La question de l’évaluation de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI), a déjà occupé, début octobre, le débat public. D’un côté, l’exécutif soutient qu’il est trop tôt pour en voir précisément les effets sur l’économie. De l’autre, les sénateurs pointent déjà de multiples dérives. Rien de tel que l’examen du budget 2020 pour refaire à nouveau le match, à coup d’amendements. L’enjeu est important. La suppression de l’ISF en début de quinquennat a valu à Emmanuel Macron le surnom de « Président des riches ».
Si le rapporteur LR du budget, Albéric de Montgolfier, était d’accord pour supprimer l’ISF – la droite en a rêvé mais ne l’a jamais fait – il critique vertement l’impôt qui l’a remplacé. Avec l’IFI, « on a imposé l’immobilier de bureau qui sert à l’économique, ou les détenteurs d’usines », « mais quand vous avez des bitcoins, quand vous avez des placements en obligations chinoises, vous êtes exonéré » pointe du doigt le rapporteur général du budget. Il dénonce « un impôt qui a des conséquences économiques assez désastreuses », qui touche « les petits riches ». Il défend à la place la transformation de l’IFI en… IFI, qui deviendrait l’impôt sur la fortune improductive. L’amendement ne sera examiné, et a priori adopté, que la semaine prochaine.
Quid du ruissellement sur l’économie ?
Pour appuyer sa démonstration, le rapporteur général renvoie au rapport fait début octobre par la commission des finances du Sénat sur l’évaluation de la suppression de l’ISF. Albéric de Montgolfier reconnaît qu’il est encore trop tôt pour évaluer correctement les effets de « ruissellement » espéré sur l’économie. Mais dans l’immédiat, il faut revoir la copie sur l’IFI, en raison de ses « inconvénients », demande le sénateur LR.
« On a supprimé un impôt depuis moins d’un an que, déjà, vous voulez en tirer des conclusions » lui rétorque le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui renvoie à un autre rapport demandé par le gouvernement, qui soutient « qu’il est trop tôt ».
« Je voudrais solennellement remettre un exemplaire dédicacé au ministre »
Espérant faussement convaincre le ministre, Albéric de Montgolfier lui tend le rapport sénatorial : « Je voudrais solennellement remettre un exemplaire dédicacé au ministre ». « C’est vrai que moi, je lis de façon électronique », lui répond Gérald Darmanin. Il ironise : « Je serai très heureux de lire un rapport qui dit à la fin qu’il est trop tôt pour faire un rapport ».
Pour le président PS de la commission des finances, Vincent Eblé, c’est tout vu. L’essentiel de l’évaluation est déjà possible. Couplée à la « flat tax », la fin de l’ISF s’est traduite par un cadeau d’1,7 million d’euros pour chacun des 100 Français les plus riches. C’est ce qu’il avait dénoncé, début octobre, à la suite du rapport. Après la suppression de l’ISF, « il ressort que le gain fiscal n’a été que très partiellement réinvesti dans les entreprises françaises » ajoute le sénateur socialiste de Seine-et-Marne.
Le PS défend un « ISF nouvelle génération »
Vincent Eblé propose ainsi de « rétablir un impôt sur la fortune nouvelle génération, modernisé » (voir vidéo ci-dessous). Concrètement, il s’agit de relever le seuil d’entrée de 1,3 million à 1,8 million d’euros, « afin de sortir de l’impôt toutes les petites fortunes immobilières. Près de 40% des redevables (de l’ancien ISF) seraient ainsi exonérés pour un coût inférieur à 500.000 euros ». Une autre mesure permettrait aussi « d’éviter que les très grandes fortunes échappent à l’ISF ». Mais la majorité sénatoriale LR-UDI n’a pas adopté l’amendement socialiste. L’amendement des communistes d’un retour de l’ISF a connu le même sort.
Vincent Eble (PS) défend un "ISF nouvelle génération"
Les sénateurs ont en revanche adopté un amendement du rapporteur, contre l’avis du gouvernement, qui propose d’indexer le seuil d’assujettissement et le barème de l’IFI sur l’inflation (hors tabac), soit 1 %. Face à la « forte baisse des dons » de 50 %, après la réforme de l’ISF, le Sénat a aussi adopté un amendement de Vincent Eblé portant de 50 000 euros à 75 000 euros le plafond de la réduction d’impôt sur la fortune immobilière au titre des dons. Là aussi, le gouvernement s’y est opposé.