Ce matin, la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a été adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat. Elle prévoit des assouplissements sur les pesticides et le stockage de l’eau, et entend calmer les tensions entre les agriculteurs et l’Office français de la biodiversité.
Être une femme… la vie en rose ?
Par Amélia Morghadi
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Vous dites dans votre documentaire choc que l’on « cultive » des filles. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ? Vous vouliez dénoncer la « girl culture » ?
Cécile Denjean : Au départ l’idée était de dire : prenons conscience de la force avec laquelle les filles, et les garçons aussi d’ailleurs, sont conditionnées par les images de la pop culture. Rendons-nous compte qu’il y a quand même un moule, une image, un modèle qui est prégnant dans tous les esprits parce qu’on est bombardé de tous les côtés de ces stéréotypes qui commencent dès le berceau et qui terminent au tombeau, comme disent les Américains. On n’a pas conscience de ça et la plupart des parents nous disent « Oh la la, mais moi ma fille c’est incroyable, elle adore les princesses, alors que je ne lui ai jamais acheté une robe rose, c’est que ça doit être inné ». Il y a des tas d’études scientifiques qui ont montré que c’est faux. Mon propos c’était plutôt de dire : regardons tout ce qui est balancé à très forte dose sur les enfants, sur les adolescents, sur les jeunes adultes, et regardons les valeurs qui sont véhiculées.
Tout au long de ce documentaire vous décrivez trois stades d’évolution des modèles que l’on présente aux enfants et aux ados : elles doivent être au début princesse, puis pop star et enfin adeptes d’un « girl power » édulcoré et léger, pour montrer qu’être une fille, après tout, c’est « fun ». Pouvez-vous nous expliquer ce processus ?
C.D. : Ça a été un peu la grande surprise du film, je pensais confusément qu’il y avait à chaque âge son stéréotype et son modèle, mais c’était compliqué pour moi d’articuler tout ça.
« On capture une consommatrice quand elle est petite fille et après on ne la lâche plus »
Je n’avais pas du tout compris que c’était quelque chose de totalement articulé par les marques à tel point qu’elles ont vraiment décidé que : on capture une consommatrice quand elle est petite fille et après on ne la lâche plus. On crée des jeux vidéo, des applications « Princesse ou pop star » pour bien être sûr que les gamines qui sont accros aux princesses ne disparaissent pas, et qu’elles restent après accros aux pop stars. Et ensuite ça bascule vers pop star ou téléréalité. Il y a vraiment des ponts qui sont faits entre ces trois grandes phases de la culture qui s’adresse aux filles et qui les formate.
Ce que je trouvais vraiment très intéressant, c’est que par rapport à ma génération, j’ai grandi dans les années 70, et rien n’était genré. J’avais un vélo, bleu, vert, jaune, peu importait. Aujourd’hui les petites filles ont des vélos roses, et les petits garçons ont des vélos bleus. Aujourd’hui il y a des Lego pour filles et des Lego pour garçon. Et ça c’est quelque chose qui n’existait absolument pas il y a trente ou quarante ans.
Alors qu’on a l’impression qu’il y a une espèce d’avancée, de grande marche vers l’égalité, en fait on s’aperçoit que d’un point de vue culturel, au contraire, par rapport aux années 70, les stéréotypes se renforcent. On a un discours d’égalité, mais les femmes continuent d’être moins payées que les hommes, et elles ne protestent pas parce qu’elles ont une image d’elles-mêmes qui est celle d’être la gentille petite princesse qui attend le prince charmant pour que ce soit lui qui affronte l’extérieur et qui ramène l’argent. Il y a une espèce d’autocensure des femmes qui vient de leur culture.
Il y a un vrai travail d’éducation à faire là-dessus et qui n’est pas du tout fait pour l’instant, parce que ça arrange bien tous les marketeurs au niveau des jeux, des films, des jouets etc. Ils préfèrent vendre deux jeux, un pour les filles un pour les garçons, qu’un seul qui serait neutre.
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Nelly Arcan, écrivaine québécoise évoque l’idée d’une « burqa de chair ». Elle décrit les masques que l’on porte en permanence tout en aillant une illusion de liberté. Aujourd’hui en tant que femme on se sent obligée de s’apprêter, d’être maquillée, épilée, parfaite de la tête aux pieds, tout ça pour quoi ? Comment définir ce qui nous est imposé par la société et ce qui vient de notre volonté propre ?
C.D. :C’est une excellente question. Tout le problème du conditionnement c’est qu’il est invisible. On ne le perçoit pas. Le propre même du conditionnement c’est qu’on se dit « Non, c’est moi qui veux ça, c’est moi qui suis libre, c’est moi qui adore m’épiler ». Jamais personne ne va se dire, « en fait je m’épile parce que j’ai vu tel film, dans lequel on se moquait de telle fille qui était poilue, j’ai vu des films pornos avec des filles complètement épilées… ». On ne s'en rend pas compte. Et je ne suis pas meilleure que les autres, moi-même j’ai un petit garçon, et dès fois je me surprends à lui dire des choses qui au final sont très sexistes. Alors que je ne pense pas du tout l’être. Le principe de ces conditionnements c’est qu’ils sont très intériorisés. Le concept de « burqa de chair » c’est quelque chose de très vrai.
J’étais allée au Yémen pour tourner un film il y a quelques années, et les femmes yéménites me disaient « Mais comment faites-vous, il paraît que dans Paris il y a des kiosques à journaux avec des filles à poil. Comment vous faites, vous les femmes, pour supporter ça ? Parce que pour elles c’était le comble de la grossièreté, de la vulgarité…
Dans votre film vous dites que les stars, comme Miley Cyrus, Britney Spears,vont très souvent d’une image de pureté à une totale transformation provocante et très sexualisée. On passe, pour vous citer, « de la vierge à la putain ». Cette hypersexualisation a-t-elle des conséquences sur la construction des jeunes femmes ? Y a-t-il un danger de grandir trop vite ?
C.D. : Il y a un phénomène extrêmement préoccupant qui est le problème de l’accès à la pornographie. J’en discutais avec une personne qui est assistante sociale aux Mureaux, et il y a un problème à l’accès de soi-même en tant que sujet et non en tant qu’objet. … Et c’est problématique pour tout ce qui touche à la sexualité. Il y a un accès à la pornographie très jeune, et c’est une pornographie très normative.
« Beaucoup de jeunes filles se considèrent comme étant un objet, et pas un être capable d’avoir un désir propre »
On se retrouve avec des jeunes qui répètent ce qu’ils ont vu, mais sans même se poser la question « Est-ce que ça me plaît ? Est-ce que je ressens quelque chose ? Est-ce que j’en ai envie ? ». Ils ne se posent jamais la question ni de leurs propres sentiments, ni de leurs propres désirs, et ils sont dans un mime : « voilà, c’est comme ça qu’il faut faire ». Et ça se retrouve autant chez les filles que les garçons. Cette assistance sociale me disait « C’est dingue parce que les garçons font « ce qu’il faut faire » ». Elle a un groupe sur la sexualité avec des ados, et des garçons viennent la voir et lui disent « Voilà, moi je n’aime pas du tout la fellation, mais je le fais parce que ça fait partie du scénario ». Et pour lui la question c’était « Est-ce que c’est un problème, est-ce que ça veut dire que je suis gay ? » et pas du tout dans la démarche –Si je n’aime pas, je ne le fais pas et voilà-.
Côté fille, c’est normal d’être offerte en cadeau par un copain à un autre mec. Donc elle le répète. Elles n’aiment pas trop ça, mais bon elles le font, pour ne pas passer pour des coincées. Heureusement il y a des femmes qui essayent de faire en sorte que ça change. Mais pour l’instant c’est quand même fort, il y a une grosse pression sur les jeunes filles aujourd'hui.
Vous nous parlez beaucoup de l’omniprésence du rose dans la « girl culture », le fameux « rose Barbie ». Vous nous apprenez l’histoire étonnante de cette couleur : le rose n’est pas qu’une couleur de fille…
C.D. : C’est assez récent que le rose soit une couleur réservée aux filles. Jusqu’aux années 50, c’était plutôt les petits garçons qui étaient en rouge et les petites filles qui étaient en bleu comme la Vierge Marie. Le bleu clair était vraiment la couleur chic pour les petites filles. Quand dans les années 50 dans les Grands Magasins américains on a commencé à coder les choses, le rose est devenu la couleur des petites filles et c’est parti très très vite. C’est intéressant de voir qu’aujourd’hui il y a des mamans qui disent « Non, non, c’est génétique, c’est comme ça, les filles aiment le rose. ». Certaines trouvent des justifications étonnantes : « C’est parce qu’à la Préhistoire, les femmes cueillaient les fruits rouges », c’est assez délirant.
« Le rose c’est le signe d’une femme qui est soumise à son prince charmant, qui est en attente d’être sauvée par un homme»
Moi je n’ai rien contre le rose en tant que tel, ce qui me chagrine ce sont les valeurs que l’on associe au rose. Le rose c’est le signe d’une femme qui est soumise à son prince charmant, qui est en attente d’être sauvée par un homme qui va venir la délivrer, qui doit essentiellement être jolie et c’est tout. C’est ça qui est critiquable dans le rose.
Cette couleur est souvent utilisée pour vendre tout un tas d’objets genrés. Dans « Princesses, Pop stars et girl power », Nancy Huston, écrivaine, nous dit que dans cette histoire, « ce qui est libre, c’est le marché ». Ça va au-delà des clichés et des problèmes de genre ? Le tout c’est de faire vendre ? Est-ce que la faute est à la machine capitaliste ?
C.D. : Le cœur du problème c’est le marketing. Le marketing s’est greffé sur une inégalité qui existait. Alors que la société était en train d’aller vers une ouverture grandissante et arriver vers une égalisation, le marketing va, lui, complètement à contre-courant en disant « Non non non, restez chacun différents, parce que nous ça nous fait deux parts de marché au lieu d’une ».
« Vous allez vendre une brosse à dents plus cher si elle est rose à paillettes que si elle est bleue »
C’est ça le problème. Vous allez vendre une brosse à dents plus cher si elle est rose à paillettes que si elle est bleue, verte ou rouge. C’est pour ça que je trouve que faire ce genre de film est intéressant parce que si ça peut faire bouger les marketeurs tant mieux, ce sont eux qui ont le pouvoir...
Est-ce vraiment possible de résister à cette propagande, à cette « machine marketing » du « girl power » ? Cela doit passer par l’éducation, par un changement des modèles culturels ? En tant que maman, qu’est-ce que vous dites à votre enfant pour le sensibiliser ?
C.D. : Moi si je vois une petite fille déguisée en princesse, je vais lui dire : « Super, elle est géniale ta princesse, mais est-ce qu’elle est courageuse, est-ce qu’elle est forte, qu’est-ce qu’elle a fait comme exploits ? ».Il y a plein de mères qui le font, fort heureusement.
Mais par exemple, typiquement, mon fils est en CE1, il doit lire « Le géant de Zeralda ». C’est un méchant ogre, qui est très grand, très fort, avec du poil au menton, donc l’archétype de la virilité. Et la petite Zeralda, elle a 6 ans, mais elle sait très bien faire la cuisine. Du coup l’ogre veut manger Zeralda, mais comme elle fait très très bien la cuisine il ne la mange pas parce que sa cuisine est meilleure qu’elle. Et ça c’est normal.
Le discours sous-jacent des contes est très rarement questionné par les instituteurs, pour eux c’est juste un texte. Moi je trouve que c’est intéressant de questionner les petites filles, et de leur demander si ça serait possible d’imaginer l’inverse une grande ogresse, très très forte et un petit garçon qui fait bien la cuisine. C’est toujours important d'avoir ce recul-là pour se rendre compte de tous les stéréotypes qu'on se trimbale depuis tout petit, et qu'on utilise. C’est presque un réflexe à prendre.