Fessenheim : une fermeture qui hante toujours le débat politique

Fessenheim : une fermeture qui hante toujours le débat politique

Alors que le pays connaît une crise énergétique multifactorielle, les critiques sur la décision de fermer la plus vieille des centrales nucléaires françaises en 2020 refont surface. Personne ne veut endosser la responsabilité de cette fin annoncée il y a plus de dix ans et la question de la légitimité de la fermeture devient politique, plutôt que technique.
Public Sénat

Par Clara Robert-Motta

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A-t-on bien fait de fermer Fessenheim ? A l’aune d’une crise énergétique majeure, la tentation de réécrire l’histoire est forte et les oppositions de tous bords de pointer du doigt la fermeture de la plus vieille centrale nucléaire de France en 2020.

« Qu’on ne vienne pas me chercher sur Fessenheim, […] la messe était déjà dite. » La réponse d’Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse en septembre est très claire : le président n’a décidément aucune envie de rendre des comptes sur ce sujet, lui qui veut désormais construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Si les portes de la centrale ont bien fermé durant le premier mandat de l’actuel président, la responsabilité incomberait plutôt à son prédécesseur répète-t-il.

A l’origine, la fermeture de Fessenheim était une promesse de campagne du candidat Hollande pour la campagne de 2012. Selon Nicolas Goldberg, consultant énergie à Colombus Consulting, « fermer Fessenheim faisait partie des points clés de l’accord entre le PS et les Verts avec l’abandon du MOx [combustible nucléaire, ndlr] et la réduction de 50 % du nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2025. »

Un choix politique toujours possible au début du mandat

Quand Emmanuel Macron arrive au pouvoir, certes la fermeture est déjà bien engagée, mais pas encore actée. Pour autant, il ne faut pas oublier que la fermeture était également présente dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017. « Quand Macron est arrivé, il y avait toujours la possibilité de ne pas fermer Fessenheim », juge François-Marie Bréon, physicien au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement. « Le président est revenu sur l’obligation de 50 % de nucléaire en 2025, la fermeture de Fessenheim aurait également pu être abandonnée. »

« Pas impossible, mais difficile », estime de son côté Nicolas Goldberg qui rappelle le contexte politique de la décision définitive. « A ce moment-là, les marcheurs essuyaient plusieurs défections dans leur camp du côté de l’aile gauche tendance écologiste. Quel message leur aurait-il envoyé s’il décidait de prolonger Fessenheim ? »

Un choix politique, d’accord. Mais qu’en est-il d’un point de vue technique ? En France, les réacteurs nucléaires doivent passer des examens tous les dix ans afin de vérifier leur conformité aux normes de sûreté. « C’était la plus vieille centrale nucléaire en France, elle arrivait à l’échéance des 40 ans », explique François-Marie Bréon. « On ne l’a pas laissée faire sa visite décennale, car le gouvernement avait déjà pris la décision de fermer la centrale. »

Selon le spécialiste, il n’y a pas de raison de penser que Fessenheim n’aurait pas passé l’examen. Un rapport d’information sénatorial « Nucléaire et hydrogène : l’urgence d’agir » de juillet 2022 va dans le même sens : « Les 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim, pourtant fonctionnels sur le plan de la sûreté nucléaire, ont été arrêtés, en février et juin 2020. »

Pour affirmer cette bonne santé de Fessenheim, les experts se tournent vers les derniers rapports de l’Autorité de Sûreté Nationale (ASN), notamment celui de 2020. « La fin de l’activité de production du site de Fessenheim s’est faite avec un niveau de performance très satisfaisant en matière de sûreté, en ligne avec les bons résultats obtenus par le site depuis plusieurs années. »

La sûreté de la centrale en question

Des résultats satisfaisants donc, mais seulement à l’égard des critères précédant le passage des 40 ans, note Yves Marignac, consultant au sein du groupe NégaWatt. « Le niveau d’exigence pour les réacteurs qui vieillissent augmente. Certaines mises en conformité auraient été difficiles à envisager pour Fessenheim. »

Ce passage des 40 ans a, depuis, été passé par d’autres centrales, comme celle du Tricastin, et d’autres centrales ont entamé leur grand carénage (travaux pour mettre la mise en conformité et prolonger la durée de vie des centrales). François-Marie Bréon estime que si les travaux ont été engagés pour ces centrales, ils auraient pu l’être pour Fessenheim si tant est qu’un choix politique ait été pris en ce sens.

« C’est une extraordinaire réécriture de l’histoire. Faire reposer sur la seule décision politique la fermeture de Fessenheim, c’est occulter les décisions industrielles et financières d’EDF. »

Yves Marignac, membre de NégaWatt

Pour le spécialiste, une des différences majeures entre la doyenne des centrales françaises et les autres est à chercher du côté des radiers (dalle en béton sur laquelle reposent les réacteurs), beaucoup moins épais que ses successeures. Or, pour le mettre en conformité, il aurait fallu des travaux probablement « techniquement compliqués » et « financièrement lourds » selon Yves Marignac qui rappelle qu’EDF n’a jamais engagé les études pour réaliser ces travaux.

Des études qui n’ont jamais débuté car la décision de fermer avait déjà été prise rétorque Nicolas Goldberg de Colombus Consulting. « Fessenheim ne s’est pas fermée toute seule, et EDF n’a certainement pas poussé à sa fermeture. La raison première n’était pas la sûreté, c’était de la politique. »

Quelles que soient les raisons de la fermeture de Fessenheim, les décisions prises concernant le nucléaire sous le quinquennat de Hollande font toujours grincer des dents l’opposition. Le sénateur Alain Joyandet entend même constituer une commission d’enquête sur l’origine de la crise énergétique qui s’intéressera particulièrement au nucléaire civil. Même son de cloche à l’Assemblée où le patron des députés LR, Olivier Marleix, a eu le feu vert pour lancer sa propre enquête parlementaire sur le même sujet. Dans les colonnes du Figaro, Olivier Marleix critique violemment François Hollande et Emmanuel Macron qui ont, selon lui, « une responsabilité immense devant les Français et la nation ». Il ajoute : « La fermeture de Fessenheim n’est que la partie émergée de l’iceberg. »

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