Après les 41 degrés enregistrés au pic de la canicule de fin juillet, le maire PS de Vitry-le-François (Marne) et président délégué de l'association des Eco Maires ne doute plus du "chaos climatique qui s'annonce" ni de la légitimité de son bras de fer avec Total.
Avec 13 villes dont Bayonne, Bègles, Grenoble ou Nanterre et quatre associations (Notre Affaire à Tous, les Eco Maires, Sherpa et Zea), Jean-Pierre Bouquet, 67 ans, presse le géant pétrolier d'agir pour limiter le réchauffement à 1,5° et de se mettre en conformité avec la loi de 2017 sur le devoir de vigilance.
"L'objectif de Total est de réduire de 15% ses émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2025 après les avoir déjà réduits de 25% depuis 2010", rétorque le groupe en soulignant que "les émissions mondiales de Total représentent moins de 10% des émissions françaises".
Insuffisant pour les protestataires qui, après une rencontre en juin avec le président de Total Patrick Pouyanné, menacent désormais de porter l'affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre dès le 19 septembre.
"C'est la seule façon d'obliger Total à réduire vraiment ses gaz à effet de serre et se mettre en conformité avec la loi et l'accord de Paris", argue Jean-Pierre Bouquet dans son bureau, non climatisé par conviction verte.
Le maire de Vitry-le-François est pourtant loin d'être un écologiste de la première heure. "Ma conversion, c'est un parcours...", reconnaît ce socialiste réputé Macron-compatible, qui n'exclut pas que sa ville de 12.500 habitants délibère sur l'urgence climatique dès cette rentrée.
"Je suis et reste social-démocrate. Mais la social-démocratie, trop imprégnée de court-terme et de productivisme, a raté le virage de l'écologie. Le modèle qu'on a connu a du plomb dans l'aile", ajoute-t-il. Sa prise de conscience, il la date de son troisième mandat (2008-2014).
- "L'esprit saint" -
"Précisément de 2010 et de l'audit Plan climat air énergie territorial qui estimait le coût de l'inaction entre 37 et 142 millions d'euros par an, soit entre 1.500 et 6.000 euros par habitant", résume celui qui préside aussi la communauté de communes Vitry, Champagne et Der (35 communes, 25.510 habitants).
"Vitry, c'est davantage la fin du mois que la fin du monde", rétorque Michel Biard, opposant LR et maire de la ville de 2001 à 2008, en raillant "l'esprit saint qui semble être tombé sur Jean-Pierre Bouquet".
"Les Vitryats, ça leur passe complètement au-dessus de la tête", juge-t-il, considérant que la santé, l'économie et l'emploi restent les priorités dans une ville qui affiche encore un taux de chômage de 13%.
Son de cloche sensiblement identique du côté du Rassemblement national (44% aux dernières européennes dans la ville). "L'action contre Total, c'est de l'effet d'annonce et de l'enfumage", estime ainsi Pascal Erre, tête de liste RN aux municipales de mars prochain.
"Le maire actuel veut faire de la transition écologique la colonne vertébrale de son action parce qu'il n'a rien d'autre à proposer. Pour nous, c'est l'emploi et la sécurité", pense-t-il lui aussi.
Ces procès en insincérité n'empêchent pas Jean-Pierre Bouquet de mettre les bouchées doubles pour essayer d'atteindre, d'ici 2030, l'objectif d'un territoire "100% décarboné" où "chacun devient producteur d'électricité".
S'appuyant sur les milliers d’infatigables "agents municipaux" de biodiversité que représentent pour lui les abeilles des ruches implantées depuis une dizaine d'années dans cette ville sans pesticides, l'édile sait qu'il doit communiquer et convaincre s'il veut être réélu en 2020.
"L'action contre Total n'est pas déconnectée de ce qui se passe ici", insiste le maire de cette ville qui, ironie du sort, compte comme label "Patrimoine du XXe siècle"... une station-service Total imaginée dans les années 1970 par l'architecte Jean Prouvé.