. C’est l’une des bases de l’Etat de droit, sinon n’importe quel policier rentrerait chez vous. On ne serait plus du tout en Etat de droit », indique Maître Avner Doukhan, avocat au barreau de Paris. Autrement dit, « pour les fêtes, il n’y a absolument aucun cadre. Elles ne sont pas concernées par l’Etat d’urgence sanitaire. Ce n’est absolument pas légal pour un policier de venir contrôler, verbaliser ou interpeller des personnes qui font une fête chez eux en soirée. Les personnes ont absolument le droit d’être ensemble. Le couvre-feu n’interdit pas d’aller dormir chez une autre personne », recadre Evan Raschel. En revanche, précise le professeur de droit, les policiers peuvent agir sur le fondement du droit commun, en cas de « tapage nocturne ou d’usage de stupéfiant ». La fête devra donc être calme et évidemment sans drogue illégale.
« On ne peut pas créer de règle interdisant les Français de recevoir chez eux »
L’état d’urgence sanitaire en vigueur définit ce qui n’est pas autorisé. Et ce qui n’est pas interdit, est autorisé. « Dans les lieux publics et les établissements recevant du public, comme les cafés, les restaurant ou les églises, il y a des restrictions apportées à la liberté de réunion, de manifestation, ou de commerce. Si on fait rentrer en ce moment dans un restaurant des gens, on commet une infraction, car on ne peut pas dire qu’on a privatisé un lieu recevant du public », souligne le sénateur LR Philippe Bas, qui était rapporteur du projet de loi sur l’état d’urgence au Sénat.
« Mais dans un appartement ou une maison, c’est le principe contraire : les pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher à une famille d’être composée de 12 personnes ou ce qui se passe à l’intérieur du domicile », ajoute l’ancien président de la commission des lois du Sénat, mis à part « les cas définis par le Code de procédure pénale. Si on recherche un malfaiteur, on peut intervenir avec une perquisition. Mais sinon, on ne peut pas créer de règle interdisant les Français de recevoir chez eux. On peut leur faire de recommandations. C’est ce qu’a fait le premier ministre ».
« On peut refuser l’entrée aux policiers »
Conséquence de cette situation : « On peut refuser l’entrée aux policiers. Et s’ils rentrent quand même, c’est une violation de domicile et c’est une infraction pénale, aggravée par leur statut de force de l’ordre », explique Evan Raschel.
Les forces de l’ordre arrivent pourtant parfois à rentrer. Comment ? « Il y a du bluff en quelque sorte, car les personnes ne savent pas. Quand les policiers tambourinent pour rentrer, c’est impressionnant. Ils profitent de la méconnaissance de la réglementation pour venir ». A partir du moment où on les laisse rentrer, le cadre légal est respecté. Même « bluff » sur les verbalisations pour non-respect du couvre-feu, alors que la personne est déjà à l’intérieur d’un domicile. « Ils verbalisent à tout va en sachant très bien que les verbalisés n’auront pas le courage de contester ou ne savent pas », ajoute le professeur de l’université de Clermont-Auvergne.
Les forces de l’ordre agissent malgré le flou juridique
Malgré cette absence de cadre juridique pour empêcher les fêtes clandestines, les forces de l’ordre agissent. Ce week-end, la préfecture de police de Paris s’est félicitée d’avoir dressé 113 verbalisations dans la nuit de samedi à dimanche pour des rassemblements illégaux dans des bars et une fête rassemblant plus de soixante personnes. Quatre personnes ont été interpellées. Le même soir, une fête a rassemblé 50 personnes dans un gîte de Sarrebourg. La police a interpellé au matin 25 participants pour mise en danger de la vie d’autrui. L’organisateur de la soirée a quant à lui, été placé en garde à vue pour les mêmes motifs. La semaine dernière, à Croix, dans le Nord, la police est intervenue pour verbaliser 35 jeunes rassemblés dans un studio, surtout des étudiants. L’organisateur a été placé en garde à vue, là encore pour mise en danger de la vie d’autrui.
Problème : ce délit est très loin d’être constitué. Et l’exécutif le sait bien. Une note de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, daté du 23 mars 2020, et révélée samedi par Le Monde, « recommande formellement d’écarter la qualification de "mise en danger délibérée de la vie d’autrui", en cas de non-respect des mesures de confinement. Raison invoquée : ce délit implique un "risque immédiat de mort ou de blessures graves", une condition qui "ne paraît pas remplie au regard des données épidémiologiques connues" », relate le quotidien. Les policiers, appuyés par les procureurs, ont pourtant recours à ce fondement pour justifier leurs interventions dans les fêtes. Un nouveau coup de bluff, qui permet d’ouvrir les portes, raconte Le Monde. « Faute de mieux », policiers et gendarmes se retrouvent donc à y recourir pour appliquer les consignes de fermeté du ministre de l’Intérieur. Contacté, le syndicat des commissaires de la Police nationale n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Pas mal de procédures ont fait l’objet d’un classement sans suite »
Reste que « ça ne tient pas », soutient l’avocat Avner Doukhan. « Il faut un élément matériel et moral pour la mise en danger de la vie d’autrui, être persuadé que vous êtes atteint du coronavirus. La personne n’est pas forcément au courant, a fortiori si elle est asymptomatique », ajoute-t-il. « Vous ne pouvez pas montrer la causalité, il n’y a pas de preuve que les gens vont se contaminer dans ces lieux-là », confirme Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à Nanterre. Sans parler du fait que le taux de mortalité du covid-19 est très faible chez les jeunes.
« Ça se plaide comme on dit en droit. Car on est face à l’article 223-1 du Code pénal, qui n’a pas été pensé pour ça. La façon dont il est rédigé est assez floue, ce qui fait que certains procureurs, parquetiers, ont tenté de recourir à la mise en danger de la vie d’autrui. Mais pour l’instant, sans succès », souligne Evan Raschel. Les procédures sont donc très faibles pour ne pas dire vouées à l’échec. En résumé, comme rien « ne permet aux forces de l’ordre d’empêcher une fête clandestine, hormis pour tapage nocturne ou non-respect du couvre-feu s’il est constaté, pas mal de procédures ont fait l’objet d’un classement sans suite », explique Avner Doukhan.
« Intimidation »
Alors comment expliquer ces consignes ? Jean-Philippe Derosier pense que Jean Castex ou le ministre de l’Intérieur sont « dans un coup de communication politique. Le message renvoyé, c’est la fermeté. Mais il ne dit pas comment exactement ça se traduit ».
Pour le sénateur PS Jean-Yves Leconte, le gouvernement sait parfaitement ce qu’il fait. « Simplement, il joue la montre ». « C’est de la dissuasion, qui tire à l’intimidation » pointe ce membre de la commission des lois. Il ajoute :
De la même manière que sur la fermeture des frontières, le gouvernement a pris des mesures dont il sait parfaitement que certaines sont contraires aux droits fondamentaux et ne tiennent pas face au juge.
S’il reconnaît que « des gens souffrent de respecter les consignes, quand d’autres ne le font pas », Jean-Yves Leconte met en garde, car « infantiliser et intimider ne sont pas des solutions de long terme ». Le socialiste préfère faire appel à « la responsabilité de chacun ».
Sur l’application des consignes, « on bute vite sur une difficulté assez lourde » estime de son côté Philippe Bas. « Peut-on donner plus de moyens aux policiers ? J’en doute », dit le Questeur du Sénat, qui préfère aussi compter « sur la responsabilité individuelle de chaque Français. Quand on est nombreux dans un espace sans maque, le risque est maximal ».
« On voit que la sécurité prend le pas sur la liberté »
Plus généralement, Jean-Yves Leconte voit dans ce sujet « une question de responsabilité du pouvoir politique. Quand on joue la montre et qu’on prend des décisions dont on sait parfaitement qu’elles ne sont pas conformes au droit, il y a derrière un problème de responsabilité. Ce n’est pas correct en démocratie ».
Le risque est alors d’avoir une forme de glissement, par petites touches, de l’état de droit vers quelque chose d’autre. « Ça fait presque un an qu’on a des dispositions dérogatoires à tous les niveaux et on s’y habitue. Des personnes ont été verbalisées chez elles pour avoir fait une petite fête, alors que ces verbalisations pouvaient être illégales. On est tellement dans une logique d’état d’exception, que ça leur a semblé comme une atteinte aux libertés comme une autre. Et c’est ça qui est inquiétant. Là, il y a une dérive », pointe du doigt Evan Raschel. « On voit que la sécurité prend le pas sur la liberté », constate Avner Doukhan, « le covid-19 chamboule beaucoup l’état de droit ».